Les preuves sont nombreuses que le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan a facilité le flux de combattants, d’armes et d’argent à cette milice.
Le gouvernement syrien s’est officiellement adressé aux Nations-Unies à propos d’incursions menées sur son territoire par des troupes turques. La protestation syrienne auprès de l’ONU est intervenue alors qu’on apprenait que des soldats turcs avaient traversé la frontière et pénétré dans la ville syrienne de Jarablus sur la rive ouest de l’Euphrate.
Une action militaire turque en Syrie risque d’intensifier le conflit dans ce pays et accroît la menace d’une confrontation entre la Turquie et la Russie. Les relations entre Ankara et Moscou sont restées tendues depuis la destruction en vol d’un avion militaire russe au-dessus du territoire syrien le 24 novembre.
Jarablus est sous le contrôle de Daech (EI), mais subit la pression croissante des forces des Unités populaires de protection kurdes syriennes (YPG) qui ont reçu le soutien de Washington dans sa prétendue guerre contre l’EI .
La Turquie, une alliée des États-Unis au sein de l’OTAN, est censée faire partie de la coalition anti-EI. Mais les preuves sont nombreuses que le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan a facilité le flux de combattants, d’armes et d’argent à cette milice et a tacitement sanctionné la contrebande vers la Turquie de pétrole produit par les installations contrôlées par l’EI en Syrie.
Le principal but de la Turquie en Syrie a été d’empêcher la consolidation d’une région autonome kurde à sa frontière sud. Le gouvernement d’Ankara a déclaré que toute tentative des YPG à passer sur la rive ouest de l’Euphrate et de relier les deux cantons kurdes de Kobane et Afrin serait une « ligne rouge » qui déclencherait une intervention militaire turque.
Des combattants de l’EI n’auraient opposé aucune résistance à l’incursion turque, ce qui montre la collaboration à peine dissimulée entre les islamistes et l’Etat turc.
L’agence de presse kurde syrienne ARA a déclaré que l’armée turque avait mené une attaque d’artillerie mardi contre le siège des YGP dans la ville frontière syrienne de Tel Abyad, blessant au moins deux combattants kurdes et détruisant trois véhicules blindés.
La ville, située au nord de de Raqqa, la capitale de fait de l’EI, avait été reprise par des unités YPG dans des combats avec la milice (...) salafiste en juin dernier.
Le bellicisme de la Turquie en Syrie est lié à sa campagne de répression sanglante contre la population kurde en Turquie même. Amnesty International a condamné mercredi le gouvernement turc pour avoir infligé une «punition collective» à sa population kurde par des «couvre-feu 24 heures sur 24 et d’autres mesures arbitraires qui ont privé les habitants d’accès aux soins de santé d’urgence, à la nourriture, à l’eau et à l’électricité pendant de longues périodes ».
Cette répression s’est constamment accrue depuis l’effondrement en juillet dernier d’un « processus de paix » de deux ans entre le gouvernement turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Plus de 300 civils ont été tués au cours de la campagne de répression turque, dont au moins 61 enfants. Rien qu’entre le 11 décembre 2015 et le 8 janvier 2016, 162 civils ont été tués.
Le Vice-président américain Joe Biden est arrivé à Istanbul jeudi soir pour des entretiens avec Erdogan et le premier ministre Ahmet Davutoglu, centrés vraisemblablement sur la relation tordue et multidimensionnelle entre la question kurde, la campagne contre l’EI et la guerre de changement de régime orchestrée par l’impérialisme occidental en Syrie.
Washington et Ankara cherchent tous deux à renverser le gouvernement du président syrien Bachar al-Assad et sont hostiles aux intérêts russes dans la région. Il y a cependant entre eux des différences tactiques majeures.
Si les Etats-Unis ont exprimé leur appui à la répression d’Erdogan contre le PKK et la population kurde à l’intérieur de la Turquie, le Pentagone a envoyé des «conseillers» pour aider les combattants kurdes YPG du côté syrien de la frontière, s’en servant comme des troupes au sol pour prendre du territoire dans la campagne de bombardement américaine contre l’EI.
Erdo&;an a permis aux États-Unis d’utiliser la base aérienne turque d’Incirlik pour mener des frappes aériennes contre les positions de l’EI en Syrie, mais son armée a concentré ses propres frappes sur les forces kurdes, aussi en Irak où le gouvernement de Bagdad a dénoncé l’intervention turque comme une violation de la souveraineté du pays.
On s’attend à ce que Biden fasse pression sur la Turquie pour qu’elle ferme un tronçon de100 kilomètres non sécurisé sur sa frontière avec la Syrie, qui sert de voie d’approvisionnement principale à l’EI. Le gouvernement turc préfère cependant de loin que ce soit l’EI plutôt que les YGP kurdes qui contrôle cette zone frontalière.
Toute mesure visant à sécuriser la frontière sera inévitablement accompagnée d’une intervention turque afin de mettre fin à une avance kurde, soit par l’occupation militaire turque directe soit par le contrôle de la région par d’autres milices liées à Al-Qaïda comme le Front al-Nusra, Ahrar Al- Sham ou Jaish al-Islam, qui ont toutes bénéficié du soutien de la Turquie.
La montée des conflits menace de faire capoter les pourparlers prévus à Genève lundi prochain et dont le but ostensible est de parvenir à une fin négociée de la guerre civile de près de cinq ans qui a coûté la vie à environ un quart de million de Syriens et transformé des millions d’autres en réfugiés .
Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry a accepté jeudi que les pourparlers pourraient être reportés pour « un jour ou deux ». A des journalistes lui demandant, au Forum économique mondial de Davos, s’il y aurait du retard, Kerry a répondu, « Quand vous dites retard, ce peut être un jour ou deux pour les invitations, mais il n’y aura pas de retard fondamental ».
Le « retard », cependant, concerne précisément la question de savoir quelles organisations seront invitées à assister aux pourparlers. Washington et Moscou ont convenu que ni l’EI ni le Front al-Nusra ne seraient inclus dans les pourparlers de paix. Toutefois, le gouvernement Obama insiste pour que des groupes djihadistes salafistes tels qu’Ahrar al-Sham et Jaish al-Islam, qui partagent les conceptions et les méthodes essentielles d’Al-Qaïda, devraient être inclus en tant que «rebelles modérés ». Le gouvernement russe a insisté pour qu’ils soient exclus comme «terroristes».
Moscou, à son tour, a demandé que les YPG kurdes syriens soit inclus dans les négociations, alors que la Turquie a elle, déclaré qu’elle les considérait tout aussi «terroristes» que l’EI.
Selon un article sur le site Web Foreign Policy , l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie Staffan de Mistura a indiqué au Conseil de sécurité des Nations unies que l’Arabie saoudite sabotait sa tentative d’amener un large éventail de groupes d’opposition syriens aux pourparlers de Genève.
Il a dit que le soi-disant Haut Comité des négociations (HNC), bricolé à Riyad par la monarchie saoudienne et dominé par les milices islamistes, avait rejeté la participation aux pourparlers de tous les autres groupes. Il a dit au Conseil de sécurité que le HNC et ses « parrains » insistaient sur « la primauté et l’exclusivité de leur rôle en tant que ‘LA’délégation de l’opposition. »
Ces «parrains» comprennent non seulement le régime saoudien, mais aussi le Qatar, la Turquie et les États-Unis mêmes. Dans un briefing mardi le porte-parole du département d’Etat John Kirby a dit: «Comme nous le disions après Riyad, l’opposition sera représentée à cette réunion par les délégués choisis dans le Haut Comité des négociation et seulement dans le Haut Comité des négociations ».
L’objectif de Washington reste d’obtenir, par un mélange de négociations et de soutien continu aux milices sectaires islamistes en Syrie ce qu’il a jusqu’ici été incapable d’accomplir: le renversement d’Assad et l’imposition d’un régime fantoche plus complaisant. En continuant à oeuvrer dans ce but, il a déclenché une série de conflits régionaux et internationaux acharnés qui menacent de dégénérer en une guerre beaucoup plus large avec des conséquences dévastatrices pour la région et le monde entier.
Source: Mondialisation