Dès le début de la crise en 2011, les Kurdes qui représentent 10% de la population, ont suivi leur propre stratégie et choisi la neutralité par rapport au pouvoir et aux insurgés.
Les Kurdes de Syrie ont proclamé jeudi une région fédérale dans le nord du pays, un modèle qu'ils espèrent voir s'appliquer à tout le pays dans la période post-guerre.
Mais cette initiative inédite, qui s'apparente à une autonomie de facto, a été immédiatement rejetée par le pouvoir syrien, que par l'opposition, qui négocient actuellement à Genève pour tenter de mettre fin à cinq ans de conflit, et dont les Kurdes ont été exclus. Russes et Américains, sans oublier les Turcs ne sont pas non plus enchantés par l'idée.
Or les Kurdes semblent avoir voulu envoyer un message fort sur leur détermination à décider de leur propre avenir s'ils étaient ignorés, d'autant plus qu'ils sont devenus un acteur incontournable dans le conflit, notamment dans la lutte contre la milice wahhabite takfiriste Daesh (Etat islamique-EI).
L'annonce a été faite lors d'une réunion de deux jours à Rmeilane (nord-est) de plus de 150 représentants de partis kurdes, arabes et assyriens selon un journaliste de l'AFP.
"Le système fédéral a été approuvé pour la région Rojava (Kurdistan syrien) - Nord de la Syrie", a déclaré Sihanouk Dibo, un responsable du Parti de l'Union démocratique (PYD), principal parti kurde en Syrie.
Il s'agit d'unir les trois "cantons" kurdes (Afrine, Kobané et Jaziré) et les zones récemment conquises par les forces kurdes dans le nord syrien au sein de la zone d'"administration autonome" mise en place depuis le début du conflit.
Les Kurdes font valoir que leur projet est fondé sur une base "territoriale" et non "ethnique", avec des représentants de la population arabe et d'autres minorités dans ces zones. Deux présidents, un Arabe et une Kurde, ont d'ailleurs été élus à la tête du conseil en charge d'appliquer ce système fédéral, selon le correspondant de l'AFP.
Des conseils dont la mission sera de définir les contours de cette région et la nature de ce système seront formés dans la journée, ont précisé ces responsables.
'Initiatives unilatérales'
Mais l'idée même de fédéralisme nourrit les craintes d'une partition de la Syrie, morcelée entre plusieurs belligérants depuis le début de la guerre. Elle a été rejetée de concert par les acteurs locaux, régionaux et internationaux.
Les Etats-Unis, qui ont soutenu et même encouragé les Kurdes dans leur lutte contre l'EI, ont d'ores et déjà prévenu qu'ils ne reconnaîtraient pas la création d'une région unifiée et autonome kurde et refuseraient le démantèlement du pays.
« Les Etats-Unis s’opposent à la mise en place de gouvernements autoproclamés en Syrie et soutiennent l’intégrité territoriale de ce pays », a déclaré le porte-parole adjoint du département d'État américain, Marc Tuner.
Mêmes réserves de la part de la Russie. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a affirmé le souci de son pays de préserver l’unité de la Syrie, assurant que le peuple syrien décidera seul des questions relatives à la structure intérieure de l’Etat syrien, rapporte l'agence syrienne Sana.
La région concernée, frontalière de la Turquie, va très certainement provoquer l'ire d'Ankara qui considère les forces kurdes syriennes comme "terroristes" à l'instar du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Une source diplomatique turque a signalé mercredi que "les initiatives unilatérales ne peuvent pas être valables".
Peu après l'annonce, une source au ministère des Affaires étrangères à Damas a "mis en garde toute partie ayant l'intention de porter atteinte à l'unité du territoire", estimant que "toute annonce en ce sens" n'avait "aucune valeur juridique".
De son côté, la Coalition de l'opposition, une instance d’opposants pro saoudiens qui ne représentent pas la totalité de l’opposition syrienne s'est insurgée contre l'initiative kurde, estimant que "la forme de l'Etat syrien, centrale ou fédérale" doit être décidée à l'issue de négociations.
'Message politique'
Dès le début de la crise en 2011, les Kurdes qui représentent 10% de la population, ont suivi leur propre stratégie et choisi la neutralité par rapport au pouvoir et aux insurgés.
Avec les attaques de l'EI sur leurs zones, ils ont pris un rôle de premier plan dans la lutte contre ces ultraradicaux, avec le soutien des frappes américaines.
Ces dernières années, les YPG (milice kurde en Syrie) ont profité de l'affaiblissement des rebelles face à l'armée et des frappes russes pour s'emparer de territoires dans la province septentrionale d'Alep.
Les Kurdes contrôlent désormais 14% du territoire syrien (26.000 km2) contre 9% en 2012, selon le géographe et expert de la Syrie Fabrice Balanche.
Et d'après l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), instance médiatique de l’opposition siégeant à Londres, ils contrôlent les trois quarts des 800 km de frontière entre la Syrie et la Turquie.
Les responsables kurdes syriens ont souligné toutefois que le fédéralisme ne constituait pas un premier pas vers l'indépendance.
"Le système fédéral dans le nord de la Syrie s'inscrit dans ce que nous considérons comme une nécessité, l'adoption du fédéralisme à l'échelle de toute la Syrie", a expliqué Ibrahim Ibrahim, un responsable kurde. "Une nouvelle Constitution déterminera la relation entre le centre à Damas et les districts fédéraux", a-t-il ajouté.
Selon Mutlu Civiroglu, un expert basé à Washington interrogé par l'AFP, cette annonce kurde constitue un "message politique" adressé aux négociateurs à Genève: "Si vous nous ignorez, nous allons déterminer nous-mêmes notre avenir".
La Syrie est l'un des quatre pays où sont installés les Kurdes, avec la Turquie, l'Iran et l'Irak. Dans ce dernier pays, ils disposent dans le nord d'une autonomie de fait, légalisée par la Constitution irakienne de 2005 qui a instauré une République fédérale.
Avec AFP, Press TV.