Plusieurs universitaires et avocats prokurdes ont été précisément arrêtés pour ce motif ces dernières vingt-quatre heures.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a relancé mercredi l'offensive contre ceux qu'il considère comme des complices du terrorisme, élus, journalistes ou intellectuels, trois jours après un attentat suicide meurtrier à Ankara attribué aux rebelles kurdes.
Devant des élus locaux, M. Erdogan a pressé le Parlement, où son parti dispose de la majorité absolue, de lever "rapidement" l'immunité de cinq députés du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) poursuivis pour "propagande" en faveur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Une nouvelle fois, il a plaidé pour l'extension de la notion de "crime terroriste" à ceux qui soutiennent leur cause, alors que plusieurs universitaires et avocats prokurdes ont été précisément arrêtés pour ce motif ces dernières vingt-quatre heures.
Les déclarations au vitriol de M. Erdogan interviennent à la veille d'un nouveau sommet à Bruxelles, où l'Union européenne (UE) est censée parapher un nouvel accord avec Ankara pour tenter d'enrayer le flux des migrants qui se pressent à ses portes.
Plusieurs pays de l'UE ont exprimé des réticences à signer un texte avec les dirigeants turcs, accusés de dérive autoritaire. La chancelière allemande Angela Merkel a ainsi rappelé mercredi qu'elle resterait ferme avec eux sur "la protection de la liberté de la presse ou le traitement des Kurdes".
Engagée depuis des mois, la guerre ouverte par Erdogan contre le HDP s'est durcie depuis l'attaque-suicide à la voiture piégée de dimanche soir, la deuxième en moins d'un mois dans la capitale turque, qui a fait 35 morts.
L'homme fort du pays considère ce parti, troisième force politique du pays depuis les législatives de novembre, comme la vitrine du PKK, ce que le HDP dément.
"Excusez-moi, mais je ne considère plus comme des acteurs politiques légitimes les membres d'un parti qui fonctionne comme une filiale de l'organisation terroriste (le Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit)", a-t-il déclaré.
Son gouvernement a déposé devant le Parlement une demande de levée d'immunité de cinq élus du HDP, dont son chef emblématique Selahattin Demirtas, qui avaient réclamé une forme "d'autonomie" pour les 15 millions de Kurdes de Turquie.
Coup de filet
"Nous sommes très inquiets de voir que le président se comporte comme s'il donnait des instructions au Parlement", a réagi un député de l'opposition, ozgür ozel.
Non content de s'en prendre aux élus, Erdogan a pourfendu mercredi sans distinction tous les militants de la cause kurde. "Les terroristes ne sont pas seulement ceux qui brandissent des armes mais aussi ceux qui ont des stylos dans la main", a-t-il lancé.
Mis en difficulté par ceux qui lui reprochent de ne pas avoir empêché l'attentat d'Ankara, le chef de l'Etat a annoncé un durcissement de la répression de la "propagande terroriste", un délit puni de 5 ans de prison dont il veut faire un crime.
Depuis cette attaque, la police a multiplié dans tout le pays les arrestations dans les milieux prokurdes.
Mercredi à l'aube, huit avocats ont été interpellés à Istanbul, a annoncé leur collectif.
La veille, la justice a ordonné l'incarcération jusqu'à leur procès de trois universitaires stambouliotes, signataires en janvier d'une "pétition pour la paix" dénonçant des "massacres" de civils lors des opérations menées par les forces de sécurité contre le PKK depuis la reprise du conflit kurde l'été dernier.
Un professeur britannique de l'université Bilgi d'Istanbul, Chris Stephenson, a par ailleurs passé la nuit en garde à vue pour avoir distribué des tracts aux armes du HDP et devait être expulsé mercredi soir, selon les médias turcs.
L'ONG Human Rights Watch (HRW) a dénoncé une "campagne malveillante" de M. Erdogan pour "interdire, punir et faire taire toutes les critiques en Turquie".
En novembre, deux journalistes du quotidien d'opposition Cumhuriyet ont été incarcérés pour un article accusant Ankara d'avoir livré des armes aux rebelles takfiristes syriens. Ils ont été relâchés depuis mais seront jugés à partir du 25 mars. Ils risquent la prison à vie.
Au début du mois, la justice turque a placé sous tutelle un autre quotidien d'opposition, Zaman, proche de l'ennemi-juré de M. Erdogan, l'imam Fethullah Gülen.
Ces mesures ont suscité de vives critiques parmi les alliés de la Turquie.
A l'approche du Nouvel an kurde le 21 mars, plusieurs gouverneurs du pays ont interdit les célébrations pour des raisons de sécurité. "Nous les tiendrons comme prévu", a réagi le HDP, laissant augurer de nouvelles tensions.
Avec AFP