Si la Russie avaient livré auparavnt des S-300 ou S-400 à la Syrie...
La motivation de la Turquie pour abattre l’avion Su-24 russe au-dessus du territoire syrien n’a aucun lien avec une violation de l’espace aérien turc par ce dernier. Il était destiné à punir la Russie pour ses frappes contre les groupes terroristes « modérés », soutenus par la Turquie et qui agissent contre l’armée nationale syrienne, fidèle à Bachar Al Assad.
La science militaire établit le principe de «l’économie des forces et des moyens » qui oblige les commandants à atteindre l’objectif sans gaspiller inutilement les ressources. Nous nous souvenons que la Russie a effectué plusieurs frappes avec des missiles de croisière KH-555 lancés par des bombardiers stratégiques Tu-22M3 et sur Tu-160 opérant à partir de bases situées en Russie, à 3000 km de la Syrie. Nous nous souvenons également des missiles de croisière 3M-14T Kaliber lancés à partir de navires de surface et un sous-marin de la mer Caspienne et de la Méditerranée, à 1.500 km de la Syrie [1].
Ou encore des deux bombardiers stratégiques Tu-160 qui ont décollé de la base aérienne d’Olnegorsk dans la péninsule de Kola, pour contourner l’Europe et faire un trajet de 13.000 kilomètres pour frapper des cibles sur le territoire syrien avec des missiles de croisière Kh-101. Le prix d’un missile de croisière est de plus d’un million de dollars, bien que sa charge ne soit que de 450 kg [2]. Il aurait peut-être été plus efficace pour la Russie d’apporter 50 à 60 bombardiers lourds Tu-22M3, Tu-95MS et éventuellement Tu-160, en Syrie ou dans un pays voisin, où chacun pourrait exécuter trois vols quotidiens de bombardement.
Un autre principe de base de la lutte armée en science militaire est de «se concentrer sur la direction décisive à suivre ». En langage clair, cela signifie, ne pas mettre la charrue avant les bœufs, ou avancer progressivement du centre vers l’extérieur.
Près de deux mois après le début des frappes aériennes russes, plusieurs milliers d’objectifs de l’EI ont été bombardés dans le sud de la Syrie (Damas, Deraa), dans le centre de la Syrie (Homs, Hama, Idlib), dans le nord de la Syrie (Alep) et l’est de la Syrie (Raqqa et Deir ez-Zor).
Les bombardements avaient comme objectif la destruction des infrastructures (y compris le stockage de carburant) de l’EI et d’aider les forces terrestres syriennes dans le déclenchement des actions offensives destinées à reconquérir les territoires occupés par les rebelles.
Cependant, les rebelles islamistes continuent à contrôler des territoires dans le nord de la province de Lattaquié, situés à seulement 25 km de la base aérienne russe de Hmeymim. L’armée syrienne avance avec difficulté à cause des systèmes antichars que les rebelles possèdent.
Une vidéo postée sur Internet montre comment un hélicoptère russe Mi-8, envoyé en mission de recherche et de sauvetage de l’équipage de l’avion Su-24 abattu par l’armée de l’air turque, a été détruit par les rebelles, avec un système de missiles antichars BGM-71 TOW, de fabrication américaine.
Rappelons que le Su-24 est tombé dans le Gouvernorat de Lattaquié, à 4.5 km de la frontière turco-syrienne, dans le territoire où opèrent des groupes rebelles de l’ASL (constitués de l’armée turque et soutenus par les Etats-Unis et ses alliés) et le front Al Nosra Al-Qaïda en Syrie). Ce ne sont donc pas des Turkmènes qui combattraient contre Assad comme l’a affirmé à plusieurs reprises la Turquie [3].
Il aurait peut-être été plus efficace d’interrompre, en premier lieu, l’approvisionnement des rebelles islamistes en armes et en recrues en provenance de Turquie. Ce qui signifie que les bombardements de l’aviation russe auraient été subordonnés exclusivement à l’offensive de l’armée syrienne au sol, le long de la frontière avec la Turquie dans les gouvernorats d’Alep, Idlib et Lattaquié (environ 70 km). C’est seulement après que la frontière avait été sécurisée par l’armée syrienne, que les bombardements de l’armée de l’air russe pourraient être étendus à d’autres régions de la Syrie.
Les 30 bombardiers russes (12 Su-24, 12 Su-25 et 6 Su-34) à partir de la base aérienne russe Hmeymim peuvent exécuter chacun 2-3 sorties quotidiennes, chacun étant armé de 2-4 bombes intelligentes de haute précision (100, 250 ou 500 kg) ou de missiles guidés. [4] Ce qui signifie frapper 70-90 cibles quotidiennes. Ces avions sont insuffisants, ils arrivent à peine à se concentrer sur les cibles de Daesh détectés par les drones de reconnaissance dans le nord du gouvernorat de Lattaquié.
A titre de comparaison, lors de la guerre en Irak en 2003, la coalition américaine a utilisé environ 1.400 avions de combat. Contrairement aux 30 Su-24, Su-25 et Su-34 déployés par la Russie en Syrie, un seul bombardier lourd Tu-95, peut prendre à bord 30 bombes de 500 kg, ou 60 bombes de 250 kg ou 120 bombes de 100 kg. Un tapis de bombes gravimétriques pourrait neutraliser une surface équivalant à 10 terrains de football en une seule mission.
Les rebelles islamistes se battent en terrain montagneux, à la frontière avec la Turquie et continuent à opposer une résistance acharnée aux troupes terrestres de l’armée syrienne grâce la protection offerte par le terrain et les armes américaines modernes dont ils sont équipés.
Rappelons que dans l’histoire récente, ce sont les bombardements massifs qui ont décidé du sort de la guerre.
Pour chasser le front Al Nosra du dispositif actuel à la frontière turque et permettre la progression des troupes syriennes, il est nécessaire d’opérer un changement majeur de la tactique. Cela exigerait de doubler le nombre de drones de reconnaissance et une utilisation massive de bombardiers lourds. Un calcul simple montre que, après deux à trois semaines d’attaques intensives avec au moins 50 bombardiers lourds russes Tu-95 et Tu-22M, il est possible de nettoyer complètement la zone de la frontière avec la Turquie.
Je pense que la Russie a commis une erreur en ne livrant pas à la Syrie des systèmes anti-aériens de missiles S-300 ou S-400, avant même l’arrivée du groupe de bombardement russe de la base aérienne Hmeymim.
La présence de ces missiles anti-aériens aurait permis à l’armée nationale de la Syrie d’exercer la souveraineté sur son espace aérien et aurait protégé les bombardiers russes, tout comme l’OTAN a soutenu la Turquie, en déployant à la frontière turco-syrienne des batteries de missiles AA Patriot de l’Espagne, de la Hollande, de l’Allemagne et des Etats-Unis.
S’il y avait eu de tels systèmes S-400 les avions de la coalition anti-EI conduite par les Américains ne seraient pas entrés dans l’espace aérien de la Syrie sans l’autorisation de Bachar Al Assad, et la Turquie ne pourrait pas prétendre bombarder l’EI tout en frappant à la place les positions des rebelles kurdes luttant efficacement contre l’EI.
Si les Russes avaient eu en Syrie des systèmes de missiles S-400, ils auraient évité, dès le début, l’interception de leur bombardier Su-24 par le F-16 turc, et les turcs n’auraient jamais lancé un missile air-air contre l’avion russe parce qu’ils savaient que le leur aurait été abattu.
Par Valentin Vasilescu
Source : Réseau International