La désignation des binationaux inquiète... car elle introduit une différence de traitements entre les citoyens européens, selon qu’ils ont ou non également la nationalité iranienne, syrienne..
La diplomatie européenne et des dizaines d'ONG font pression sur le Congrès américain, jugeant "discriminatoire" le projet des élus d'interdire aux Français et d'autres Européens s'étant rendus en Irak, Syrie, Iran ou Soudan de venir sans visa aux Etats-Unis.
La loi ciblerait aussi les voyageurs qui ont la double nationalité avec ces quatre pays, considérés à risque par les Etats-Unis, même s'ils n'y sont jamais allés. Par exemple, un Franco-Syrien ou un Belgo-Iranien.
Le nombre de voyageurs concernés est vraisemblablement faible mais, inquiètes de ce possible précédent, les associations et l'Union européenne se mobilisent depuis plusieurs jours dans l'espoir de faire amender la mesure avant son adoption finale par le Congrès.
Les élus américains estiment que le programme d'exemption de visas, dont bénéficient 38 pays riches surtout européens, contient des failles de sécurité, puisque leurs ressortissants n'ont pas à se rendre dans un consulat américain pour obtenir un visa avant de prendre un avion pour New York ou Los Angeles.
La seule formalité pour le voyageur est le formulaire biographique en ligne Esta.
L'allégeance de milliers de "takfiristes" européens, et notamment français et belges, au groupe Etat islamique (EI) fait craindre que l'un d'eux utilise son
passeport pour venir commettre des attentats sur le territoire américain. Car les listes noires américaines d'interdiction d'entrée aux Etats-Unis n'incluent
pas forcément l'ensemble de ces Européens fidèles à l'EI.
La Chambre des représentants, avec le soutien de la Maison Blanche, a donc adopté cette semaine une proposition de loi qui requerrait l'obtention d'un visa pour les ressortissants des 38 pays partenaires qui se seraient rendus en Irak, Syrie, Iran, Soudan ou d'autres pays désignés comme à risque par l'exécutif depuis mars 2011 --même les travailleurs humanitaires et les diplomates.
Ces voyageurs ne seront pas empêchés de venir aux Etats-Unis, mais au lieu de simplement remplir depuis chez eux le formulaire Esta, ils devront obtenir un visa, ce qui implique de se rendre dans un consulat américain, une procédure qui prend généralement plusieurs semaines.
Réciprocité
"Nous vous exhortons à vous opposer à l'insertion de toute mesure qui ferait de certaines nationalités des boucs-émissaires, attisant les flammes d'une exclusion discriminatoire", ont écrit jeudi 76 organisations américaines dans une lettre aux dirigeants parlementaires, dont la grande association de défense des libertés ACLU, et de nombreuses association représentant des Américains d'origine étrangère.
"Il n'y a aucune preuve que les citoyens des pays du programme d'exemption qui ont la double nationalité avec ces quatre pays ont plus de risques de commettre des actes terroristes contre les Etats-Unis", plaident les ONG.
A Washington, c'est David O'Sullivan ambassadeur de l'Union européenne, dont 23 des 28 pays membres bénéficient de l'exemption, qui suit le dossier.
David O'Sullivan, avec la prudence diplomatique requise, ne prononce pas le mot de "discrimination" mais n'hésite pas à parler de mesure "contre-productive". Il regrette que le texte inscrive dans le marbre de la loi certains pays et nationalités, un cadre trop rigide qui, selon lui, n'améliorera pas la sécurité.
La désignation des binationaux inquiète le diplomate, car elle introduit une différence de traitements entre les citoyens européens, selon qu'ils ont ou non également la nationalité iranienne, syrienne...
"Au fait, c'est comme ça que les Américains nous demandent de traiter leurs ressortissants, car il y a aussi des Américains qui ont la double nationalité", lâche l'ambassadeur à l'AFP.
En filigrane, il sous-entend que la décision américaine pourrait susciter des représailles de la part de l'Union européenne, car il rappelle que la
commission doit justement rendre un rapport d'ici avril 2016 sur la réciprocité du programme d'exemption de visas, dont sont exclus cinq pays de l'UE (Bulgarie, Chypre, Croatie, Pologne, Roumanie).
Le texte adopté par la Chambre cette semaine doit encore passer par le Sénat. De source sénatoriale, il est "probable" qu'il soit intégré à l'immense loi de finances qui doit être adoptée avant mercredi.
Les négociations, très imprévisibles, se poursuivaient vendredi en coulisses sur la forme finale de la réforme. Les ONG réclament des exemptions professionnelles, notamment pour les travailleurs humanitaires et les journalistes.
L'ambassadeur européen espère que le Congrès ne se précipitera pas et prendra le temps de la réflexion, au moins jusqu'en janvier.