Quel que soit le résultat des primaires présidentielles américaines, ou même le résultat des élections générales en novembre prochain, un phénomène effrayant est en train de se produire.
Les États-Unis se sont décidément déplacés vers la droite, en fait l’ultra-droite. Les différences de classe sont plus prononcées qu’elles ne l’ont jamais été, grâce à des décennies de politiques néolibérales, avec un genre de capitalisme qui a concentré la richesse dans moins en moins de mains. Le racisme est à la hausse et les signes du fascisme sont flagrants à chaque fois que Donald Trump tient d’un meeting de campagne.
Non pas que les adversaires de Trump soient moins effrayants dans leur rhétorique, mais l’homme qui a gagné 316 délégués dans les primaires du Parti républicain a prouvé être le pur produit d’un parti dont les partisans sont connus pour leur racisme et leur discours de haine sans complexe. Bien sûr, il lui reste de nombreux obstacles à surmonter, mais les victoires consécutives de Trump soulèvent dès à présent des questions alarmantes sur l’avenir des Républicains et l’avenir politique de l’ensemble du pays.
La peur du phénomène de Trump ne devrait pas se limiter à une discussion sur la politique, mais être comprise comme le reflet d’un changement sociétal, dont les racines sont nombreuses et convergent toutes pour orienter la politique des États-Unis dans une toute nouvelle direction. Même si les Républicains perdent les élections, la tendance devrait se poursuivre - voire s’accélérer - sous une administration d’Hillary Clinton, laquelle est détestée par les Républicains comme par de nombreux Démocrates.
Au cas moins probable où ce soit Bernie Sanders qui remporte la nomination du Parti démocrate, le pays est susceptible de connaître une impasse politique. Sanders se présente lui-même comme socialiste, bien qu’il ne le soit pas, car il ne parle absolument pas d’une propriété commune sur les ressources. Mais cette simple référence est susceptible d’entraîner un bouleversement politique plus grand que celui provoqué par l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche en 2009.
Obama, lui aussi, avait été qualifié de socialiste, ce qui, pour beaucoup aux États-Unis, est considéré comme un gros mot, pire même que le mot « libéral ». Bien sûr, Obama n’a rien d’un socialiste, quel qu’il soit. D’une part, il a renfloué les institutions financières les plus corrompues aux États-Unis à la suite de la récession économique, alors que des millions d’Américains pauvres et des classes moyennes ont perdu leurs maisons, leurs pensions et l’épargne de toute une vie.
Chris Hedges fait référence à l’actuelle tourmente américaine comme à « la revanche des classes inférieures. » Et le blâme doit être partagé par les Républicains comme les Démocrates, qui ont représenté et parlé au nom des élites riches et des grosses entreprises mais dont seule la terminologie les distinguait.
« Il y a des dizaines de millions d’Américains, en particulier les blancs de la classe inférieure, rendus à juste titre furieux de ce qui leur a été fait, à leurs familles et à leurs communautés », a écrit Hedges. « Ils se sont levés pour rejeter le modèle et les politiques néolibérales qui leur sont imposés par les élites - sorties des grandes écoles - des deux partis politiques. Les blancs de la classe inférieure se rallient à un fascisme américain. »
Bien que les racines du problème, du moins parmi ceux qui soutiennent le Parti républicain, peuvent être identifiées, l’aliénation et l’absence d’une vision unificatrice génère une réaction terrible.
« Ces Américains veulent une sorte de liberté, une liberté de haïr. Ils veulent la liberté d’idéaliser la violence et la culture des armes à feu. Ils veulent la liberté d’avoir des ennemis, d’agresser physiquement les musulmans, les travailleurs sans papiers, les Afro-Américains, les homosexuels et toute personne qui ose critiquer leur crypto-fascisme. »
La montée du hooliganisme politique n’est pas un phénomène nouveau, mais elle s’est transformée d’un phénomène relativement marginal de mouvements chauvins en colère, comme le Tea Party, en un véritable raz de marée.
Le basculement s’est sans doute fait avec le mouvement du Tea Party qui avait largement émergé après le premier mandat d’Obama à la Maison Blanche et qui était surtout une tentative de l’establishment républicain pour galvaniser leurs partisans et tuer dans l’œuf tout renforcement du rôle du gouvernement fédéral.
Ce fut un stratagème politique avec un ordre du jour déterminé, et ses membres ont été présentés comme un mélange de libertaires et de conservateurs, bien que, en réalité ce mouvement a puisé ses ressources dans un modèle de populisme politique qui exploite la colère des citoyens confrontés à l’effondrement de leur économie et à la vision à court terme des politiciens.
Cette forme de manipulation populaire a produit une réaction en retour, et même l’establishment du Parti républicain est maintenant abasourdi par le monstre de Frankenstein qu’il a lui-même créé ou, au minimum, permis la naissance. C’est une « guerre civile » entre Républicains, comme expliqué par « USA Today », et la panique face à la possibilité d’une nomination de Trump sort de vieilles figures de leur sommeil, toutes essayant de freiner la démagogie incontrôlable qui a gagné leur parti.
L’ancien candidat républicain en 2012, Mitt Romney, a rejoint cette « guerre civile », le 3 mars, en lançant des insultes en direction de Trump lors d’un discours télévisé. Il l’a décrit comme un « escroc » et « fraudeur » qui livrera la Maison Blanche à Clinton. « Ses promesses sont sans valeur, comme un diplôme de l’Université Trump », a déclaré Romney. « Il prend le public américain pour des jobards : il gagne un tour gratuit à la Maison Blanche et tout ce que nous obtenons en retour est un vieux chapeau. »
Bien sûr, Trump a riposté avec son propre langage coloré et le style qu’il affectionne. Pourtant, le fait demeure : « prendre le public américain pour des jobards » est tout autant et typiquement américain que les apple-pie, et les Républicains qui se sont ralliés derrière le duo étrange que formaient John McCain et Sarah Palin en 2008 le savent bien.
Mais la fragmentation des Républicains n’est pas particulièrement unique dans ce qui promet d’être une saison électorale tumultueuse où tous les coups seront permis. Les libéraux américains, aussi bien que certains issus de l’ultra-gauche, retroussent leurs manches en prévision d’une longue bataille pour l’investiture présidentielle du Parti démocrate. La méfiance à l’égard d’Hillary Clinton - considérée par certains comme un faucon à un moment où une figure qui fasse l’unanimité est la plus nécessaire - a conduit un grand nombre, surtout dans les jeunes générations, à se rallier derrière le sénateur du Vermont, Sanders.
Sanders, de son côté, semble suivre une stratégie de campagne similaire à celle utilisée par Obama. Lui aussi parle d’espoir et de changement, mais avec une terminologie qui lui est propre. Ses promesses sont tout aussi nombreuses, mais sa défaite aux primaires démocrates du « Super Tuesday » face à Clinton - qui a arraché la victoire dans sept États contre quatre pour Sanders - suscite quelques doutes sur l’éligibilité de ce dernier.
Comme les périodes désespérées appellent des mesures désespérées, l’anarchiste, professeur et linguiste Noam Chomsky, a une fois de plus appelé les électeurs à voter contre les Républicains, même si cela signifie voter pour Clinton dans des États indécis comme l’Ohio. Quant à Sanders, Chomsky dit dans une interview à Al Jazeera, qu’il « n’a pas beaucoup de chances. »
Le comportement indécis de Chomsky n’est pas nouveau, et il a suivi cette même ligne lors des élections précédentes, mais le sentiment d’un scénario catastrophe si Trump est choisi comme candidat républicain, est susceptible d’être une force motrice pour les partisans démocrates.
Pourtant, quels que soient les résultats, l’âge du populisme dans la politique américaine a commencé et il est peu probable qu’il s’estompe dans les années à venir. La triste réalité est qu’il y a peu de conscience politique actuellement qui puisse déterminer les attitudes de la plupart des Américains en dehors des frontières raciales ou de classes, et les idéologies politiques tribales.
Cela laisse les Américains face à trois options : un recours aux fondamentaux démocratiques fondés sur l’égalité et le bien commun, ou le fascisme pur et simple... ou immigrer au Canada, comme beaucoup y pensent aujourd’hui.
Jusqu’à présent, les signaux émis ne sont pas encourageants.
Source: Info-Palestine