L’initiative est fortement soutenue par l’Allemagne, qui cherche à maintenir ses contrôles à la frontière avec l’Autriche.
C’est le grand sujet de préoccupation des Européens en ce début 2016. Alors que le flux des migrants qui risquent leur vie en Méditerranée pour rejoindre les côtes européennes se renforce chaque jour, la fermeture de l’espace Schengen de libre circulation européen est passée depuis une semaine du stade de menace à celui de possibilité réelle.
Quel impact aurait une telle mesure sur l’économie européenne, et tricolore en particulier ? C’est ce que s’est demandé France Stratégie, organisme de réflexion lié à Matignon, dans un exercice encore inédit en Europe, publié mercredi 3 février.
« Il est évident que le système actuel ne fonctionne plus. Les discussions actuelles reviennent à remettre en cause la réalité de l’espace Schengen, et pourraient aboutir à un rétablissement général des contrôles aux frontières », souligne Jean Pisani-Ferry, le commissaire général de France Stratégie.
De fait, la Commission européenne a lancé, mercredi 27 janvier, une procédure qui pourrait mener à rétablir pour deux ans les contrôles à certaines frontières intérieures de l’Union. Objectif : endiguer le flot des 1,2 million de réfugiés qui ont rejoint l’Union européenne en 2015, en majorité en passant par la Grèce.
L’initiative est fortement soutenue par l’Allemagne, qui cherche, autant par pragmatisme que par nécessité politique, à maintenir ses contrôles à la frontière avec l’Autriche. Réintroduits en septembre, ceux-ci ne peuvent, en l’état, être maintenus au-delà de huit mois sans l’activation de la procédure de la Commission. Dans le cas spécifique de la France, la mise en place de l’état d’urgence après les attentats du 13 novembre en Ile-de-France s’est également traduite par un rétablissement des contrôles aux frontières.
Deux scénarios
La décision de Bruxelles, inédite, pourrait conduire à rien moins qu’à une mise en quarantaine de la Grèce, accusée de négligence dans le contrôle et l’enregistrement des migrants à leur arrivée sur son sol. Athènes a désormais trois mois pour reprendre le contrôle de sa frontière. A l’échelle européenne, une telle situation aurait des conséquences non négligeables sur l’économie, argue France Stratégie.
« Si les considérations d’efficacité et de sécurité sont naturellement celles qui comptent le plus dans le contexte actuel, il n’est pas possible d’ignorer les conséquences économiques qu’aurait un éventuel abandon des accords de Schengen ».
Pour l’économie tricolore, « à court terme, le coût direct serait d’un à deux milliards d’euros, suivant la fréquence des contrôles aux frontières », estiment les auteurs. Ils ont élaboré deux scénarios, en s’inspirant notamment de ce qui se fait à la frontière britannique : un scénario bas où les temps supplémentaires de passage de frontières seraient modérés, et un scénario haut où ces temps seraient doublés, les camions étant systématiquement contrôlés. La note en conclut que la moitié du coût serait due à une baisse de la fréquentation par les touristes, dissuadés de découvrir l’Hexagone en raison des files d’attente aux principaux points de passages des frontières.
Effets sur l’investissement étranger
38 % du coût proviendrait de l’impact sur les quelque 350 000 travailleurs frontaliers se rendant quotidiennement en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg, en Suisse ou en Espagne, et 12 % au coût sur les transports de marchandises. Les chercheurs soulignent en effet que « pour les usagers, le contrôle des frontières est assimilable à une taxe sur les déplacements et les transactions commerciales.
« A court terme, le coût reste modéré puisqu’il représente moins d’un millième du [produit intérieur brut] PIB français [2 132,4 milliards d’euros en 2014, dernier chiffre disponible]. Mais si cette situation devait devenir la norme, cela pourrait se révéler problématique », note Pisani-Ferry.
A long terme, en effet, c’est tout le commerce entre pays de l’espace Schengen qui serait affecté, estime France Stratégie. Lorsque deux pays appartiennent à l’espace Schengen, le commerce annuel total entre ces deux pays est supérieur de 10 % à 15 %, ont calculé les experts. Pour la France, la généralisation permanente des contrôles serait équivalente à une taxe de 3 % sur le commerce entre pays de la zone, qui se traduirait par une perte d’au moins une dizaine de milliards d’euros, soit un demi-point de PIB à un horizon de dix ans. « Ce résultat […] pourrait être augmenté d’effets sur l’investissement étranger et les flux financiers (prêts bancaires…) » précise France Stratégie.
Baisse des exportations
L’organisme a calculé qu’une telle situation induirait en 2025 une baisse des exportations de la France vers les autres membres de l’espace Schengen respectivement de 11,4 % et de 10,8 %, selon que le partenaire est un membre de l’Union européenne ou non. Les importations de la France en provenance de ces partenaires se réduiraient respectivement de 11,4 % et 13,7 %.
Pour l’ensemble des pays de l’espace Schengen, l’impact serait même de l’ordre de 0,8 point de PIB, soit 110 milliards d’euros, « car certains pays sont plus ouverts que la France » précise Pisani-Ferry, qui n’a pas fait d’analyse plus spécifique par pays.
« Ces montants sont substantiels. L’impact d’un renforcement temporaire des contrôles aux frontières devrait demeurer d’ampleur limitée, mais celui d’un abandon permanent du système de Schengen aurait un coût économique notable, plus élevé que ce qu’on estime avoir été les bénéfices commerciaux de l’euro », conclut France Stratégie. Voilà les dirigeants européens prévenus.
Source: Le Monde