Plusieurs journaux italiens ont relayé jeudi des menaces proférées par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
Méfiance et incompréhension semblent dominer les rapports entre la France et l'Italie quant à la façon de traiter au mieux le chaos en Libye, selon des experts.
L'Italie, ancienne puissance coloniale, est prête à prendre, sous conditions, la tête d'une opération internationale, mais le ministre des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni, a prévenu qu'une opération militaire, aussi brillante soit-elle, ne pouvait à elle seule remettre de l'ordre dans le pays.
Il l'a réaffirmé vendredi au quotidien français Le Figaro: dans la phase actuelle, une intervention militaire n'est pas possible. "Ce serait même une très grave erreur".
La France ne partage pas nécessairement ce point de vue. Le Premier ministre français, Manuel Valls, le rappelait encore en décembre : il faut "combattre et écraser" l'organisation Daech (EI) "en Syrie, en Irak et demain, sans doute, en Libye".
Et c'est bien cette volonté d'en découdre qui inquiète les Italiens. La presse s'est fait l'écho cette semaine d'un "raid" aérien français contre des positions de l'EI près de Syrte, en Libye, y voyant la preuve que les Français n'attendraient pas éternellement la formation d'un gouvernement unitaire dans ce pays, en proie au chaos depuis la révolte ayant emporté Mouammar Kadhafi en 2011.
Le ministère français de la Défense a immédiatement démenti un quelconque raid, mais les milieux gouvernementaux italiens restent inquiets.
"Si nous devions intervenir contre le terrorisme, nous voudrions le faire à la demande d'un gouvernement libyen, pour le soutenir", a réaffirmé vendredi Gentiloni.
Du bout des lèvres, le chef de la diplomatie italienne a toutefois envisagé vendredi la possibilité d'une coalition internationale en Libye, comme celle à l'oeuvre en Syrie, faute d'accord "dans quelques mois" sur un gouvernement unitaire.
L'Italie se méfie de l'empressement français à agir en Libye, et certains éditorialistes évoquent un but caché des Français : prendre des positions de force dans le secteur de l'énergie en Libye, au risque de répéter les erreurs de 2011 ayant conduit à l'anarchie actuelle.
"Paranoïa italienne", rétorque Jean-Pierre Nardis, expert des questions de défense auprès de l'Institut des Affaires étrangères à Rome, interrogé par l'AFP.
Pour ce spécialiste des relations franco-italiennes, il s'agit d'un "malentendu" entre les deux pays né de l'intervention franco-britannique de 2011, qui n'a jamais été réellement comprise.
Un malentendu
Ce "malentendu" est aujourd'hui exacerbé par le silence opposé par le gouvernement de Matteo Renzi aux demandes de soutien militaire exprimées par le président français François Hollande après les attentats meurtriers à Paris en novembre.
L'Italie, volontiers pacifiste, rechigne à faire la guerre, comme l'affirme d'ailleurs officiellement sa Constitution. Elle est persuadée, comme ne manque jamais de le rappeler Gentiloni, que le recours aux armes ne règle rien, privilégiant une approche politique et diplomatique.
Des sources proches du gouvernement italien, citées par les médias, ont ainsi démenti cette semaine toute éventualité de frappes aériennes contre l'EI, qui auraient été décidées lors d'un conseil restreint sur la Libye.
Sollicitées par l'AFP, la présidence du Conseil et le ministère des Affaires étrangères ont refusé de s'exprimer.
Alors que des rassemblements d'ampleur sont prévus à Rome tout au long de l'année sainte décrétée par le pape François, l'Italie, jusqu'à présent préservée, redoute un attentat terroriste sur son sol.
Plusieurs journaux italiens ont relayé jeudi des menaces proférées par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) : "L'Italie romaine a occupé Tripoli", les "envahisseurs" italiens s'en mordront les doigts, affirme le numéro deux d'Aqmi, Abu Ubaydah Yusuf al-Anabgli, cité par une agence mauritanienne.
La prudence italienne est aussi confortée par les expériences passées en matière d'intervention militaire, en Libye, mais aussi en Irak où "on continue à en payer le prix", selon Gentiloni.
Mais elle a aussi "refroidi" la relation entre la France et l'Italie, remarque Darnis.
Une réunion de la coalition anti-Daech, prévue début février à Rome, pourrait permettre de la réchauffer. Et le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, doit recevoir la semaine prochaine à Paris son homologue italienne Roberta Pinotti.