25-11-2024 11:18 AM Jerusalem Timing

Interdiction de venir au monde à Jérusalem, sauf si labellisé « juif »

Interdiction de venir au monde à Jérusalem, sauf si labellisé « juif »

« Nous voulons faire connaître le traitement que subissent les Palestiniens de Jérusalem».


Un couple franco-palestinien subit une course contre la montre après que les autorités israéliennes ont détenu et expulsé en janvier une employée du consulat français, Elsa Lefort, enceinte de six mois et demi, l’empêchant de retourner auprès de son époux et dans leur maison à Jérusalem-Est (al-Qods) sous occupation.

Alors qu’elle n’est qu’à quelques jours de la date limite autorisée par sa grossesse pour voyager en avion, Elsa Lefort et son mari, Salah Hamouri, tentent désespérément de défendre leur cas de façon à ce que leur enfant puisse naître à Jérusalem (al-Qods), illustrant par leur situation si particulière les difficultés auxquelles font face les Palestiniens pour conserver leur droit et lieu de résidence dans la ville sainte occupée.

Enceinte de six mois et un « danger pour la sécurité d’Israël »

Hamouri, dont la mère est française et le père palestinien, est bien connu, après avoir passé près de sept ans emprisonné par les autorités sionistes lors de la Seconde Intifada. Il a été emprisonné sous l’« accusation » d’être un membre du Front Populaire pour la Libération de la Palestine et d’avoir envisagé l’assassinat de Obadia Yossef, le leader du Shas [extrême-droite religieuse], charge qu’il a toujours niée.

Hamouri a été libéré en 2011 grâce à l’échange de prisonniers palestiniens avec Gilad Shalit [soldat israélien capturé par la résistance palestinienne]. Plus tard, en mai 2014 dans la partie Est de Jérusalem, il a épousé Elsa Lefort, très engagée dans le mouvement de solidarité en France pour sa libération.

Elsa Lefort a déclaré à Ma’an qu’en juin 2014, elle avait entamé le processus de demande de visa pour conjoint, afin d’obtenir son propre statut de résidente de Jérusalem-Est.

Toutefois, la procédure a traîné pendant plus d’un an jusqu’en août 2015, moment où elle a été informée que sa demande avait été refusée.

Elsa a fait appel de la décision du ministère israélien de l’Intérieur de refuser son visa de conjoint, et dans l’intervalle, a obtenu un permis de travail de son employeur, le consulat français à Jérusalem, valable pour un an jusqu’en octobre 2016.

Mais le 5 janvier, alors qu’elle rentrait d’un bref voyage en France pour les vacances, Elsa a été arrêtée [kidnappée] à l’aéroport Ben Gourion à Tel Aviv par la police israélienne et incarcérée pendant deux jours et deux nuits. On lui a d’abord dit que ses papiers n’étaient pas en règle, avant de l’informer qu’elle allait être expulsée et renvoyée en France parce qu’elle constituait un « danger pour la sécurité d’Israël. »
Selon le couple Hamouri, ce n’est pas la première fois que le statut de Hamouri comme ancien prisonnier a été exploité pour leur rendre la vie difficile.
En mars 2015, Hamouri a été interdit pendant six mois par les autorités israéliennes de se rendre en Cisjordanie occupée, lui interdisant de fait de fréquenter l’université de Ramallah pour obtenir son diplôme de droit. L’ordre a été renouvelé une fois de plus en septembre, toujours au nom de « la sécurité de l’État d’Israël », a-t-il déclaré dans un entretien avec Ma’an.

Pour Elsa Lefort, les difficultés qu’elle et son époux ont rencontrées représentent une peine supplémentaire depuis la libération de Salah, le tout culminant avec sa propre détention en janvier.

« Ils auraient pu me mettre dans le premier avion pour Paris », a déclaré Elsa. « Je ne sais pas quel est leur but en emprisonnant une femme enceinte de six mois et demi pendant deux jours. Sauf si vous voulez la décourager de jamais revenir. »
La police des frontières l’a informée à l’aéroport que son permis de travail avait été révoqué, mais Elsa réplique qu’elle ou le consulat français n’ont pour l’instant reçu aucune notification officielle de cette décision.

« Pourquoi m’ont-ils délivré un visa en octobre juste pour le révoquer deux mois et demi plus tard ? » demande-t-elle. « Ils auraient pu me dire non depuis le début. »
« Ce n’est pas que moi qu’ils sanctionnent, mais c’est aussi la diplomatie française. Ce qu’ils disent ainsi, c’est : ’nous pouvons révoquer le visa d’un employé chaque fois que nous le voulons, sans même prévenir’. »

Négociations délicates

Depuis janvier, Elsa Lefort est en France, essayant d’obtenir le droit de retourner auprès de son mari, à Jérusalem-Est.

Le ministère français des Affaires étrangères, ainsi que l’ambassade française en Palestine occupée par Israël et le consulat français à Jérusalem ont demandé depuis janvier qu’Israël autorise Elsa à rentrer à Jérusalem-Est.
« Ils (consulat et l’ambassade) ont fait leur travail. Quand j’étais détenue, ils ont essayé de me faire sortir, ils ont essayé d’améliorer les conditions dans lesquelles je me trouvais », a déclaré Elsa. « Mais maintenant, ce n’est plus à leur niveau, c’est à celui du ministère des Affaires étrangères. »

Le cas de Elsa Lefort a été soulevé lors d’une session de l’Assemblée nationale française ce mercredi, lorsque Harlem Désir, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, a parlé de l’engagement du gouvernement à trouver une solution à la question.

« Depuis que nous avons été informés (de la situation), le ministère français des Affaires étrangères s’est complètement mobilisé en appui à Mme Lefort », a déclaré Desir. « Nous avons demandé et continuons de demander sans relâche aux autorités israéliennes de revenir sur leur décision. »

Mais Elsa Lefort et Salah Hamouri n’ont pas encore vu le moindre signe encourageant quant à l’évolution de leur dossier.

Selon Lefort, c’est un « tabou » dans la diplomatie française quand il s’agit de traiter avec « Israël ». Cette réticence a des répercussions directes sur la vigueur des efforts de son gouvernement pour obtenir une solution à son cas.

« Nous voyons combien différemment sont traités les cas de personnes qui ont eu des problèmes avec les autorités au Burundi et au Népal, par rapport à quelqu’un qui a des problèmes avec Israël », dit-elle, se référant aux incidents impliquant des citoyens français dans les pays mentionnés ci-dessus, et qui ont reçu une attention politique et des médias considérables au cours des dernières semaines.

« Ce n’est pas très surprenant, c’est autant un tabou dans les médias que sur le plan diplomatique. Il y a toujours cet obstacle quand il s’agit d’Israël », a-t-elle ajouté. « Nous avons un soutien populaire très actif, tout comme nous l’avons vu quand Salah était en prison, mais au niveau politique et médiatique, ce n’est pas du tout la même chose. »

Un compte à rebours pour avoir le droit de vivre à al-Qods occupée


Une préoccupation majeure pour Elsa Lefort et Salah Hamouri est que leur enfant ne puisse pas naître à Jérusalem-Est, ce qui le (ou la) priverait de son droit de résider dans la ville.
« Même [s’il naissait ici] cela ne signifierait pas que notre enfant sera enregistré en tant que tel, simplement parce qu’il y a tant d’obstacles mis en place pour les enfants nés à Jérusalem. Mais c’est encore pire pour ceux qui sont nés à l’extérieur », a déclaré Elsa.

« C’est la pression exercée par les forces d’occupation pour essayer de nous mettre dehors, pour nous forcer à partir d’ici », a déclaré Salah Hamouri.
En 1967, après leur invasion de Jérusalem-Est, les autorités israéliennes d’occupation ont fait un recensement de la population palestinienne résidant dans la ville à ce moment-là - à l’exclusion de ceux qui avaient fui pendant la guerre des Six Jours - et leur ont accordé un statut de résident au lieu de citoyens.
Les résidents palestiniens dans Jérusalem-Est doivent être nés dans la ville, mais leur statut peut être révoqué pour un certain nombre de raisons, une fois atteint l’âge de 14 ans.

Depuis 2003, la législation israélienne a gelé la réunification des familles lorsque certains membres viennent de Cisjordanie ou de Gaza et que d’autres sont résidents de Jérusalem-Est ou ont la citoyenneté israélienne, affectant des milliers de familles.

Dans un rapport de 2015, l’organisation de défense des droits humains Saint Yves a vivement critiqué le ministère israélien de l’Intérieur et ses « procédures arbitraires sur l’enregistrement des enfants. » L’organisation a ajouté que la législation israélienne concernant Jérusalem-Est sur le droit à résidence, signifie que « d’année en année, le ministère se rapproche de la réalisation de son but ultime : vider la ville de sa population palestinienne ».

« J’ai encore l’espoir que cette situation sera résolue et que notre famille sera réunie à nouveau », nous dit Salah.

« C’est une pression psychologique quotidienne. Elsa est enceinte de bientôt huit mois, et elle est en France, faisant face en plus de cela à toutes les complications d’être une femme qui attend un bébé. Elle a besoin de moi et j’ai besoin d’elle. »
Au-delà des circonstances difficiles vécues par leur propre famille, Elsa Lefort a dit qu’elle et son époux sont bien conscients que leur situation reflète la lutte à plus grande échelle des Palestiniens dans la ville sainte.

« Nous voulons faire connaître le traitement que subissent les Palestiniens de Jérusalem» dit-elle. « Nous nous battons pour réunir notre famille, mais nous ne nous battons pas que pour nous-mêmes. Nous voulons que les gens sachent ce qui se passe à Jérusalem, que les choses changent, et que l’injustice cesse. »

Avec Info-Palestine