L’apparition de certains éléments d’une nouvelle architecture politique internationale sera très certainement associée à l’éventuelle solution globale aux problèmes de désarmement nucléaire.
La Russie et les États-Unis ont relancé publiquement le dialogue sur le désarmement nucléaire - tout en précisant d'emblée que ses perspectives resteraient floues tant qu'il n'y aurait pas d'entente sur les questions qui préoccupent les deux pays. Mais pourquoi ce processus s'est-il immédiatement enlisé après la percée du traité START 3?
Un nouveau cycle de discussions sur le traité de réduction des armes stratégiques (START) a eu lieu le weekend dernier: les participants n'ont rien dit de nouveau, se contentant de répéter tous les arguments avancés ces cinq dernières années. Moscou et Washington se préparent déjà à la 5e Conférence de Munich sur la sécurité internationale, qui se déroulera les 26 et 27 avril 2016. Dans cette perspective, la Russie et les USA ont mis davantage l'accent sur les lignes de confrontation et les questions primordiales.
Personne ne s'attend à un progrès ou à de nouveaux dénouements sur la question du désarmement nucléaire. Les acteurs du dossier s'opposent au sujet de plusieurs problèmes importants dans leurs relations, qui demanderaient de sérieuses concessions pour être réglés.
Le monde après le traité START-3
Le traité de réduction et de restriction des armements stratégiques offensifs (START 3) signé en avril 2010 à Prague est pour l'instant le dernier progrès important sur le plan du désarmement nucléaire. Les pays signataires se sont entendus pour limiter le nombre de vecteurs stratégiques (jusqu'à 700 déployés ou jusqu'à 800 en comptant les non déployés) et d'ogives nucléaires (jusqu'à 01.550 unités).
On peut trouver deux raisons principales à cette décision. Premièrement, les forces stratégiques russes se sont retrouvées dans une sorte de fossé ces 2-3 dernières années: les anciens missiles sont retirés du service sans être remplacés. On est encore loin d'un véritable renversement de tendance mais c'est sans compter, pour l'instant, le futur retrait des vecteurs lourds obsolètes datant de l'époque soviétique — dont on ignore s'ils seront remplacés.
C'est pourquoi, à la fin des années 2000, il était très favorable pour Moscou d'associer le déclin de ses propres forces nucléaires aux restrictions artificielles appliquées aux Américains dans l'accord bilatéral. Ce qui a été fait.
La deuxième raison est à chercher dans les termes du traité START 1 en vigueur depuis 1991, dans lequel Moscou s'était engagé à respecter plusieurs restrictions contraignantes. En particulier, il était question d'un contrôle minutieux de la production d'armements balistiques et d'inspections de sites militaires où étaient déployés des missiles stratégiques. Le droit de contrôle des lancements de missile a été supprimé à Prague et le nombre d'inspections a été réduit.
De plus, le régime d'échange d'informations télémétriques lors des essais de missiles stratégiques a été considérablement assoupli. Le START 1 exigeait de transmettre des données complètes, alors que le START 3 limite cette obligation à cinq lancements par an. Cette condition est avantageuse pour la Russie qui a lancé le développement de plusieurs projets de nouveaux missiles (la télémétrie des anciens missiles est déjà très bien analysée par les Américains).
Le START 3 a également levé des restrictions du START 1 extrêmement défavorables pour la Russie, notamment sur la superficie et le nombre de régions où pouvaient être déployés les complexes mobiles.
Surtout, le plafond du nombre de vecteurs et d'ogives a été défini par un total global, sans répartition stricte des quotas sur les composantes de la triade stratégique. Dès lors, les pays avaient la possibilité de déterminer à leur convenance le nombre de missiles opérationnels à déployer dans les silos et sur les vecteurs mobiles, combien dans les sous-marins et combien à bord de bombardiers stratégiques sous la forme de missiles de croisière.
Les acteurs du traité sont ensuite retournés chez eux réfléchir à de nouveaux arguments pour la prochaine étape de désarmement nucléaire.
Presque immédiatement: nouvelle proposition américaine
Rapidement, le président américain Barack Obama a avancé une nouvelle initiative: commencer la préparation du START 4 pour qu'il soit finalisé avant l'expiration du traité en vigueur en 2020 — avec un éventuel prolongement jusqu'en 2025 en cas d'accord des parties.
Pour poser les bases de ce traité, Obama a proposé de réduire le plafond des ogives d'un tiers, jusqu'à 1.000-1.100 unités. Cette proposition reste valable aujourd'hui: pas plus tard qu'en février 2016, ce chiffre a été repris dans une interview par la sous-secrétaire d'État américaine Rose Gottemoeller.
La Russie n'a pas avancé de nouvelles propositions mais ses commentaires sur le traité START 3 suffisent: "On pouvait mieux faire, mais dans l'ensemble tout nous convient". Par conséquent, Obama tente manifestement, avec son idée, de définir de manière unilatérale l'ordre du jour des négociations.
Il y parviendrait si sa proposition convenait aux deux parties sans conditions préalables et qu'elle parvenait au stade des négociations. Cependant à Moscou — et curieusement à Washington — la proposition du prix Nobel de la paix a provoqué de violentes crises d'"associations" traditionnelles, plus caractéristiques des négociations du début des années 1980.
Ce problème existe et vous le connaissez
Les militaires russes, qui avaient une vision globale très positive du START 3, sont restés sceptiques quant à l'initiative d'Obama de continuer de réduire le nombre d'ogive d'un tiers. Selon eux, la réduction des forces stratégiques russes déjà en vigueur n'avait rien de terrible car elle n'empêchait pas de remplir les tâches militaires nationales.
Mais si, selon la version de Prague, cette tâche pouvait être remplie, des garanties supplémentaires étaient nécessaires en cas de plafond à 1.000-1.100 ogives. Cette garantie, précisément, consistait à réduire les capacités du bouclier antimissile (ABM) global américain.
La Russie a exprimé ses préoccupations concernant la mise en place de ce système pendant de longues années mais les tentatives d'obtenir quoi que ce soit de la part de Washington en la matière, hormis la réponse permanente selon laquelle "ce système n'est pas dirigé contre vous" (comprendre: "nous n'avons donc pas l'intention d'en parler avec vous"), ont conduit à l'inscription dans le préambule du traité de Prague de l'accord des deux parties sur la présence d'un lien entre les armements stratégiques offensifs et défensifs.
Cette formulation, présentée en 2010 par certains observateurs comme une percée politique vers un nouveau traité sur l'ABM, n'est en réalité pas contraignante. Plus encore, les parties ont déclaré pour la première fois dans l'histoire du désarmement nucléaire qu'ils prenaient en compte l'impact des missiles intercontinentaux non nucléaires sur la stabilité stratégique. On s'est alors immédiatement mis à élaborer le matériel militaire approprié — pour avec un impact.
Ainsi, Obama n'a pas rencontré l'approbation russe mais un renforcement des exigences de Moscou quant à la réduction du potentiel de l'ABM, condition préalable à toute nouvelle négociation sur le désarmement.
Autre nuance: la Russie accroît actuellement la production de nouveaux armements nucléaires, qui doivent compenser le retrait des anciens vecteurs soviétiques. Il est question pour l'instant essentiellement de missiles mobiles Topol des premières générations, mais bientôt les missiles de silo UR-100NUTTKh et R-36M2 seront remplacés par Iars et Sarmat, et les forces stratégiques navales seront dotées du missile Boulava à bord des sous-marins du projet 955.
Enfin, le traité de Prague permet de faire passer le minimum possible d'ogives en régime légal, ce qui restreint strictement la course aux armements nucléaires. Au final, la Russie a reçu la possibilité de produire en série de tous nouveaux missiles, dont les quotas pourront être modifiés si besoin dans le traité START à partir de 2021.
Montrez ce que vous avez derrière le mur
La première objection à la proposition du président Obama est venue du congrès américain. Dès que le chef de l'État a mentionné le chiffre de 1 100 ogives, les républicains ont répondu à l'unisson: "Comment peut-on réduire encore ce plafond?". Puis: "D'accord, mais seulement après le règlement du problème de l'armement nucléaire tactique (ANT) russe".
La Russie a effectivement accumulé d'importantes réserves d'ANT et, sur plusieurs axes, les exploite comme un instrument de dissuasion continentale. Les militaires expliquent que l'ANT permet de niveler considérablement la domination des forces générales de l'Otan et de la Chine sur la Russie.
Le problème de l'ANT ne date pas d'hier mais son règlement n'a encore jamais été abordé. Il est très difficile de mettre en place la prise en compte et le contrôle de cet armement qui, d'une part, n'est pas opérationnellement déployé (il n'est pas en alerte comme les forces stratégiques de dissuasion), et, de l'autre, représente presque toujours une "version spéciale" des munitions conventionnelles (bombes, missiles ou obus).
Dans ces conditions, il paraît impossible pour l'instant d'instaurer des mécanismes de comptabilité et de contrôle des ogives et des vecteurs créés dans le cadre des traités START et des négociations sur la limitation des armes stratégiques (SALT) — même si la Russie acceptait un tel contrôle au regard de l'importance de conserver une souplesse dans le perfectionnement de l'ANT.
Autre problème: ces dernières années les USA ont renforcé leur pression sur la Russie à cause de l'élaboration et du déploiement, par Moscou, d'armements allant potentiellement à l'encontre du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF). Il est question notamment des nouveaux missiles de croisière (ancêtres des 3M10 Granat soviétiques et parents proches des fameux 3M14 du système Kalibr), ainsi que du missile intercontinental Roubej considéré par les USA comme de moyenne portée.
Dans ce contexte, évidemment, toute nouvelle restriction des armements offensifs sera automatiquement associée par Washington au dénouement des problèmes liés à l'INF. Cela pourrait être un obstacle significatif.
Il ne sera possible de dénouer ce nœud que par une approche complexe incluant le règlement des problèmes militaro-techniques comme l'ANT russe et l'ABM américain, ainsi que des éléments militaro-politiques comme l'expansion de l'Otan vers l'Est, ainsi que l'insuffisance des régimes de sécurité internationale post-Yalta.
L'idée d'un analogue du congrès de Vienne qui déterminerait le nouveau visage du monde et garantirait le respect des intérêts vitaux des grandes puissances se glisse parfois dans les médias russes et dans les avis d'experts, mais n'est pas formulée en tant que telle. Dans le même temps, on sait que l'apparition de certains éléments d'une nouvelle architecture politique internationale sera très certainement associée à l'éventuelle solution globale aux problèmes de désarmement nucléaire.