Le président américain a posé des question sur des postulats de la politique étrangère: pourquoi l’Arabie doit être toujours considéré comme l’allié..Pourquoi préserver la supériorité d’Israël??
Traversant la dernière année de son mandat, le président américain Barak Obama a trouvé bon de laisser filer à la presse sa vision, ses explications et son avis sur ce qui s’est passé d'essentiel sur la scène internationale durant les 8 années de sa présidence. Il explique son refus d’intervenir militairement en Syrie, ce dont il est fier. Il donne ses opinions presque cruement sur les alliés des Etats-Unis, dont les saoudiens qu’il ne tient pas en sympathie. Il livre son explication sur le chaos en Libye, imputé en quelque sorte aux alliés occidentaux et indique comment il perçoit la Russie et son président surtout, qui n’a rien selon lui d’un grand joueur.
Intitulés "Doctrine d'Obama", ces propos ont été publiés par le magazine américain The Atlantic, dans un article de 85 pages signé par le journaliste Jeffrey Goldberg, à la base de plusieurs interviews qu’il avait réalisées avec lui, à plusieurs occasions.
Constat flagrant: Le président américain a posé des question sur des postulats de la politique étrangère: pourquoi l'Arabie doit être toujours considéré comme un allié..Pourquoi préserver la supériorité d'Israël??
Fier de ne pas avoir frappé la Syrie
Revenant sur sa décision de ne pas frapper la Syrie, en été 2013, après des accusations arbitraires adressées au pouvoir syrien d’avoir bombardé à l’arme chimique un quartier dans la Ghouta oriental, à l’est de Damas, il affiche être fier par-dessus tout.
Obama fait état de pressions internes et externes, mais à la surprise générale, aux Etats-Unis comme sur la scène internationale, il soumet cette décision à un vote du Congrès, écartant de facto une action militaire à court terme.
"Je suis très fier de ce moment", explique-t-il. "La perception était alors que ma crédibilité était en jeu, que la crédibilité de l'Amérique était en jeu", raconte-t-il. "En appuyant sur le bouton pause à ce moment-là, je savais que cela aurait un coût politique pour moi".
"Le fait que j'ai été capable de m'abstraire de la pression immédiate et de réfléchir à ce qui était dans l'intérêt de l'Amérique, pas seulement par rapport à la Syrie mais aussi par rapport à notre démocratie, a été l'une des décisions les plus difficiles qui soit", poursuit-il, jugeant que "c'était la bonne décision à prendre".
Un piège des alliés et des ennemis
Estimant que la Syrie est comme l’Irak « une pente », Obama expose sa stratégie d’intervention, sachant que la campagne électorale de son premier mandat se basait sur l’engagement d’éviter les aventures militaires.
« Les menaces qui justifient une intervention américaine directe sont Al-Qaïda, une menace existentielle pour Israël, la menace que peut constituer un armement nucléaire iranien, car lié à la sécurité d’Israël », a-t-il résumé. « la menace du régime du président syrien Bachar al-Assad n’atteint pas ce niveau-là de défi », juge-t-il.
Le journaliste américain Glodberg, explique les raisons de ce retournement de veste du président américain : « le peuple américain ne semblait pas enthousiaste à intervenir en Syrie, ainsi qu’un certain nombre de dirigeants occidentaux qu’il respecte, comme la chancelière allemande Angel Merkel, et puis est venu le refus du Parlement britannique de permettre à Cameron d’attaquer la Syrie ».
Le chef des renseignements, James Clapper a lui aussi contribué a l’hésitation d’Obama lorsqu’il lui a dit que quoique les informations sur l’utilisation du gaz sarin sont énormes, « mais la frappe n’est pas garantie » ( slam dunk).
« Pendant que le Pentagone et l’équipe d’Obama s’apprêtait à la guerre, le président parvenait à la conviction qu’il avançait vers un piège que ses alliés et ennemis lui avaient tendu. Raison pour laquelle il a informé ses assistants qu’il a changé d’avis », ajoute Glodberg.
Son refus d’intervenir militairement en Syrie lui a valu bien des critiques récurrentes, lui reprochant ses atermoiements face à cette guerre, surtout qu’il s’était engagé quelque temps auparavant à le faire en cas d’attaque chimique.
Les alliés en colère
Parmi les détracteurs figurent en tête les Saoudiens, qui avaient été les premiers à applaudir ses promesses d’intervention et à les croire surtout, comme l’a reflété la réaction de leur ambassadeur à Washington de l’époque, Adel al-Jubeir : « Les États-Unis vont intervenir », avait-il alors prédit après l’engagement.
Après le changement d’avis d’Obama, on rapporte que Jubeir a dit « l’Iran est la nouvelle grande puissance au Moyen-Orient. Et les États-Unis ne sont plus qu’une vielle puissance ».
Le prince-héritier d’Abu Dhabi, Mohammad Ben Zayed, fait aussi partie de ceux qui ont été déçus, d’autant qu’il était déjà en colère qu’Obama ait laissé tomber l’ex-président égyptien Hosni Moubarak, lorsqu’il a été révoqué par le mouvement de contestation du Printemps arabe.
Selon The Atlantic, Ben Zayed avait dit à ses visiteurs américains que « les Etats-Unis sont dirigés par un président qui n’inspire pas confiance ».
Alors que le roi jordanien Abdallah était persuadé qu’Obama s’écartait des alliés traditionnels des USA pour instaurer une nouvelle alliance avec l’Iran.
L’Arabie a transmis l’extrémisme
Selon Goldberg, le président américain est lui aussi très déçu des alliés de son pays. Parmi les questions qui le tracassent le plus est celle liée au rôle qu’ils ont pu avoir joué dans le soutien au terrorisme anti américain.
Selon Gloldberg, il était heurté par la doctrine de la politique étrangère de son pays qui le poussait à se comporter avec l’Arabie saoudite comme un allié.
D’ailleurs, il attribue au royaume wahhabite d’avoir transmis l’extrémisme à un pays comme l’Indonésie, où régnait un Islam tolérant.
« L’Arabie et d’autres pays du Golfe ont envoyé des fonds et un grand nombres d’imams et d’enseignants islamique vers ce pays … Dans les années 90, l’Arabie a financé des écoles wahhabites en grande quantité et a organisé des séminaires qui enseignent une vision fondamentaliste de l’Islam , la préférée de la famille royale », avait expliqué Obama, rapporte Goldberg, en marge d’une réunion de l’Aipac avec le Premier ministre australien, Malcom Turnbull. Et lorsque ce dernier lui a demandé « les Saoudiens ne sont-ils pas vos alliés», il lui a répondu : « les choses sont plutôt compliquées ».
Goldberg rapporte qu’à la Maison Blanche, nombreux sont les responsables qui disent à leurs visiteurs que le plus grand nombre des auteurs des attentats du 11-septembre n’étaient pas des Iraniens.
Obama aussi critique les Saoudiens en huis-clos en disant que « tout pays qui réprime la moitié de son peuple ne peut pas bien se comporter dans le monde moderne ».
Selon lui, « les guerres et le chaos ne cesseront au Moyen-Orient que lorsque l’Arabie saoudite et l’Iran pourront coexister ensemble et parvenir à réaliser une sorte de paix ».
Erdogan le vaincu et le despote
D’autres dirigeants de la région exaspèrent Obama, dont le président turc Recep Tayyip Erdogan.
AU début, il s’attendait à ce qu’il soit « un dirigeant musulman modéré qui peut être un pont entre l’Occident et l’Orient ». Aujourd’hui, il le considère comme « un vaincu et un despote qui refuse d’utiliser son armée pour contribuer au retour de la stabilisation de la Syrie ».
« Tout ce dont j’ai besoin au Moyen-Orient c’est juste d’un petit nombre de despotes intelligents », a dit Obama à Goldberg, rapporte ce dernier dans son article.
A Netanyahu, je sais ce qui se passe au MO
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu non plus ne semble pas répondre à ces critères d’intelligence. Il dit qu’il s’attendait de sa part à ce qu’il accepte la solution des deux Etats avec les Palestiniens.
« Dans l’une des visites de Netanyahu à Washington, en 2011, ce dernier a semblé lui donner une leçon sur les menaces qui guettent Israël ». Ce a quoi Obama a répondu en colère : « Je suis assis ici à la Maison Blanche mais je comprends très bien de quoi vous parlez, et quels sont les problèmes du Moyen-Orient », raconte Goldberg.
« Mais Obama a plusieurs fois exprimé son admiration à la résistance des Israéliens face au terrorisme incessant », veille-t-il à rapporter sur les sentiments d’Obama pour les Israéliens.
Selon l’ancien secrétaire d’Etat à la défense Léon Panetta Obama se posait aussi la question de savoir « pourquoi les Etats-Unis se doivent de préserver la supériorité militaire qualitative israélienne au dépens des alliés arabes ? »
Guerre en Libye : Cameron distrait
Dans l’entretien M. Obama revient sur les conditions dans lesquelles une coalition conduite par la France et la Grande-Bretagne -relayée par la suite par l'Otan- a mené en 2011 des raids aériens en Libye qui ont conduit à la chute du régime de Mouammar Kadhafi.
"La Libye est plongée dans le chaos", constate le président américain.
"Lorsque je me demande pourquoi cela a mal tourné, je réalise que j'étais convaincu que les Européens, étant donné la proximité de la Libye, seraient plus impliqués dans le suivi", poursuit-il.
Depuis, l'Etat libyen s'est effondré, les milices rivales se disputent le pouvoir, et la milice wahhabite Daesh (Etat islamique-EI) a profité de la situation pour monter en puissance.
Selon lui, le Premier ministre britannique David Cameron a ensuite été "distrait par d'autres choses", et le président français de l'époque Nicolas Sarkozy a perdu son poste un an après.
« Sarkozy voulait avoir tout le crédit de la campagne aérienne même si c’est nous qui avons détruit les défenses aériennes et mis en place les infrastructures», constate-t-il sur le cours de frappes contre ce pays.
Un désir d’être mis sous les projecteurs qui a rendu les choses «moins chers et moins risquées pour les Etats-Unis», selon Obama. En d’autres termes, le président américain a utilisé la vantardise de Nicolas Sarkozy pour obtenir ce qu’il voulait à moindre coût.
En tout cas, Obama rejette toute responsabilité dans l'actuel chaos qui règne en Libye, arguant de « bonnes raisons » pour justifier son intervention.
«Malgré tous leurs défauts, les Etats-Unis ont clairement été une force du bien dans le monde», a-t-il fait savoir. «Si vous nous comparez aux superpouvoirs qui ont précédé, nous agissons moins en fonction de nos intérêts personnels et sommes intéressés dans l’établissement de normes qui profitent à tous. S’il est possible de faire le bien pour à un coût supportable, de sauver des vies, nous le ferons», avance-t-il
Poutine, pas un joueur important
En passant Obama a eu aussi quelques mots pour le président russe et la Russie.
Au début, il complimente le numéro un russe. «Poutine, dans tous nos meetings, est très poli, franc. Il ne me fait pas attendre deux heures comme il peut le faire à d’autres types.».
Mais ne manque pas de le tarauder après: « il comprend que la position de la Russie dans le monde a été abîmée de manière significative. Qu’il envahisse la Crimée ou essaye de soutenir Assad ne fait pas soudainement de lui un joueur important.»
Et de railler pour terminer le rôle de la Russie dans la diplomatie internationale. « Aucune réunion du G20 ne se passait avec les Russes définissant les questions qui comptent».
Grand absent dans cet entretien: la perception d'Obama sur la Chine, dont l'endiguement de ses ambitions internationales est devenue la pièce maitresse de sa politique étrangère. D'autant qu'elle risque fort de rester le principal défi de l'empire américain après son départ.
Sources: The Atlantic ; traduit par al-Akhbar, AFP, Sputnik, Russia Today, al-Manar