"Des gens souffrent de faim et de soif, notamment des enfants. S’il vous plaît, faites preuve d’humanité et ne restez pas silencieux".
La justice turque a ouvert lundi une enquête pour "propagande terroriste" contre un célèbre talk-show turc, accusé d'avoir diffusé l'appel d'une téléspectatrice qui s'inquiétait des pertes civiles causées par les combats entre l'armée et les rebelles kurdes.
Vendredi soir, une femme a téléphoné en direct au "Beyaz Show", diffusé sur la chaîne de télévision Kanal D, pour alerter l'opinion sur les conséquences
des opérations militaires en cours dans le sud-est à majorité kurde de la Turquie.
"Est-ce que vous savez ce qui se passe dans l'est de la Turquie ?", a interpellé la téléspectatrice, qui s'est présentée comme une enseignante nommée Ayse Celik.
"Des gens souffrent de faim et de soif, notamment des enfants. S'il vous plaît, faites preuve d'humanité et ne restez pas silencieux", a-t-elle ajouté.
Appuyées par des chars et des hélicoptères, l'armée et la police turques ont investi le mois dernier Silopi, Cizre et le district historique de la grande ville de Diyarbakir, sous couvre-feu, pour y éliminer des partisans du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Selon le principal parti prokurde du pays, ces opérations ont tué plus de 70 civils.
Emu par le témoignage de Mme Celik, le présentateur du "Beyaz Show", Beyazit Oztürk, a demandé à ses invités de l'applaudir, s'attirant les foudres des internautes hostiles à la cause kurde ou favorable au gouvernement pro-Erdogan.
"Il faut tuer ceux qui pointent leurs armes sur la tête de mes soldats. Condamnez d'abord le terrorisme avant de défendre Ayse", a ainsi réagi Busra Yigit sur son compte Twitter.
Signe de l'extrême polarisation du pays, de nombreux internautes ont riposté sur les mêmes réseaux sociaux pour défendre l'enseignante.
"Ils n'essaient pas seulement de faire peur à l'enseignante Ayse mais à tous ceux qui pourraient être d'accord avec elle", a déploré lui aussi Selahatttin Demirtas, le chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde).
La polémique a enflé au point de contraindre Kanal D, une chaîne du groupe Dogan propriétaire du quotidien populaire Hürriyet, à nier toute sympathie pour le PKK.
"Notre chaîne (...) s'est toujours rangée au côté de l'Etat pour condamner le terrorisme", a assuré sa direction dans une déclaration.
Le parquet d'Istanbul a malgré tout annoncé lundi sur son site internet avoir ouvert contre Kanal D une enquête pour "propagande terroriste". Selon les médias locaux, un procureur de Diyarbakir a fait de même contre "la supposée enseignante".
Le président Recep Tayyip Erdogan, qui a promis d'éradiquer le PKK, a ordonné récemment de nombreuses enquêtes pour "propagande terroriste" contre les médias.