Les quatre mensonges sur la croissance africaine
Contrairement à ce qu’affirment les médias, l’Afrique ne se développe pas. Tout au contraire, elle régresse. Que s’est-il donc passé pour que, malgré ses immenses richesses naturelles et en dépit des fleuves d’aides qui la noyèrent après les indépendances, l’Afrique ait pu connaître un tel naufrage ? Pourquoi toutes les formes de développement qui y furent essayées ont-elles échoué ? Seul un bon diagnostic permettra de le comprendre, mais pour cela, il est devenu urgent de regarder la réalité en face et de cesser de mentir à l’Afrique.
Les principaux mensonges que les médias font à l’Afrique sont au nombre de quatre.
Premier mensonge : l’Afrique serait «mal partie» au moment de ses indépendances.
En 1962 René Dumont publia «L’Afrique noire est mal partie», livre qui fit sa renommée en dépit d’un titre aussi fort que faux. A l’époque, le monde en perdition n’était en effet pas l’Afrique, mais l’Asie, qui paraissait condamnée par de terrifiantes famines et de sanglants conflits (guerre civile chinoise, guerres de Corée, guerres d’Indochine et guerres indo-pakistanaises).
En comparaison, durant la décennie 1950-1960, les habitants de l’Afrique mangeaient à leur faim, étaient gratuitement soignés et pouvaient se déplacer le long de routes ou de pistes entretenues sans risquer de se faire attaquer et rançonner… mais c’était au temps des colonies, cette époque «honteuse» dont il n’est aujourd’hui permis de parler que d’une manière négative.
Second mensonge : l’Afrique se développe
Soixante-dix ans après les indépendances, du nord au sud et de l’est à l’ouest, le continent africain est ravagé ou meurtri.
De la Méditerranée aux prolongements sahariens, la dislocation libyenne entretient un foyer majeur de déstabilisation.
Dans le cône austral, ce qui fut la puissante Afrique du Sud sombre lentement dans un chaos social duquel émergent encore quelques secteurs ultra-performants, cependant que la criminalité réduit peu à peu à néant la fiction du «vivre ensemble».
De l’atlantique à l’Océan indien, toute la bande sahélienne est enflammée par un mouvement à la fois fondamentaliste et mafieux dont les ancrages se situent au Mali, dans le nord du Nigeria et en Somalie ; plus au sud, la Centrafrique a explosé cependant que l’immense RDC n’en finit pas de mourir.
La situation est à ce point grave que les anciennes puissances coloniales sont régulièrement appelées à l’aide et que leurs interventions militaires sont demandées.
Humainement, le désastre est total avec des dizaines de milliers de boat people qui se livrent au bon vouloir de gangs qui les lancent dans de mortelles traversées en direction de la «terre promise» européenne. Les crises alimentaires sont permanentes, les infrastructures de santé ont disparu comme l’a montré la tragédie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, l’insécurité est généralisée et la pauvreté atteint des niveaux sidérants.
Quotidiennement, les journaux et les divers organes d’information font état de famines, d’épidémies, de massacres qui montrent que le continent africain s’enfonce chaque jour un peu plus dans un néant duquel surnagent quelques îlots pétroliers.
Troisième mensonge : l’Afrique est devenue un «relais de croissance»
Cette affirmation est également fausse car, à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, l’Afrique est aujourd’hui largement en dehors du commerce, donc de l’économie mondiale.
Malgré le pétrole et les minerais, sa part dans les échanges mondiaux (importations plus exportations), est en effet dérisoire. De 6% en 1980, elle s’est effondrée à 2% dans la décennie 1990, avant de «remonter» à 2,8% en 2007, puis à 3,2% en 2008, 3,4% en 2010 (Rapport Economique sur l’Afrique, Addis-Abeba, 2010) et 3,2% en 2013 (Rapport sur les échanges internationaux et intra-africains. Nations Unies, Conseil Economique et Social, Commission Economique pour l’Afrique, Addis Abeba février 2013).
Commercialement, elle n’existe donc pas, même si certains pays-comptoirs connaissent une réelle prospérité.
Quatrième mensonge : la démocratie est le préalable à tout développement
Durant la «décennie 1990», il fut postulé que si le développement avait échoué c’était par déficit de démocratie. Voilà pourquoi l’Afrique a subi, et subit encore, un véritable «diktat démocratique» avec pour résultat le triomphe de la mathématique électorale, le pouvoir revenant automatiquement aux ethnies les plus nombreuses grâce à l’ethno-mathématique électorale. Avec pour conséquence la multiplication des guerres, certaines ethnies minoritaires n’acceptant pas de se voir écartées du pouvoir pour l’éternité par la loi du nombre produit de l’universalisme individualiste européen.
Ces grands mensonges qui expliquent l’actuel naufrage de l’Afrique reposent sur deux grands postulats :
1-L’économie est la priorité : dans tous les modèles proposés ou imposés à l’Afrique sud saharienne, l’économique a en effet toujours été mis en avant.
Or, les vrais problèmes du continent sont d’abord politiques, institutionnels et sociologiques puisqu’ils découlent de la non prise en compte de la réalité humaine qui est à base ethnique. Certes, l’ethnie n’explique pas tout, mais rien ne s’explique sans l’ethnie.
2- Le refus d’admettre la différence : les Africains n’étant pas des Européens pauvres à la peau noire, c’est parce que le corps social africain n’est pas celui de l’Europe, ou celui de l’Asie, que les modèles transposés n’y ont pas réussi. Et si la greffe européenne n’a pas pris sur le porte-greffe africain, c’est parce que, comme le dit le proverbe congolais «ce n’est pas parce qu’il pousse sur le bord du marigot qu’un arbre deviendra crocodile…»
Par Bernard Lugan: universitaire spécialiste de l’Afrique, Bernard Lugan est l’auteur de nombreux livres. Il anime un blog consacré à l’actualité et à la géopolitique de l’Afrique. Il dirige la revue par internet L’Afrique réelle www.bernard-lugan.com
Source : Russia Today