Quand des experts analysent les conséquences de l’entrée en vigueur de l’accord nucléaire..
L'entrée en vigueur de l'accord sur le nucléaire iranien, doublée d'un échange de prisonniers sans précédent entre Washington et Téhéran, scelle le rapprochement entre les Etats-Unis et l'Iran au détriment de l'Arabie saoudite, alliée historique de l'Amérique.
Washington se défend officiellement de tout projet de réconciliation avec la République islamique, encore moins d'un renversement de ses alliances au Moyen-Orient. Mais, relèvent des analystes, l'administration de Barack Obama caresse l'espoir de rétablir un "équilibre" entre les rivaux du Golfe --Ryad et Téhéran-- avec l'ambition de mettre fin aux guerres de la région, comme celle qui détruit la Syrie.
Echaudés par leur interventionnisme militaire au Moyen-Orient dans les années 1990 et 2000, les Etats-Unis ont donc fait le pari d'un dégel avec leur bête noire iranienne, 35 ans après la rupture de leurs relations diplomatiques, au risque de délaisser leur allié saoudien.
"La vision d'Obama pour le Golfe, c'est l'équilibre", résume Frederic Wehrey, de la fondation Carnegie. Et si Ryad et Téhéran "parvenaient au moins à s'entendre, cela faciliterait le retrait des Etats-Unis (du Moyen-Orient) vers l'Asie", explique le chercheur, en référence au "pivot" américain vers l'Asie-Pacifique cher à M. Obama depuis 2009.
Mais, constate M. Wehrey, la dernière poussée de fièvre entre l'Arabie saoudite et l'Iran "a fait voler en éclats cette ambition d'équilibre".
Grandes rivales, la monarchie saoudienne sunnite et la République islamique iranienne chiite s'affrontent par conflits interposés en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen.
Leur animosité a dégénéré début janvier en affrontement ouvert: Ryad a rompu ses relations diplomatiques avec Téhéran à la suite d'attaques contre son ambassade par des Iraniens ulcérés de l'exécution par l'Arabie saoudite d'un dignitaire chiite saoudien. La diplomatie américaine, qui avait en coulisses averti Ryad des risques d'une telle exécution, s'est gardée publiquement de prendre parti et a simplement appelé à la conciliation.
Pour Karim Sadjadpour, spécialiste de l'Iran à Carnegie, cette neutralité affichée par les Etats-Unis pose problème.
"Ce qui distingue le président Obama des autres présidents depuis 1979, c'est que dans cette crise irano-saoudienne, les Etats-Unis ne s'alignent pas clairement du côté de l'Arabie saoudite. Dans le passé, ils avaient toujours été main dans la main. Cela met certainement en rage" Ryad, explique l'analyste.
"Il y a dans le Golfe", décrypte-t-il, "cette perception qu'Obama a une affinité avec les Perses, avec la civilisation perse, et qu'il n'a pas la même avec les pays (arabes) du Golfe".
La richissime pétro-monarchie saoudienne, protégée par le parapluie militaire américain, a "une sorte de jalousie stratégique, une crainte
fondamentale que les Etats-Unis penchent à nouveau vers l'Iran et rétablissent une forme d'équilibre" régional, complète M. Wehrey.
Ce serait un retour à la "stratégie des deux piliers" du président Richard Nixon dans les années 1970, qui s'appuyait à la fois sur Ryad et sur Téhéran pour assurer la sécurité dans le Golfe.
Mais cette doctrine prit fin avec la Révolution islamique iranienne de 1979, la prise d'otages de 444 jours à l'ambassade américaine et la rupture des relations diplomatiques en avril 1980.
Les Etats-Unis et l'Iran n'ont renoué qu'à la faveur des négociations sur le nucléaire, relancées à l'automne 2013, après 18 mois de tractations
secrètes. Cela a abouti le 14 juillet dernier à l'accord de Vienne, entré en vigueur samedi et censé garantir que Téhéran n'ait pas la bombe atomique en échange d'une levée des sanctions.
Le texte est une consécration en matière de non-prolifération et marque aussi le succès du dialogue américano-iranien.
Equation insoluble
La preuve en est l'échange annoncé samedi de prisonniers entre les Etats-Unis et l'Iran. Un scénario encore impensable il y quelques mois qui a fait dire au secrétaire d'Etat John Kerry que "la diplomatie était toujours notre premier choix et la guerre notre dernier recours".
De même, l'incident mardi dernier des dix marins américains égarés dans les eaux territoriales iraniennes s'est réglé en 24 heures. Le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif s'est alors félicité des vertus du "dialogue" avec Washington, loin des "menaces" du passé.
En revanche, le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir a fustigé lors d'une rencontre jeudi à Londres avec M. Kerry le "bilan de l'Iran en matière de guerre, de destruction, de terrorisme, de déstabilisation et d'ingérence dans les affaires d'autres pays".
Pour Alberto Fernandez, vice-président du Middle East Media Research Institute, les Etats-Unis ont pris un "risque calculé" en se rapprochant de Téhéran. Mais l'équation semble insoluble: "Comment peut-on réchauffer les liens avec l'Iran sans agacer son allié" saoudien, s'interroge cet ancien ambassadeur américain.