Deux garçons de 12 et 13 ans poursuivis pour "insulte" à Erdogan.
La police turque a pris mercredi en direct le contrôle de la régie des télévisions Bugün TV et Kanaltürk à Istanbul, dont le groupe proche d'un ennemi du président Recep Tayyip Erdogan fait l'objet d'une mise sous tutelle controversée à la veille des législatives.
Les forces de l'ordre ont pénétré dans le siège des deux chaînes, propriété du groupe Koza-Ipek, en dispersant les salariés qui le protégeaient avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau et en ouvrant les grilles avec des scies, selon les images retransmises en direct par Bugün TV sur son site internet.
Des policiers et un des nouveaux administrateurs du groupe nommés par la justice ont ensuite investi la régie des deux télévisions et en ont pris le contrôle, malgré l'opposition du rédacteur en chef de Bugün TV, Tarik Toros.
"Chers téléspectateurs, ne vous étonnez pas si vous voyez la police dans notre studio dans les minutes qui viennent", avait prévenu M. Toros devant les caméras.
"C'est une honte. Nous voyons maintenant les derniers instants de Bugün TV émettant librement", a dénoncé un député de l'opposition, Baris Yarkadas, présent dans les locaux de la télévision. "Tous ceux qui sont responsables de cette décision devront répondre de leurs crimes devant l'histoire", a-t-il ajouté cité par les médias turcs.
La justice turque a décidé lundi de mettre sous tutelle la holding Koza-Ipek, accusée selon un procureur d'Ankara de "financer", "recruter" et "faire de la propagande" pour le compte de l'imam Fethullah Gülen, qui dirige depuis les Etats-Unis un influent réseau d'ONG, médias et entreprises qualifié par les autorités d'"organisation terroriste".
Ancien allié du président Recep Tayyip Erdogan, M. Gülen est devenu son "ennemi public numéro 1" depuis le scandale de corruption qui a visé des proches de l'homme fort du pays et des membres de son gouvernement fin 2013.
Le chef de l'Etat accuse M. Gülen d'avoir bâti un "Etat parallèle" pour le renverser et multiplié les poursuites judiciaires et les purges contre ses partisans.
Début septembre, la police avait perquisitionné les locaux de 23 sociétés appartenant à Koza-Ipek dans le cadre d'une enquête "antiterroriste".
Le patron du groupe Koza, Akin Ipek, actuellement à l'étranger, a catégoriquement nié mardi toute activité illégale et dénoncé des "mensonges".
La décision de mise sous tutelle a été dénoncée comme une atteinte à la liberté de la presse, à quatre jours à peine des élections législatives anticipées de dimanche.
"Lorsque l'éventail de points de vue offert aux citoyens se réduit, en particulier avant une élection, c'est une source d'inquiétude", a réagi l'ambassade des Etats-Unis en Turquie sur son compte Twitter.
Deux garçons poursuivis pour "insulte" à Erdogan
Par ailleurs, la justice turque a engagé des poursuites pour "insulte" au président Erdogan contre deux garçons de 12 et 13 ans accusés d'avoir déchiré une affiche à l'effigie de l'homme fort du pays, a rapporté mercredi le quotidien Hürriyet.
Dans son acte d'accusation, le parquet de Diyarbakir a requis contre les deux enfants des peines de quatorze mois à quatre ans et huit mois de prison, a précisé le journal.
Les deux accusés avaient été surpris le 1er mai en train d'arracher une affiche à l'effigie du chef de l'Etat dans une rue de la grande ville du sud-est à majorité kurde du pays.
"On voulait arracher des affiches pour revendre le papier. On n'a pas fait attention à celui qui était sur la photo, on ne savait pas qui c'était", s'est défendu devant le magistrat le plus jeune d'entre eux, identifié par les initiales R.Y.
Selon leur avocat Ismail Korkmaz, la première audience du procès a été fixée au 8 décembre. "Si le président poursuit deux enfants pour avoir déchiré un poster, c'est très triste pour le droit", a-t-il commenté.
Les deux jeunes sont poursuivis dans le cadre de l'article 299 du code pénal turc qui punit toute personne qui "porte atteinte à l'image" du chef de l'Etat d'une peine maximale de quatre ans d'emprisonnement.
Depuis son élection à la présidence en août 2014, M. Erdogan, dont les détracteurs dénoncent régulièrement la dérive autoritaire, a multiplié les poursuites sur la base de cette disposition, visant aussi bien artistes et journalistes que simples particuliers.
En décembre dernier, un mineur de 17 ans avait été arrêté dans sa classe et détenu pendant plusieurs jours sous la même accusation, puis condamné à 11 mois de prison avec sursis.
Avec AFP