La Turquie profite de toutes les situations à son avantage.
Les dirigeants européens recevaient dimanche le premier ministre turc à Bruxelles afin de définir les modalités d’endiguement du flux de « réfugiés » en provenance de Turquie. Depuis le début de l’année, plus de 700 000 d’entre eux ont ainsi gagné l’Union Européenne via la Grèce, essentiellement au moyen d’embarcations de fortune.
Le maître-chanteur
Les chefs d’Etat européens proposent en échange de la collaboration d’Ankara une enveloppe de trois milliards d’euros destinée à « aider les réfugiés syriens » qui seraient au nombre de 2,2 millions sur le sol turc. La situation se résume à un chantage financier de type mafieux de la part du gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan qui a sciemment provoqué un flux migratoire sans précédent qui menace la stabilité du continent. De nombreux pays, comme la Hongrie ou la Macédoine, ont été ainsi placés dans l’obligation de construire des dispositifs de défense dans l’urgence afin de contrôler le flux des migrants sur leur territoire.
Cette crise migratoire est le produit de la stratégie des autorités turques qui ont laissé prospérer le trafic clandestin alors que selon l’organisation de coopération judiciaire européenne Eurojust, ce dernier entretient des liens étroits avec les organisations terroristes qu’il sert à financer.
En effet, selon sa directrice Michele Coninsx :
« les passeurs sont utilisés parfois pour mener des infiltrations par les membres de l’Etat Islamique ».
Un passeur opérant pour l’Etat Islamique a ainsi rapporté : « On profite de la générosité des pays développés de l’ouest de l’Europe pour infiltrer des combattants parmi les réfugiés. »
L’agence d’information russe Sputnik news avançait, selon des sources proches de l’Etat Islamique, le chiffre de 4000 combattants infiltrés, chiffre toutefois impossible à vérifier. Deux des terroristes ayant perpétré les attaques du 13 novembre à Paris ont cependant rejoint l’UE en passant par la Grèce, dissimulés dans le flux des migrants.
Les exigences des maîtres-chanteurs turcs ne se limitent pourtant pas au volet financier alors que l’UE a déjà annoncé le versement de 3 milliards d’euros destinés officiellement à participer aux frais financiers générés par l’accueil des réfugiés dans le pays. Le gouvernement d’Ankara souhaite également reprendre et accélérer les négociations d’adhésion à l’Union Européenne, ce à quoi ce seraient engagés les européens, sous la pression notamment de la chancelière allemande Angela Merkel.
L’état voyou
Suite au crash d’un chasseur SU-24 abattu par un F-16 turc à la frontière syrienne, le président russe Vladimir Poutine a dénoncé le soutien financier et opérationnel d’Ankara à l’Etat Islamique :
« S’ils [les terroristes] ont l’argent de la vente du pétrole et la défense armée de certains, alors il devient évident pourquoi ils se comportent si hardiment, pourquoi ils commettent des actes terroristes dans le monde entier, y compris au cœur de l’Europe. »
Le président turc Erdogan a nié toute implication dans l’achat de pétrole à l’organisation Etat Islamique, assurant même : « la Turquie est quasiment le seul pays qui lutte sincèrement contre Daech ».
Pourtant, les éléments démontrant une collaboration avec l’organisation terroriste sont nombreux.
Vladimir Poutine a notamment fait état de photos satellites et d’images prises par les avions russes montrant des « livraisons pétrolières en quantités industrielles à partir des territoires syriens usurpés par les terroristes. Il s’agit précisément de ces territoires, et pas d’autres. Nous voyons à partir des airs où vont ces véhicules. Jour et nuit, ils vont en Turquie ».
La provocation d’Ankara pourrait ainsi avoir pour motivation les succès de la campagne aérienne russe contre Daech, notamment dans sa volonté de détruire les infrastructures pétrolières aux mains du groupe terroriste qui ont été massivement bombardées depuis la mi-novembre. Les raffineries près de Raqqa ont ainsi été visées et les convois de camions qui transportent le pétrole vers la Turquie sont systématiquement pris pour cible.
Les propos du président russe ont été confirmés par le ministre syrien de l’Information Omran al-Zoubi dans une interview à l’agence Sputnik news :
« Tout ce pétrole était livré à une compagnie appartenant à un fils d’Erdogan. C’est pourquoi la Turquie a été si énervée après le début des frappes russes contre les infrastructures de l’EI, qui ont permis de détruire plus de 500 camions de brut. »
La route du pétrole passe par la Turquie et le clan Erdogan
Le média américain indépendant Zero hedge a publié samedi 28 novembre un article important basé notamment sur des informations de l’agence Reuters, documentant de manière très précise la route empruntée par le pétrole exploité par l’Etat Islamique.
Une recherche universitaire de George Kiourktsoglou et d’Alec D. Coutroubis citée par le média montre que les exportations du principal hub pétrolier de Ceyhan, en Turquie, ont connu une hausse spectaculaire à chaque nouvelle capture d’une zone pétrolifère par les combattants de l’Etat Islamique :
Selon les auteurs de l’étude, cette hausse des exportations peut être due « à la nécessité de générer rapidement de nouveaux fonds pour la fourniture de munitions et d’équipement militaire ».
Le port de Ceyhan est aussi le terminal pétrolier connectant l’oléoduc provenant du Kurdistan irakien qui soustrait illégalement une partie de la production au gouvernement central de Bagdad. On parle de 550 000 barils par jour. Le pétrole de l’organisation Etat Islamique serait donc camouflé au sein de la production illégale en provenance du Kurdistan.
Selon Reuters, le pétrole ferait l’objet d’un transfert de bateau à bateau au large de Malte de manière à masquer sa provenance aux acheteurs finaux et à les prémunir d’actions en justice de la part de la compagnie nationale irakienne SOMO. Ce dernier est ensuite transporté par tankers battant pavillon maltais, vers le port d’Ashdod en Israël.
Le Financial Times estime à 19 millions de barils par mois, le pétrole en provenance du Kurdistan irakien importé ainsi par Israël qui couvrirait par ce biais 77% de ces besoins.
Selon un colonel des services de renseignement irakiens interviewé par le journal Al-Araby al-Jadeed, le pétrole de l’Etat Islamique serait transporté par camions jusqu’à la ville frontalière de Zakho, dans le nord du Kurdistan, à 88 km au nord de Mossoul. Les convois seraient alors pris en charge par des chauffeurs turcs afin de leur faire passer la frontière. Une fois en Turquie, on ne peut pas distinguer ce pétrole du pétrole illégal importé massivement du Kurdistan.
Voici donc l’itinéraire présumé du pétrole de Daech :
La famille du président turc semble impliquée à plusieurs niveaux dans ce trafic. Selon le journal al-Monitor, cité par Zero hedge, la compagnie Powertrans, qui a l’exclusivité du transport et du raffinage du pétrole en provenance du Kurdistan, est dirigée par le beau-frère d’Erdogan. Cela pourrait expliquer l’extrême nervosité de l’autocrate lorsque la Russie et la coalition internationale ont commencé à bombarder massivement les infrastructures pétrolières de Daech. Le business serait extrêmement juteux et, selon l’ancien conseiller à la sécurité nationale irakien Mowaffak al-Rubaie, ce pétrole illégal serait vendu 20$ en Turquie, soit plus de moitié moins du cours officiel.
Le propre fils du président turc, Bilal Erdogan, est l’un des propriétaires d’une compagnie maritime basée à Malte, BMZ Group, qui a acquis deux tankers durant l’été 2015 pour une valeur de 36 millions de dollars. Les tankers étaient auparavant loués par BMZ Group. Il est donc possible que le fils Erdogan participe également à la contrebande de pétrole irakien et syrien aux côtés de son oncle…
Ankara prise la main dans le sac
Contrairement aux affirmations du président Erdogan, la collaboration de son gouvernement, et peut-être de son propre clan, avec l’organisation terroriste Etat Islamique est donc un fait documenté, y compris par des médias locaux.
Jeudi 26 novembre, deux journalistes turcs du quotidien Hurriyet ont ainsi été arrêtés par les services de sécurité et inculpés d’espionnage et divulgation de secrets d’Etat. Leur crime ? Avoir diffusé des photographies et des vidéos montrant un convoi de livraisons d’armes à destination de l’Etat Islamique. Les faits remontent à janvier 2014 lorsque la gendarmerie a arrêté et fouillé plusieurs convois officiellement chargés d’aide humanitaire à destination de la Syrie, escortés par des agents des renseignements turcs (MIT).
Les camions en question transportaient des armes à destination des groupes « rebelles » opérant le long de la frontière, soit l’organisation Etat Islamique. Selon les journalistes, le chargement se composait d’un millier d’obus de mortier et de 80 000 munitions de petit calibre. Les gendarmes impliqués ont été également inculpés d’espionnage. Les deux journalistes emprisonnés ont lancé un appel à Angela Merkel, l’enjoignant à ne pas abandonner la défense de la liberté de la presse contre un accord sur les migrants…
Par Guillaume Borel
Guillaume Borel est l’auteur de l’essai Le travail, histoire d’une idéologie, qui vient de paraître aux Éditions Utopia.
Source : Arrêt sur Info