Le bilan définitif de l’attaque reste inchangé à 21 morts.
Le Pakistan rendait hommage jeudi aux 21 victimes de l’attaque terroriste qui a visé la veille une université du nord-ouest du pays, tout en s’interrogeant sur les ratés de sa campagne contre le terrorisme.
La police a indiqué avoir arrêté une cinquantaine de personnes lors d’opérations de recherche dans les alentours de l’université Bacha Khan à Charsadda.
Une nouvelle bombe a été désamorcée jeudi matin dans une gare routière bondée de la ville voisine de Peshawar, selon la police, provoquant une nouvelle onde d’inquiétude dans un pays encore sous le choc de l’attaque de la veille.
Des policiers étaient déployés jusque sur les toits du campus de l’université où quatre hommes armés de fusils d’assaut et de grenades étaient entrés la veille, profitant du brouillard. Ils ont massacré une vingtaine de personnes, majoritairement des étudiants, avant d’être abattus par les forces de l’ordre.
Le bilan définitif de l’attaque reste inchangé à 21 morts, a indiqué la police, selon qui une victime avait été comptabilisée deux fois la veille.
Environ un millier de personnes ont assisté jeudi matin dans un village à proximité aux funérailles d’un gardien de l’université tué durant l’attaque. Son père, Shah Hussain, s’est déclaré « fier » de lui. « Je veux dire aux terroristes qu’ils ne pourront jamais gagner. Ils vont perdre, nous allons gagner, nous les partisans de la paix », a-t-il dit. La plupart des autres victimes avaient été enterrées dès mercredi, conformément à la tradition musulmane.
Impuissance ?
En attaquant une université du nord-ouest du Pakistan, les talibans ont mis en évidence les ratés de la vaste campagne contre l’extrémisme lancée il y a un an dans la foulée du pire attentat qu’ait connu le pays, soulignent des experts.
L’assaut de mercredi a ébranlé le fragile sentiment de sécurité qui refaisait surface dans cette région du Pakistan, après l’attaque contre une école dans la ville voisine de Peshawar le 16 décembre 2014. Les nombreuses similarités entre les deux attaques, revendiquées par la même faction des talibans, donnent l’impression que les autorités sont impuissantes à protéger les enfants, soulignent les parents éplorés.
L’attaque de 2014 contre une école gérée par l’armée avait pourtant poussé les militaires à intensifier une offensive en cours contre les groupes armés dans les zones tribales du nord-ouest, tuant des milliers de personnes et repoussant des combattants jusqu’en Afghanistan. Le gouvernement avait de son côté lancé un ambitieux Plan d’action national (NAP).
En conséquence, 2015 fut l’année la moins meurtrière depuis l’émergence du mouvement taliban pakistanais Tehreek-e-Taliban Pakistani (TTP) en 2007, avec 1279 personnes tuées dans des attaques terroristes selon l’Observatoire South Asia Terrorism Portal.
Cibles faciles
Mais en attaquant l’université mercredi, les talibans veulent montrer qu’en dépit de ces reculs, « ils peuvent s’en prendre à n’importe quelle cible », estime Saad Khan, expert basé à Peshawar et ancien officier. Tuer des jeunes gens « déclenche un grand chagrin […] et un ressentiment contre le gouvernement, celui-là même qui affirme avoir eu la peau des terroristes », explique-t-il.
Le spécialiste des questions de défense Talat Masood estime que le gouvernement et l’armée n’ont pas été au bout de la lutte contre le terrorisme. L’attaque « suit le même modèle. [Les extrémistes] cherchent des cibles faciles, et il est tout simplement impossible de protéger toutes ces cibles, surtout à proximité de la frontière » avec l’Afghanistan, indique M. Masood.
« Le Pakistan doit aller bien plus loin. Il y a des faiblesses dans le plan d’action national, qui n’a pas été mis en application de façon satisfaisante », selon lui.
En vertu de ce plan en 20 points, des tribunaux militaires ont été créés, et le Pakistan a repris les exécutions de condamnés à mort après un moratoire de six ans. Mais l’efficacité de ces mesures est contestée, et la société civile regrette le peu qui a été entrepris concernant les autres mesures prévues — notamment la réforme des programmes scolaires et le contrôle des milliers d’écoles coraniques du pays, accusées d’être un terreau d’intolérance.
Des observateurs déplorent aussi que les autorités tardent à s’attaquer à certains types d’extrémisme, notamment les groupes armés qui s’en prennent à l’Inde, l’ennemi voisin.
Ainsi, le Pakistan a récemment arrêté des membres et scellé des bureaux du Jaish-e-Mohammad, groupe accusé par Delhi d’être responsable d’une attaque contre une base aérienne en Inde début janvier. Mais des éditorialistes se sont émus que ce mouvement avait toujours des bureaux, alors qu’il est théoriquement interdit depuis 2002.
Pour certains proches des victimes de l’attaque de l’école APS à Peshawar fin 2014, cette nouvelle attaque est le signe que les citoyens doivent prendre les choses en main.
« Nous comprenons la douleur de celui qui envoie son fils à l’école ou à l’université et voit revenir son cadavre », a souligné Ajun Khan, qui a perdu son seul fils, lycéen, dans le massacre de l’APS.
Les proches des victimes de cet attentat qui a profondément marqué et unifié le pays ont prévu de se retrouver jeudi pour dire leur solidarité avec les familles des étudiants tués la veille à Charsadda, et mettre au point une stratégie — comme un entraînement militaire obligatoire pour les civils.
« Nous ne sommes pas en sécurité, nous nous inquiétons pour l’avenir », souligne M. Khan. « Cette guerre est devenue celle du peuple. »