Sur les 11 témoignages publié sept sont franchement favorables à Bachar al-Assad ou hostiles au mouvement de contestation, et quatre soutiennent, à des degrés divers, l’opposition.
Le Monde.fr a mis en ligne – mercredi 17 août – une « enquête d’opinion » réalisée entre le 4 juillet et le 8 août dans les rues de Damas par Carole Alfarah, jeune photographe syrienne. Qui a donc réalisé une série de « micros-trottoirs », demandant aux Damascènes rencontrés leur opinion sur la situation et sur l’avenir possible de leur pays. Eh bien, sur les 11 témoignages que publie Le Monde.fr, sept sont franchement favorables à Bachar al-Assad ou hostiles au mouvement de contestation, et quatre soutiennent, à des degrés divers, l’opposition. Encore faut-il noter que parmi ces derniers figure un journaliste… à al-Arabiya chaîne d’infos propriété de l’Arabie Saoudite, et qui a rivalisé en partialité avec al-Jazeera dans sa couverture des événements syriens.
Il y a de tout dans le « panel » sondé par Carole Alfarah et sélectionné par Le Monde : parmi les pro-Bachar on trouve ainsi une employée du British Council – sorte d’équivalent britannique de l’Alliance française – âgée de 32 ans, une couturière de 42 ans, un directeur d’hôtel de 34 ans, une maquilleuse de 31 ans, une sans-emploi de 33 ans, un architecte et professeur de 53 ans, un concierge de 47 ans.
Au-delà de leurs différences, ces sept Damascènes sont unis par leur souci de maintenir l’unité, l’indépendance, et le calme prévalant naguère en Syrie. Pour eux, cela passe par la réforme, mais aussi par le maintien de Bachar al-Assad au pouvoir. De l’opposition, ils retiennent surtout son inféodation aux mots d’ordre de l’étranger et son infiltration par des éléments armés, et aussi son irresponsabilité en ce qui concerne l’avenir politique et économique du pays.
Lyrisme « facebookien » des opposants
Chez les quatre partisans de l’opposition on trouve beaucoup de ce lyrisme « démocratique » propre à la contestation Facebook : c’est le cas de deux étudiants et du journaliste d’al-Arabiya, qui tous semblent fonctionner selon un logiciel concocté par des ONG américaines du genre Avaaz.
Deux de ces personnes prétendent avoir été emprisonnées suite à des manifestations, mais l’une – une étudiante – reconnaît qu’elle n’avait pas sa carte d’identité sur elle : ce n’est pas faire preuve de mauvaise foi que de rappeler qu’en France, en de pareilles circonstances, elle aurait au moins été conduite au poste.
L’autre, le journaliste d’al-Arabya, en dit et fait vraiment beaucoup : âgé de 25 ans, journaliste « intègre » (au profit d’un média notoirement hostile au gouvernement de son pays Ndlr), Syrien « libre« , il dit avoir «été battu et torturé (pendant 16 jours) pour avoir publié la vérité » et cite complaisamment la phrase qu’il a écrite dans une lettre laissée à son père avant de partir manifester : « Peins notre porte avec mon sang et ne la nettoie pas avant l’aube. Votre liberté sera ma rançon » . C’est beau comme du Victor Hugo. Peut-être un peu trop romanesque, justement. En tout cas Amer – c’est son prénom – a apparemment survécu à sa manifestation…
Particulièrement intéressante est le cas de la jeune femme sans-emploi, qui est passée de sentiments favorables à la contestation à une opposition ferme aux contestataires. Elle a en effet perdu un emploi à cause des sanctions décidées par l’Union européenne qui justement finançait le projet auquel elle participait : 300 autres personnes ont connu le même sort, assure-t-elle.
C’est aussi un aspect et une conséquence de la campagne anti-syrienne : la mise au ban du pays n’est pas que politique, elle est aussi économique, avec les conséquences sociales que cela implique – et sur lesquelles certains parient sans doute pour accroître l’instabilité… Rasha dénonce par ailleurs le caractère violent de nombre d’opposants qui « tuent des policiers, tuent des manifestants ». Et elle a aussi un petit mot pour stigmatiser ceux qui « ont vécu toute leur vie à l’étranger » et qu’elle voit mal « élever la Syrie à un niveau supérieur de démocratie compte tenu de toute la haine qu’ils portent en eux » .
Bref, Le Monde.fr semble avoir choisi – remords déontologique ? – d’avoir donné, pour une fois, la parole à ce qu’on pourrait appeler la «majorité silencieuse » de Syrie. On ne va certes pas le lui reprocher ici !
Nous reproduisons ci-dessous les témoignages de pro-Bachar. Les «anti» ont toute la presse française, papier ou électronique, pour s’exprimer, tous les jours.
Ghalia Seifo, 32 ans, employée du British Council à Damas. Elle veut à la fois Bachar Al-Assad et la liberté.
La contestation : « Je me souviens, le 5 février, sur Facebook, les gens l’avaient appelé “Le jour de la colère syrienne”. Puis, rien ne s’était passé. Alors, je n’ai plus fait attention aux appels sur Internet. Et quand la révolution a vraiment commencé, j’ai été stupéfaite. Mes frères et mon père m’ont raconté les troubles des années 80. Mon père a pris une balle dans la jambe tirée par un membre des Frères musulmans. Je crains les groupes terroristes armés. C’est injuste ce qui arrive en Syrie après toutes ces années de stabilité et de sécurité. »
Wafa Al-Assafeen, 42 ans, couturière, veuve et mère de quatre enfants. Elle place sa confiance en Dieu et dans le président.
La contestation : « J’ai été choquée quand j’ai su qu’il y avait des manifestations contre le régime mais je n’ai pas eu peur car je crois en la divine providence. Dieu protège la Syrie. Nous Syriens, croyons en Dieu et craignons Dieu. Je suis triste pour chaque Syrien tué lors des récents événements. Je suis triste pour ces jeunes gens qui sont séduits par l’argent, la fausse liberté au nom du djihad et le meurtre au nom d’Allah. »
Le devenir du pays : « Je suis optimiste. Je vois un bel avenir pour la Syrie, en particulier pour les catégories qui étaient jusque-là oubliées. Les nouvelles réformes vont aider plus de classes de la société. Il y aura de l’égalité et de la justice sociale. Même si tous nos rêves ne deviennent pas réalité, même si nous mettrons peut-être du temps à nous redresser. La Syrie est tout pour moi et mes enfants. Je ne voudrai à aucun prix changer ma place sur terre. Nous sommes tous aux côtés du président. Nous l’aimons. Je vois le futur de la Syrie avec lui. »
Nour Mouftah, 34 ans, directeur d’hôtel. Pour lui, la révolution n’est qu’un complot étranger.
La contestation : « Je n’ai pas été surpris. Je m’attendais à ce qui se passe en Syrie. Selon moi, les révolutions arabes ne sont pas de vraies révolutions populaires. Elles sont téléguidées dans le but d’affaiblir les régimes arabes. Il est certain que la Syrie est visée à cause de sa position stratégique au Proche-Orient. La Syrie est le seul pays arabe indépendant, qui soutient fermement le peuple palestinien et qui ne fait aucune concession à Israël et à l’Amérique. »
Le devenir du pays : « Dans un avenir proche, je vois une Syrie stable et prospère. Je prévois un fort niveau de développement économique. La Syrie est l’une des dix plus importantes destinations touristiques dans le monde. Malheureusement à cause de la situation actuelle, le tourisme s’est arrêté. Mais je pense que l’année prochaine sera une grande année pour le tourisme en Syrie. Finalement, je vois les événements actuels d’une façon positive. La Syrie en sortira plus forte.»
Ralda Khawam, 31 ans, maquilleuse. Elle est en colère contre les médias occidentaux.
La contestation : « Cela a été un grand choc. Je regardais les infos dans ma chambre, quand j’ai vu les manifestations à la mosquée des Omeyyades. Je n’en croyais pas mes yeux. J’étais persuadée que tout cela s’arrêterait très vite, mais quand c’est devenu un événement énorme et quand j’ai vu les fausses nouvelles qui étaient diffusées par les médias étrangers, j’ai compris que tout ceci était une vaste conspiration contre la Syrie. Je suis terrifiée à l’idée qu’il y ait une guerre civile en Syrie. J’espère que cela ne se produira pas. »
Le devenir du pays : « Seul le président Assad a ma confiance. C’est certain qu’il trouvera la solution pour nous sortir de cette crise. Depuis les événements, j’ai compris combien j’aime mon pays. Avant, je détestais toutes les traditions et les complications de notre société, mais aujourd’hui je vois bien que ce n’était rien à côté du fait de vivre en sécurité en Syrie. »
Rasha Akil, 33 ans, sans emploi. Elle est passée de pro à anti-révolution.
La contestation : « Au début, j’étais contente parce que j’en avais assez de la corruption, du népotisme, de l’inégalité des chances. Et j’ai été heureuse quand le président Assad a lancé ses réformes, et quand il a accepté davantage de liberté d’opinion. Mais, lorsque la crise a pris de l’ampleur et qu’elle m’a atteint personnellement, mes sentiments ont changé. Je travaillais pour un projet financé par l’Union européenne et à cause des sanctions contre la Syrie, j’ai perdu mon emploi. Ces sanctions n’ont pas affecté le gouvernement mais les gens. Nous étions 300 personnes, tous licenciés. Les fonctionnaires ont toujours leur emploi… »
Le devenir du pays : « Les manifestations ne sont pas pacifiques. Certaines peut-être mais dans la plupart d’entre elles, les protestataires ont des armes, ils tuent des policiers, ils tuent des manifestants. Le problème c’est qu’aucun des camps en présence ne va renoncer. Si le sang continue à couler, ça va devenir un vrai désastre. En Syrie, nous ne sommes pas habitués au pluralisme politique. Chaque opposant est contre le régime pour des raisons personnelles, ce qui signifie qu’aucun d’entre eux ne me représente moi ou le peuple syrien. Et plus encore, ceux qui ont vécu toute leur vie à l’étranger, je les imagine mal élever la Syrie à un niveau supérieur de démocratie compte tenu de toute la haine qu’ils portent en eux. »
Wael Al-Samhouri, 53 ans, architecte et professeur à l’université de Damas. Il craint une perte de confiance des investisseurs dans le pays.
La contestation : « Ma première réaction ? J’ai été choqué. Je ne m’attendais pas à ce que ça arrive en Syrie ! En Syrie, le pays de la sécurité ! Nous ne sommes pas habitués à voir les gens se battre entre eux. C’est impensable que des Syriens se tuent les uns les autres. Ce n’était vraiment pas le moment. Le pays progressait, s’ouvrait, connaissait un important développement. J’en ai profité personnellement. J’ai un emploi stable, qui me fait avancer dans la vie. Quel gâchis ! De grands projets d’infrastructure vont être arrêtés et les investissements vont se réduire. La Syrie avait durement gagné la confiance des investisseurs et maintenant cette confiance a disparu.
Le devenir du pays : « Cela dit, je travaille encore plus qu’avant depuis le début de la crise. Mes étudiants et moi redoublons d’efforts pour que, quand tout cela sera fini, la Syrie se relève, devienne une nouvelle Syrie, stable et efficace. »
Mohammed Saïd Yaghmour, 47 ans, concierge du Beit Nizam (maison historique de Damas). Il ne veut pas de la démocratie.
La contestation : « Je n’aurai jamais cru qu’une chose pareille puisse se produire en Syrie. Nous sommes des gens pacifiques. Ces scènes de tuerie et de brutalité, ce n’est pas possible. Même si mon salaire n’est que de 10 000 livres syriennes (145 euros), même si il ne me reste rien à la fin du mois, même si je dois prendre plusieurs emplois pour payer mon logement et les dépenses des enfants, je n’irai jamais détruire mon pays ! »
Le devenir du pays : « Le président Bachar Al-Assad représente l’avenir de la Syrie : un jeune intellectuel modéré. Il aime son peuple et la nation est développée. J’espère que cette crise va bientôt prendre fin. Nous n’avons pas besoin de la démocratie de l’Irak, nous n’avons pas besoin de la liberté de l’Egypte, de la Tunisie et de la Libye. On a vu ce qui leur est arrivé. Nous n’avons besoin d’aucune interférence étrangère. Nous pouvons résoudre nos problèmes nous-mêmes. »
Par Guy Delorme
Le 18 août 2011
Info Syrie