Dans la futur course aux armements: la Russie et les USA sont au coude-à-coude suivi de Chine, de la France et de l’Inde..
Le 17 mars 2016, on apprenait que la Russie venait d'entamer les essais de ses missiles de croisière antinavires hypersoniques Tsirkon, dont la vitesse devrait dépasser 5 à 6 fois celle du son (à Mach 5 ou 6, soit environ 6 à 7 000 km/h à basse altitude).
Ces missiles sont destinés à équiper les futurs sous-marins nucléaires de 5e génération Khaski, ainsi que les croiseurs 1144 Orlan à la place des missiles antinavires lourds P-700 Granit. Si on ignore la portée maximale du nouveau missile de croisière antinavire, on estime qu'elle devrait dépasser les 400 km.
La Russie est donc à deux doigts de créer un armement hypersonique. Les USA et la Chine, de leur côté, ne restent pas les bras croisés. En l'absence de détails sur l'état réel des projets, les caractéristiques tactiques et techniques de ces armes, nous avons essayé de réunir tous les faits et les suppositions à leur sujet pour savoir quels étaient les avancées réelles de ces pays en matière d'armement hypersonique. Ces informations sont d'autant plus importantes que la conception d'armes hypersoniques lancera une révolution dans le monde de l'armement et pourrait sérieusement influencer l'équilibre des forces dans le monde.
La future arme hypersonique de la Russie
Parlons donc d'abord du missile de croisière antinavire hypersonique 3M22 Tsirkon conçu par la Corporation russe des Missiles tactiques. On sait déjà que sa vitesse maximale dépassera de plus du double celle du P-700 (le Granit vole à Mach 2,5), ce qui rendra très difficile l'interception du missile et, de plus, réduira fortement le temps de prise de décision par l'ennemi — le Tsirkon parcourra 400 km en moins de 4 minutes. Il est impossible de prédire combien de temps dureront les essais du nouveau missile hypersonique — nous ne disposons que de trop peu d'informations et la tâche est trop complexe. Il ne faut probablement pas s'attendre à la construction du missile de série avant 2020 et il y a fort à parier que cela arrivera bien plus tard. D'ailleurs, le principal vecteur du missile — le sous-marin de nouvelle génération Khaski — n'entrera pas en service avant la fin des années 2020. Un autre projet russe intéressant est le projet 4202, développé depuis 2009 par la NPO Machinostroïenia. Il est question d'une ogive hypersonique manœuvrable pour les missiles balistiques intercontinentaux. Comme les essais du missile lourd à combustible liquide RS-28 Sarmat auront lieu dès 2016, il est évident que la nouvelle ogive est prévue pour ce missile. On estime que six essais de la nouvelle ogive ont été effectués avec le missile intercontinental UR-100N UTTKh (le missile à combustible liquide lourd obsolète qui n'est plus doté d'ogives mais est utilisé pour les essais et pour propulser les satellites en orbite). Le dernier essai a été décrit par les médias occidentaux, notamment l'agence Jane's. Le journal interne de la NPO Machinostroïenia précise que l'ogive sera recouverte d'un revêtement radio-absorbant. La création d'une telle ogive rendrait les systèmes antimissiles actuels pratiquement inefficaces car elle volerait à très grande vitesse, ne suivrait pas une trajectoire balistique et effectuerait des manœuvres. De plus, l'ogive, guidée, offrira une grande précision par rapport aux ogives classiques et pourra être utilisée dans une version non-nucléaire ou avec une faible charge nucléaire.
Enfin, ce qui est intéressant aujourd'hui est la possibilité de créer un missile de croisière stratégique terrestre ou naval. En URSS déjà avait commencé l'élaboration du projet Kh-90 GELA (appareil hypersonique expérimental), suspendu avec l'effondrement du pays, dont les prototypes ont été présentés au salon aéronautique MAKS de Joukovski. Selon l'idée des ingénieurs, la vitesse du missile devait dépasser Mach 4 voire 5 avec une portée maximale de 3 000 km. A l'heure actuelle, on ne dispose pas d'informations substantielles sur le développement d'un tel missile mais des rumeurs et des informations partielles circulent.
Les projets hypersoniques des USA
Les États-Unis développent tout aussi activement des technologies hypersoniques, n'hésitant pas à montrer ou à parler des essais effectués. Évidemment, les Américains ne dévoilent pas les détails techniques de ces projets.Parmi les derniers en date on relève le prototype de missile hypersonique X-51 WaveRider. Les essais du missile ont commencé en 2010 et sur quatre lancements effectués depuis le bombardier stratégique B-52H, seul le dernier a été complètement réussi (le 1er mai 2013). Le missile a dépassé Mach 5 (6 100 km/h) à une altitude d'environ 18 km, le vol a duré près de 6 minutes et le missile a parcouru 426 km. L'enregistrement vidéo de ces essais a été diffusé en accès libre. Le prédécesseur du X-51, le X-43A, était également intéressant. Ce missile de croisière a établi un record de vitesse à Mach 9,65, cependant le moteur du missile n'a fonctionné que 10-11 secondes.
Les USA ont donc aussi beaucoup progressé vers la création d'un missile de croisière de combat mais on ignore jusqu'à quel point — les informations à ce sujet sont confidentielles.
Par ailleurs, le projet AdvancedHypersonicWeapon (AHW) ou "Arme hypersonique avancée", est développé dans le cadre de l'initiative Prompt Global Strike — le programme américain de frappe planétaire rapide. Ce prototype d'armement pour une frappe non-nucléaire de désarmement se présente sous la forme d'une ogive hypersonique lancée avec la fusée-porteuse STARS IV (modification de l'ancien missile des sous-marins de moyenne portée UGM-27 Polaris) dans les couches supérieures de l'atmosphère, avant de voler à vitesse hypersonique vers son objectif. Les ingénieurs militaires américains espèrent ainsi éliminer des cibles situées jusqu'à 6 000 km du point d'envoi. Selon les militaires américains, le premier essai du AHW en 2011 a réussi — la première ogive a parcouru 3 700 km en 30 minutes avant d'atteindre sa cible. Le deuxième essai, en 2014, a échoué — l'ogive s'est autodétruite à la 4e seconde de vol.
Le programme AHW a un concurrent: le HypersonicTechnologyVehicle 2 (HTV-2), qui poursuit les mêmes objectifs. Aux premiers essais en 2010, l'ogive devait répondre aux exigences suivantes: parcourir 7 700 km à Mach 20. Le HTV-2 a été propulsé dans la haute atmosphère grâce au lanceur Minotaur IV (version modifiée des anciens missiles intercontinentaux LGM-118 Peacekeeper). Le vol devait durer 30 minutes mais la liaison avec l'ogive a été perdue à la 9e minute. Les essais suivants, en 2011 se sont déroulés selon le même scénario: la liaison a été perdue à la 9e minute.
Enfin, le géant américain Lockheed Martin a déclaré le 15 mars 2016 travailler à la création d'un drone hypersonique SR-72 dont la vitesse de vol devrait dépasser Mach 6. Selon les représentants de la compagnie, ce drone pourrait faire son apparition au milieu des années 2020 pour un coût d'au moins 1 milliard de dollars. Ses dimensions seront proches de celles du chasseur de 5e génération F-22 et on peut donc supposer que l'appareil sera en mesure de remplir des missions de reconnaissance et éventuellement des missions d'attaque. Pour finir, le projet d'avion hypersonique HTV-3X mené dans le cadre du programme Falcon (dont fait partie le HTV-2) avait été gelé en 2008 par manque de fond mais semble renaître aujourd'hui.
La Chine, la France et l'Inde dans la course
Selon des sources américaines (brièvement corroborées par Pékin), la Chine travaille également à la conception d'une ogive nucléaire à l'instar des projets 4202 et HTV-2. L'ogive, appelée Wu-14 par les Américains, a déjà passé six essais dont cinq, de toute évidence, ont été complètement ou partiellement réussis. On ne dispose pas encore d'informations plus précises sur ce projet, ni sur les caractéristiques techniques de l'appareil hypersonique chinois.
Un autre géant asiatique enregistre également des progrès: l'Inde, qui a conçu un missile tactique sol-sol Shaurya atteignant Mach 7 (approximativement comme le missile tactique russe Iskander-M). Cependant, il n'est probablement pas très correct de l'inscrire dans la liste des missiles tactiques. D'autre part, l'Inde travaille conjointement avec la Russie au missile antinavire Brahmos-2 qui sera probablement une version modifiée du Tsirkon susmentionné.
La France élabore elle aussi une arme hypersonique — le missile de croisière air-sol ASN4G. Les Français veulent propulser ce vecteur jusqu'à Mach 8, mais aucun date n'a encore été annoncée pour l'apparition du premier prototype.
Conclusions
1. L'armement hypersonique influencera sérieusement l'équilibre stratégique mondial. Tout d'abord, il réduira considérablement le temps de réaction de l'ennemi. Par ailleurs, les ogives hypersoniques manœuvrables de haute précision pourront franchir tous les systèmes de défense antimissile existants. La haute précision de ce dispositif et, par conséquent, la possibilité de renoncer aux ogives nucléaires augmentera la "tentation" d'utiliser une telle arme pour désarmer l'ennemi.
2. Aujourd'hui, la création de modèles réels d'armements hypersoniques cesse de relever de la fiction. Cela concerne notamment les ogives hypersoniques des lanceurs pour les missiles intercontinentaux. Les missiles de croisière volant à Mach 5 ou 6 pourraient également devenir réalité.
3. Les projets d'avions hypersoniques suscitent pour l'instant le plus de doutes à l'étape actuelle car ils sont encore trop coûteux. Il ne sera donc pas possible de se rendre de Moscou à New York en une heure dans un futur proche.
4. Aucun pays n'a l'avantage sur un autre dans la course hypersonique. Les USA parlent le plus ouvertement de leurs projets (peut-être pas tous?), tandis que la Russie et la Chine cherchent pour l'instant à ne pas dévoiler leurs cartes. Les autres, pour l'instant, restent derrière.