Derrière les sourires officiels à la télé, les «amis» occidentaux ne s’aiment pas du tout
Qu’Obama craigne un conflit avec la Chine ou la Russie, ne surprendra pas. Mais avec l’Europe aussi ? Cette amitié, «fondée sur des valeurs» nous dit-on, ne serait pas éternelle ? L’écrivain Michel Collon répond.
Obama avertit les néocons opposés à l’accord nucléaire avec l’Iran : «Nos plus proches alliés en Europe [n’acceptent plus] les sanctions. Une guerre renforcerait l’Iran et isolerait les Etats-Unis». Un haut diplomate à Washington confirme : «Si le Congrès US rejette l’accord, ce serait un cauchemar et une catastrophe.»
Bien sûr ! Immédiatement après l’accord, les firmes allemandes se sont ruées à Téhéran pour signer des contrats bloqués par Washington depuis des années ! En fait, le principe «Les grandes puissances n’ont pas de principes, seulement des intérêts» s’applique aussi aux alliances : une «amitié» éternelle peut vite se transformer en conflit aigu.
Pour contrôler l’Eurasie, Brezinski proposait en 1997 de bien contrôler l’Europe : «Le problème central pour l’Amérique est de bâtir une Europe fondée sur les relations franco-allemandes, viable, liée aux Etats-Unis et qui élargisse le système international de coopération démocratique dont dépend l’exercice de l’hégémonie globale de l’Amérique.»
«Démocratique» signifiant «soumis aux USA», Brezinski emploie l’UE pour empêcher une alliance Berlin – Moscou. La Russie étant un partenaire géographiquement «naturel» des sociétés allemandes, la politique US sèmera donc la zizanie. L’Ukraine a servi à cela. Quand l’UE obtint à Kiev un accord entre toutes les parties pour des élections anticipées, Washington organisa le lendemain un coup d’Etat en s’appuyant sur des groupes néonazis ! L’envoyée spéciale US Nuland le résumant avec classe : «Fuck the EU !» (Baisez l’UE !)
Nouveau ? Non, dès 1997, Brezinski annonçait : «L’Europe doit être un tremplin pour poursuivre la percée de la démocratie en Eurasie. Entre 2005 et 2010, l’Ukraine doit être prête à des discussions sérieuses avec l’OTAN.» Brezinski voulait centrer l’Europe sur un axe Paris – Berlin – Varsovie – Kiev. Contre Moscou. Il craignait que l’unification européenne échoue (on y vient ?), et que Berlin se tourne vers l’Est. «Les trois grands impératifs géostratégiques se résumeraient ainsi : éviter les collusions entre les vassaux (sic) et les maintenir dans l’état de dépendance (…), cultiver la docilité (sic) des sujets protégés ; empêcher les barbares (sic) de former des coalitions offensives».
Stratégie dépassée ? Non. Récemment, l’influent analyste US Georges Friedmann, à qui on demandait «Daesh est-il une menace pour les Etats-Unis?», a répondu de façon ahurissante : «Ce n’est pas une menace existentielle. On doit s’en occuper de manière convenable, mais nous avons d’autres intérêts en politique internationale. L’intérêt principal (…), c’est la relation entre Allemagne et la Russie, car unis, ils pourraient nous menacer. Notre but principal est de nous assurer que cela n’arrivera jamais.» Pour empêcher les multinationales européennes de se tourner vers la Nouvelle Route de la Soie proposée par Pékin, la clé est d’empêcher toute entente entre Berlin et Moscou. Et détourner l’UE de l’énergie russe. Bref, derrière les sourires officiels à la télé, les «amis» occidentaux ne s’aiment pas du tout. L’espionnage NSA l’a confirmé : il n’y a pas d’amis dans le business.
La relation USA – UE a deux aspects : unité et rivalité. Les multinationales européennes ont besoin du gendarme US pour intimider le tiers monde et en tenir la Chine à distance. Mais les multinationales US profitent de chaque guerre pour voler des parts de marché à leurs rivales européennes. Et Washington est très forte pour faire payer par ses «amis» des guerres qui servent ses intérêts au détriment des «amis».
En fait, derrière l’ennemi direct et déclaré, chaque guerre possède un second niveau de conflit. En 91, Bush attaque l’Irak aussi pour saper les contrats français et russes. En Yougoslavie, Clinton veut neutraliser la France et surtout empêcher la formation d’une Euro-armée. En Libye, Obama (avec Sarkozy) sape les contrats allemands et italiens signés avec Kadhafi. En Syrie,
Obama (avec Hollande) travaille encore contre l’Allemagne. En Ukraine, idem. Et toutes ces guerres US créent des chaos qui rejaillissent sur l’Europe «amie» (crise migratoire, attentats terroristes, perte de partenaires économiques).
A terme, l’Otan est pour l’Europe un suicide. Suivra-t-elle les USA jusqu’en enfer? L’avenir du monde en dépend.
Par Michel Collon
Source: Russia Today