L’Indonésie n’a plus connu d’attaques terroristes majeures depuis 2009.
Le 14 janvier 2016, des militants affiliés au groupe Daech ont perpétré une série d’explosions à Jakarta, capitale de l’Indonésie, faisant plusieurs victimes dont au moins deux civils.
Le président du pays Joko Widodo, plus connu sous le nom de «Jokowi» s’est exprimé dans le New York Times d’une façon remarquable:
«Nous condamnons les actions qui ont pour but de semer la terreur en perturbant la sécurité publique et en dérangeant la tranquillité du peuple, affirme Mr Joko. […] J’ai donné l’ordre au chef de police et au ministre des affaires politiques, légales et de la sécurité chargée de la coordination de poursuivre et d’arrêter les auteurs de ces crimes ainsi que leurs réseaux.»
«Le peuple ne doit pas avoir peur et ne devrait pas faillir face à ces actes terroristes, ajoute-t-il. Je souhaite que le peuple reste calme puisque tout est maîtrisé.»
Au lendemain des attentats, alors que les autorités ont intensifié la sécurité et que les forces anti-terroristes ont mené des raids, Jokowi a visité le site de l’attaque et a souligné que les choses étaient revenues à la normale.
Ces déclarations sont remarquables, car elles sont subtiles et empreintes d’une certaine omission. D’abord, remarquez la façon modérée et sérieuse dont il fait preuve pour parler de l’impact des attaques. Elles ont perturbé la sécurité publique. Elles ont dérangé la paix. La réponse du gouvernement est empreinte de volonté de faire régner l’ordre. Il souligne que les Indonésiens ne devraient pas être effrayés et que la situation est sous contrôle. Il se concentre sur la neutralisation du but premier des terroristes, celui de terroriser une plus large population et de l’embrigader. «Le Peuple, dit-il, ne doit pas s’avouer vaincu». (Le hashtag We are not Afraid, qui signifie Nous n’avons pas peur a surgi sur la plateforme du réseau social Twitter une heure après les attaques.)
Et puis il y a également ce qu’omet Jokowi: il ne déclare pas que l’Indonésie est en état de guerre contre le groupe Daech, contre l’islam radical ou encore contre le terrorisme. Il ne suggère en aucun cas que l’avenir de l’Indonésie est en jeu. Il ne semble pas alarmé.
Comparez la réponse de Jokowi à la réaction de François Hollande face aux attaques de l’année dernière perpétrées par le groupe Daech. Trois jours après le massacre, le président français se tenait devant le Parlement en proclamant que «la France est en guerre». Il a mentionné plusieurs points semblables à ceux qu’a utilisés Jokowi, demandant un retour rapide au calme et exprimant la confiance en la capacité du gouvernement et du peuple français à s’opposer aux principaux auteurs de ces attaques. Mais en appelant aux attaques aériennes contre Daech en Syrie et en Irak, à un état d’urgence étendu en France et à un dispositif national de sécurité, il appelle au combat en des termes plus épiques et plus extrêmes que son homologue indonésien:
«Il ne peut pas être dit que nous sommes engagés dans une guerre de civilisation contre ces assassins qui ne représentent en rien une civilisation. Nous sommes en guerre contre les terroristes djihadistes qui menacent le monde entier et non juste la France. […] Le terrorisme ne détruira pas la France parce que la France, elle, le détruira.»
Si on s’attarde un peu sur les mots de Hollande, on s’aperçoit qu’ils sont moins rassurants qu’il n’y paraissait à première vue: la France doit détruire le terrorisme et ces praticiens venus d’un autre monde, semble-t-il dire, parce qu’autrement le terrorisme pourrait détruire la République et mettre le monde en danger.
Il vaut cependant la peine de souligner que ces deux déclarations surviennent au cours de circonstances bien distinctes l’une de l’autre. Les attentats de Paris ont tué 130 civils contre deux à Jakarta. La France venait seulement de se relever de l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo; l’Indonésie n’a plus connu d’attaques terroristes majeures depuis 2009. Contrairement à l’Indonésie, la France est membre de la coalition militaire menée par les États-Unis contre Daech. En France, 18 personnes par million de citoyens musulmans sont suspectées de partir combattre en Syrie et en Irak. En Indonésie, ce nombre n’est estimé qu’à une personne sur 1 million.
Il est fort probable que l’Indonésie ait autant à craindre ces attaques terroristes que la France, si ce n’est plus. L’Indonésie est le pays qui rassemble la plus large population musulmane au monde, et l’État islamique essaie par tous les moyens d’y recruter des partisans. Comme mon collègue Edward Delman l’a fait remarquer, l’Indonésie a également une longue et douloureuse histoire en ce qui concerne l’activité terroriste, depuis la déclaration de Darul Islam sur un «État islamique» en 1949 jusqu’aux attentats à la bombe de Jemaah Islamiyah à Bali en 2002. Un des militants islamiques les plus en vue du pays a prêté allégeance à Daech.
Et pourtant Jokowi, de confession musulmane, préconise d’associer la puissance militaire à une approche douce envers l’extrémisme radical qui utilise les forces religieuses et culturelles. Pour l’Indonésie, ceci implique de travailler en collaboration avec des organisations islamiques modérées, notamment sur le plan de l’éducation mais également pour la mise en place de campagnes de sensibilisation de la population à propos de l’islam et de la façon dont il peut être perverti en soulevant les sources socio-économiques du terrorisme.
Peu de temps après sa nomination présidentielle en 2014, Jokowi a déclaré au journal Foreign Affairs que «pour traiter le radicalisme et l’extrémisme, nous devons traiter les inégalités économiques». «Je veillerai à garder l’équilibre entre la prévention et l’application des lois du contre-terrorisme. Nous avons plus de 20 ans d’expérience en ce qui concerne le terrorisme.»
Demandez-lui de ce qu’il pense de Daech et comment il évaluerait la menace terroriste actuelle en Indonésie. Il répond, «Je pense (que la menace est) plus ou moins en déclin.» (Jokowi est plus alarmiste et plus dur concernant d’autres activités qui rongent le pays, notamment le trafic de drogue.)
Les dossiers diplomatiques des États-Unis divulgués par WikiLeaks détaillent les efforts de Jokowi pour mettre cette théorie en pratique lorsqu’il occupait le poste de maire de Surakarta (connu sous le nom de Solo). Un des dossiers de 2006 stipulait que cette ville javanaise était devenue un eldorado pour des groupes radicaux et une destination potentielle pour Abu Bakar Ba’asyir, le principal suspect des attentats de Jamaah Islamiyah sorti récemment de prison à l’époque. Mais le nouveau maire, qui est entré en politique après avoir été à la tête d’une entreprise de menuiserie, prévoyait d’agir :
Il était optimiste concernant l’économie de Solo, vantant les bonnes perspectives d’emploi dans les manufactures locales de menuiserie et de textile ainsi que le haut revenu par habitant. Il y voit son plus grand défi, celui d’encourager les investissements à Solo. «Je ne veux pas que Solo soit associée à Ba’asyir, affirme-t-il fermement. Seulement 2% ou 3% de la population peuvent être définis ainsi, le reste n’étant pas concerné.»
Il a souligné que de nombreuses compagnies étrangères avaient récemment investi à Solo notamment les chaînes de supermarchés comme Makro et Carrefour. Widodo a aussi formé un groupe interreligieux peu de temps après son élection, et rencontre régulièrement les dirigeants chrétiens et musulmans locaux pour discuter des questions communautaires et améliorer la communication entre ces groupes.
En 2009, les dossiers divulgués par Wikileaks suggéraient que la campagne de Jokowi avait été couronnée de succès (bien que l’épineux dossier de la traque des extrémistes ne soit pas un franc succès; selon les autorités indonésiennes, les personnes ayant perpétré les attentats de Jakarta appartenaient à un groupe basé à Solo) :
Le maire Joko Widodo nous a dit qu’il continuait ses efforts dans la dé-radicalisation des militants à Solo. Widodo affirme qu’il tient régulièrement des réunions avec les habitants de Solo pour leur faire prendre conscience de la menace instaurée par les terroristes et les extrémistes. (Note… Le maire Widodo a su remettre de l’ordre dans la ville de Solo. Il y a de ça quelque année, des extrémistes patrouillaient dans les rues perpétrant violences et menaces. En travaillant conjointement avec la police et en se concentrant sur les possibilités économiques, Widodo a pu arrêter la violence et améliorer de façon radicale le quotidien des habitants de la ville.)
L’approche de Jokowi n’est pas nécessairement la bonne, ou celle qu’il aurait adoptée si l’Indonésie avait connu une attaque similaire à celle de Paris. Cependant elle sert de rappel montrant qu’il existe plusieurs façons de répondre au terrorisme, que la résilience sociétale peut être accentuée autant que la fermeté militaire, que la menace terroriste peut être étudiée et contextualisée comme le sont d’autres menaces auxquelles le pays fait face.
Barack Obama a invoqué cette notion lors de son Discours sur l’état de l’Union le mardi 12 janvier dernier. Contrairement à ce que les républicains suggèrent, il stipule que l’État islamique ne présente pas une menace civilisationnelle ou existentielle :
«Alors que nous nous concentrons sur la destruction de l’État Islamique, ceux qui proclament que la troisième guerre mondiale a commencé ne font que jouer leur jeu. Le nombre important de combattants postés à l’arrière des pick-ups, ou les nombreux réseaux présents dans les appartements ou garages au sein desquels des complots s’instaurent présentent un énorme danger pour les civils et doivent être arrêtés. Mais ils ne présentent aucune menace à notre survie en tant que nation.
C’est l’histoire que Daech veut nous faire croire car cette propagande est utilisée à des fins de recrutement. Nous n’avons pas besoin de les mettre sur un piédestal pour montrer que nous sommes sérieux ni de nous mettre à dos des alliés importants dans ce combat en répétant le mensonge que l’État Islamique est représentatif d’une des plus grandes religions du monde. Nous devons seulement les appeler par leurs noms, des tueurs et des fanatiques qui doivent être expulsés, pourchassés et détruits.»
Le discours d’Obama pourrait être lu comme une défense de sa politique de lutte contre le terrorisme. Mais il peut aussi être perçu comme une méditation sur le terrorisme lui-même – un défi pour différencier la menace du terrorisme et celle de la peur du terrorisme et décider laquelle est la plus inquiétante.
Source: Réseau International