Pour un expert militaire russe Alexandre Golts, si l’armée russe déploie des forces en Syrie, c’est bien pour s’en servir.
La montée en puissance de la Russie en Syrie affole les Occidentaux mais quel est l'objectif de Vladimir Poutine ? Sauver Assad ? Défaire les jihadistes de l'Etat islamique ? Oui. Mais aussi mettre les deux pieds en Syrie, centre de gravité du Proche-Orient.
Après plus de quatre ans d'une guerre civile marquée par l'émergence de l'Etat islamique et par l'échec collectif des Occidentaux, des Arabes et de la Russie à régler un conflit qui a fait plus de 240.000 morts et provoqué l'exode de millions de réfugiés, le président russe a pris l'initiative.
Fin juin, il a d'abord proposé la création d'une grande coalition militaire qui s'appuierait en partie sur l'armée syrienne pour combattre l'Etat islamique. Et parallèlement, alors que son chef de la diplomatie Sergueï Lavrov tentait de vendre l'idée à ses homologues américain et saoudien, ainsi qu'aux différents groupes d'opposants syriens, le complexe militaro-industriel russe accélérait ses livraisons d'armes au régime de Damas.
Dans un second temps, les passionnés de bateaux ont assisté à Istanbul à un ballet de navires de guerre russes passant par le détroit du Bosphore et se dirigeant vers le port syrien de Tartous, où la Russie dispose d'installations logistiques.
Dernier acte ces dernières semaines: les satellites américains ont enregistré une recrudescence d'activités militaires russes sur un aéroport de seconde zone, au sud du fief pro Assad de Lattaquié. Hélicoptères, bombardiers, avions d'attaque au sol, chars, soldats: selon Washington et l'Otan, l'armée russe construit une base aérienne militaire.
Si ce déploiement se vérifiait officiellement, et surtout s'il était utilisé, il s'agirait du tout premier engagement officiel de la Russie sur un théâtre de guerre éloigné depuis l'intervention soviétique en Afghanistan en 1979. L'armée russe ne s'était pas aventurée depuis la fin de l'URSS (1991) au-delà de l'ex-URSS : en Géorgie en 2008.
Passer à l'action
A Moscou, une source diplomatique russe haut placée résume l'état d'esprit au Kremlin: "ce n'est plus le moment de tergiverser. Nous passons de la théorie à la mise en œuvre pratique de nos propositions".
Ce n'est pas le premier coup de poker de Vladimir Poutine dans cette crise. Fin août 2013, Barack Obama avait renoncé à des frappes aériennes immédiates proposées par la France sur les installations du régime syrien, et s'était retranché derrière l'avis du Congrès. Le chef de l'Etat russe avait alors mis dans la balance la destruction des armes chimiques syriennes. Résultat: Bachar al-Assad avait échappé aux frappes et retrouvé de la crédibilité et de la légitimité.
Deux ans plus tard, les efforts de Moscou visent au même objectif : soutenir l'armée syrienne et s'implanter en Syrie, un pays au carrefour de toutes les problématiques géopolitiques au Proche-Orient, à deux pas du Liban multiconfessionnel, de l'Irak chiite aux prises avec les combattants sunnites, du royaume hachémite et de la Turquie, Sublime Porte vers l'Europe.
"L'intensification de nos activités a commencé quand nous avons compris que la coalition (menée par les Etats-Unis) était vouée à l'échec et qu'il n'y avait pas de plan clair pour le futur", révèle la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova.
Pour l'expert militaire russe Alexandre Golts, si l'armée russe déploie des forces en Syrie, c'est bien pour s'en servir.
"C'est comme dans le théâtre de Tchekhov : si la pièce prévoit qu'un fusil soit sur la scène, c'est qu'il doit être utilisé", estime M. Golts, considérant des bombardements comme "possibles".
Zone d'influence
Pour un haut responsable syrien, cette implication militaire est un "tournant". "Moscou veut rappeler aux États-Unis que ses relations avec Damas datent d'il y a plus de cinquante ans et que ce pays est dans sa zone d'influence. C'est aussi un message aux pays de la région que la Russie entend y redevenir un acteur principal", explique-t-il.
"Pour les Etats-Unis, la Syrie n'est pas une affaire qui touche à ses intérêts nationaux, et c'est pourquoi Obama n'est pas intervenu. Pour la Russie, il s'agit d'une affaire qui touche directement ses intérêts en raison de sa position en Méditerranée et au Moyen-Orient", résume ce responsable.
Quel impact possible sur le terrain ? "Même quelques sorties simples, de petites interventions très modestes élèveront le statut de la Russie et son pouvoir", estime Tony Cordesman, du groupe de réflexion CSIS (Center for strategic and international studies) à Washington.
L'engagement militaire russe dans la région a toutefois ses limites: face au port de Tartous et à l'apparente base russe de Lattaquié, les Etats-Unis disposent elles de bases militaires en Arabie saoudite, en Turquie, en Egypte, à Bahrein, au Qatar, dans les Emirats Arabes unis et à Oman.