La maison des Saoud est l’autre face de la pièce de monnaie américaine sur laquelle figure le régime sioniste en Israël. Les deux sont essentiels à l’hégémonie américaine.
Pour la première fois depuis près de 70 ans, les médias américains se sont permis de critiquer ouvertement l’Arabie saoudite.
La fragile insécurité des dirigeants saoudiens a reçu un coup supplémentaire la semaine dernière, lorsque l’establishment politique américain a ouvertement appelé à remettre en question l’alliance historique entre les deux pays.
L’Arabie saoudite a été dénoncée dans les principales pages éditoriales du New York Times, du Washington Post et des principaux journaux américains pour sa «politique sectaire dangereuse» et pour son «régime dangereux». Cet incroyable vague de condamnations a fait suite à l’exécution d’un haut dignitaire religieux chiite le week-end dernier. Le Washington Post a qualifié le fait de tuer le Cheikh Nimr Baqer al-Nimr de «mesure aussi risquée et impitoyable qu’injustifiée».
Pour l’autocratique maison des Saoud, ce rare criticisme venant des Etats-Unis va accroître son insécurité, alors que son emprise sur le pouvoir dans le royaume est déjà fragilisée.
Les Saoud ont peut-être acquis leur Etat moderne après le colonialisme britannique en 1932, mais depuis lors, c’est sur le parrainage des Etats-Unis que se sont appuyés les dirigeants autocratiques de ce royaume désertique gorgé de pétrole pour continuer à exister.
Ce parrainage est à présent minutieusement surveillé en raison des tensions régionales déclenchées par l’exécution du Cheikh Nimr Baqer al-Nimr par l’Arabie saoudite. L’Iran, la puissance chiite du Moyen-Orient, a réagi à l’exécution de manière furieuse, en poussant les alliés arabes de l’Arabie saoudite, dominée par le courant sunnite, à couper leurs liens diplomatiques avec Téhéran.
A Washington, l’explosion d’actions incendiaires a amené les principaux leaders d’opinion à tirer des conclusions radicales concernant l’Arabie saoudite et son rôle en tant qu’allié des Etats-Unis dans cette région vitale au plan stratégique.
Dans sa partie principale éditoriale, le New York Times a ouvertement accusé les Saoudiens de «barbarie» et de commettre des «actions qui propagent de manière flagrante une haine sectaire, discréditent les efforts de stabilisation de la région et violent grossièrement les droits de l’homme».
Dans un article d’opinion du Times, Toby Craig Jones, professeur à Rutgers University, blâme les dirigeants saoudiens pour avoir «adopté le sectarisme», ajoutant que «cela doit aussi éclairer ceux qui croient que l’Arabie saoudite est une force de stabilité au Moyen Orient. Elle ne l’est pas».
L’influent chroniqueur du Washington Post, David Ignatius, a exprimé sa frustration pour l’indulgence américaine envers les dirigeants saoudiens. «Les insécurités de l’Arabie saoudite sont le moteur des conflits depuis 40 ans», a-t-il tranché.
En outre, et c’est une reconnaissance brûlante par l’establishment américain, Ignatius a accusé l’élite saoudienne d’avoir «financé les fondateurs d’Al-Qaeda et les seigneurs de guerre en Syrie».
Revenons au Times, un article analytique de David Sanger révèle un trésor au sujet de l’amitié américano-saoudite vielle de plusieurs décennies : «Les Etats-Unis ont souvent regardé dans un sens opposé ou ont émis des avertissements soigneusement calibrés dans des rapports qui traitent des droits de l’homme alors que la famille royale saoudienne a réprimé la contestation et liberté d’expression, autorisant son élite à financer les extrémistes islamiques. En échange, l’Arabie saoudite est devenue la station de remplissage la plus fiable des Etats-Unis, un fournisseur régulier de renseignements et un contrepoids précieux contre l’Iran».
Attendez ! On nous dit que les Etats-Unis ont permis à l’élite saoudienne de «financer les terroristes islamiques» dans un sordide marchandage pour ses intérêts nationaux, son approvisionnement en pétrole, principalement. C’est une chose la majorité de la planète suspectait depuis longtemps, mais aujourd’hui, les deux principaux quotidiens américains le disent ouvertement !
Alors que l’administration Obama n’a pas condamné publiquement l’exécution par les Saoudiens du Cheikh Nimr Baqer al-Nimr, on dit que les hauts fonctionnaires étaient très en colère contre la maison des Saoud qui a ignoré le conseil prodigué par des voies détournée de commuer la peine de mort en une autre peine.
Le fait que le New York Times et le Washington Post remettent en question les relations avec le royaume démontre qu’il y a un débat sur les relations bilatérales au sommet de l’establishment politique américain.
Ce que stimule l’impatience croissante de Washington à l’égard des Saoudiens, c’est que l’instabilité régionale compromet les efforts diplomatiques des Etats-Unis pour lancer un processus politique en Syrie, au moyen duquel l’administration Obama tente d’orchestrer son objectif de longue date qui est de parvenir à un changement de régime dans ce pays arabe. Les discussions politiques doivent commencer plus tard dans le mois à Genève et impliquent la participation de la Russie et de l’Iran, ainsi que celle des Saoudiens.
Il est clair que Washington souhaite que ces discussions sur la Syrie servent de cadre qui conduise à l’éventuel départ du président syrien Bachar al-Assad alors que la Russie et l’Iran soutiennent tous deux que le destin d’Assad est la prérogative du peuple syrien.
Cependant, le régime saoudien «téméraire» met, de toute évidence, en péril le projet politique soigneusement cultivé par Washington, en attisant les tensions régionales et, en particulier, en contrariant l’Iran, l’allié clé de la Syrie d’Assad.
Donc, est-ce que Washington s’oriente vers un réalignement fondamental à l’égard de l’Arabie saoudite ?
Comme le note le New York Times : «Depuis des années, le pétrole a servi de ciment pour une relation entre deux nations qui partagent peu de valeurs communes… Aujourd’hui, avec l’augmentation de la production de pétrole américain et l’étiolement du leadership saoudien, l’interdépendance qui remonte au début des années 1930, avec les premiers investissements américains dans les champs pétroliers du royaume, il [le pétrole] ne relie plus ces nations comme c’était le cas auparavant».
L’idée que Washington cesse de parrainer les dirigeants saoudiens est séduisante mais elle est plutôt naïve. Car un tel concept ne permet pas de comprendre le lien de dépendance profond et essentiel existant entre la puissance mondiale américaine et le régime saoudien.
Sur la question du pétrole, ce plus que le simple approvisionnement de ce liquide noir. Le plus important, c’est le système des pétrodollars sur lequel fonctionne le marché mondial du pétrole. Lorsque le président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt a tenu son sommet marquant avec le fondateur de la monarchie saoudienne, Ibn Saud, au début de 1945, les deux dirigeants ont institué l’arrangement «pétrodollar», en vertu duquel celui qui allait devenir le premier producteur mondial d’or noir vendrait sa matière première uniquement en dollars américains uniquement, et ce, à perpétuité.
Pendant les sept décennies qui ont suivi, l’Arabie saoudite et les autres pétromonarchies arabo-sunnites du Golfe ont aidé à maintenir le système des pétrodollars. Sans ce système, la monnaie des Etats-Unis aurait cessé d’être la monnaie de réserve mondiale. Sans ce statut, les Etats-Unis se seraient effondrés et auraient fait faillite.
Bien que la position de l’Arabie saoudite en tant que fournisseur de pétrole des Etats-Unis puisse être devenue moins importante dans les dernières années, ce royaume ainsi que les autres émirats pétroliers du Golfe sont malgré tout vitaux pour appuyer le système des pétrodollars. Si on imagine que l’Arabie saoudite avaient commercé en Yuan chinois ou en euros, cela aurait ruiné le dollar. Pour résumer, les Etats-Unis doivent leur survie économique et financière aux Saoudiens.
Un autre facteur vital est la vente d’armes. Au cours de la seule année dernière, les Etats-Unis ont retiré quelque 20 milliards de dollars de leurs ventes d’armes à l’Arabie saoudite, soit près de 12,5% de l’ensemble de leurs exportations d’armement.
Peut-être, au-dessus de tout se trouve le principe de «Deterring Democracy» [empêcher la démocratie] selon la formule inventée par l’écrivain américain Noam Chomsky : malgré le prétendu soutien des Etats-Unis aux valeurs démocratiques et aux droits de l’homme, en réalité, la politique étrangère américaine contribue à réprimer la démocratie, afin de faire en sorte que le monde «ne puisse pas présenter de danger» pour le capital américain et l’exploration des ressources naturelles.
Washington a ainsi fermé les yeux sur le despotisme saoudien au cours des sept dernières décennies, car il comptait sur l’Arabie saoudite pour réprimer tous les mouvements démocratiques au Moyen Orient riche en pétrole. Ainsi, la maison des Saoud est l'autre face de la pièce de monnaie américaine sur laquelle figure le régime sioniste en Israël. Les deux sont essentiels à l’hégémonie américaine.
La classe dirigeante des Etats-Unis est peut-être contrariée par la despotique Maison des Souad pour avoir attisé les tensions régionales et en particulier, pour avoir jeté du sable dans les rouages de son programme politique de changement de régime en Syrie. Mais les relations avec le régime saoudien absolutiste qui procède par décapitation, signifient que les Etats-Unis ne pourront jamais se permettre de jeter le manche après la cognée.
Un article de Finian Cunningham publié sur le site de RT