La pluie d’articles publiés dans les journaux chinois sur l’équilibre nucléaire après la parade militaire du 3 septembre 2015, où avaient été présentées les forces balistiques chinoises, saute aux yeux.
On trouve souvent, dans les revues chinoises consacrées au thème naval, des diagrammes simulant une attaque multivectorielle de missiles contre un groupe aéronaval.
Néanmoins, dans le numéro d'octobre du magazine Naval & Merchant Ships, une illustration sort de l'ordinaire: elle décrit les conséquences éventuelles d'une frappe contre le territoire américain avec vingt missiles intercontinentaux dotés d'ogives nucléaires.
Les cibles incluent sans surprise les grandes villes des côtes Est, Ouest, et du Midwest. Si un tel plan était mis en œuvre, un voile radioactif gigantesque couvrirait pratiquement tout le territoire des USA et causerait près de 50 millions de morts. Sous ce diagramme, on retrouve une autre illustration montrant comment il faudrait frapper New York pour que l'onde de choc anéantisse Manhattan.
Dans ce contexte, la "menace" émanant de Corée du Nord pourrait sembler complètement dérisoire… Mais ce qui est encore plus inquiétant est qu'il est ici question d'une frappe avec des missiles intercontinentaux DF-5 de première génération obsolètes. En d'autres termes, cette analyse est vieille de dix ans. Au fil de l'apparition de vecteurs mobiles DF-31, puis DF-31A et maintenant JL-2 (missiles avec des ogives nucléaires lancés par des sous-marins), la doctrine nucléaire chinoise est passée de "représailles garanties" au niveau à "représailles complètement garanties".
L'article fait également référence à l'annonce de futurs essais du vecteur mobile pour les missiles intercontinentaux DF-41. L'auteur, qui précise qu'il n'exprime pas son propre avis, rappelle que quand le porte-parole du ministère chinois de la Défense avait été interrogé sur les essais du 6 août 2015, il n'avait pas "nié l'existence du DF-41". L'article note que l'existence de cette arme offre à la Chine la possibilité d'attaquer depuis ses régions du nord et du centre toute le territoire américain sauf la Floride. Pour mieux comprendre le changement rapide de l'équilibre nucléaire entre la Chine et les USA et sa signification, l'auteur a examiné certaines publications récentes en mandarin concernant les forces nucléaires chinoises.
La pluie d'articles publiés dans les journaux chinois sur l'équilibre nucléaire après la parade militaire du 3 septembre 2015, où avaient été présentées les forces balistiques chinoises, saute aux yeux. Le clou du défilé était le DF-26, le missile antinavire de longue portée, une évolution du missile DF-21D de moindre portée. Le numéro de novembre du magazine présente plusieurs articles sur le DF-26, qui le qualifient d'"arme nucléaire conventionnelle à double usage" (c'est-à-dire civil et militaire). Ces articles visent certainement à réfuter la supposition selon laquelle l'apparition de cette arme en Chine mènerait à la déstabilisation. Tout comme leurs homologues américains, les stratèges chinois disent (du moins à leurs citoyens) que le nouvel armement diversifié renforce le potentiel de dissuasion et, par conséquent, la stabilité.
Dans l'ensemble, un enthousiasme très modéré règne malgré tout à Pékin concernant les chances d'un accroissement rapide de l'arsenal nucléaire de la Chine. Sur le forum à orientation nationaliste du Global Times, un commentateur de l'Institut chinois d'études internationales créé avec le ministère des Affaires étrangères a laissé plusieurs commentaires éclairant la question posée sur le forum un an plus tôt: "De combien de bombes nucléaires la Chine a-t-elle besoin?" Il écrit avec une inquiétude flagrante que "nous avons entendu des voix exigeant de nous doter d'un arsenal nucléaire semblable à la grande puissance". Il suggère au contraire de concentrer les efforts sur la création de "forces nucléaires d'élite réduites et efficaces". De la même manière, l'ex-directeur adjoint du Bureau de sécurité nucléaire de la marine avait proposé que la Chine possède un arsenal moyen, et prenne exemple sur la France et le Royaume-Uni en n'utilisant pas plus de quatre sous-marins nucléaires. Les USA et la Russie disposent d'un bien plus grand nombre de sous-marins stratégiques.
Les spécialistes chinois sont également inquiets car le nouvel armement nucléaire américain sape le potentiel de dissuasion de la Chine. On rencontre également au fil des articles des craintes concernant l'armement nucléaire tactique. En Chine, on a beaucoup parlé de la modernisation de la bombe nucléaire américaine B-61. Dans le même numéro que celui consacré au vecteur DF-41, on trouve un diagramme décrivant en détails les caractéristiques du B-61, y compris l'"émission programmée" permettant à l'opérateur de régler la puissance de l'explosion entre 0,3 et 50 kilotonnes. En novembre également, le magazine Aerospace Knowledge avait publié en double page la photo des missiles russes SS-26 Iskander, armement nucléaire tactique à courte portée. De plus, les débats portent également en Chine sur l'armement nucléaire tactique pour combattre les sous-marins, ainsi que l'importance de missiles de croisières lancés par des sous-marins capables d'embarquer des ogives nucléaires. Espérons qu'il s'agit là d'analyses académiques et non d'une élaboration réelle de nouveaux types d'armement.
L'apparition sur internet de conversations sur la multitude de nouveaux systèmes nucléaires en Chine est donc autant source d'inquiétude que d'optimisme. En tant qu'individu circulant souvent dans les trains à grande vitesse en Chine, je m'imagine personnellement les sommes astronomiques dépensées pour ces voies ferrées, même si cet argent aurait pu servir à créer un arsenal nucléaire. Le fait que cela ne soit pas le cas parle en faveur du gouvernement chinois et de son choix des priorités. Les stratèges américains doivent se souvenir de cette retenue chinoise, notamment quand ils mettent sur la balance la création de nouveaux armements coûteux (l'accroissement des systèmes de défense antimissile, un nouveau bombardier stratégique, le sous-marin SSBN-X et une frappe globale immédiate) et la recherche de moyens pour retenir