Le plus important message a été adressé aux Israéliens.
Le long entretien accordé par le secrétaire général du Hezbollah à la chaîne al-Mayadeen a dominé la scène politique ces deux derniers jours, tant il contenait de messages dans plusieurs directions.
Le plus important message a été adressé aux Israéliens. Il était important pour Hassan Nasrallah de s'exprimer sur ce sujet après les rumeurs insistantes sur une possible agression israélienne contre le Liban en avril, en mai, ou un peu plus tard. Ces rumeurs étaient basées sur le fait que la décision de la Ligue arabe de placer le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes devrait être perçue par les Israéliens comme un feu vert pour mener une vaste opération contre le Hezbollah. Les pays arabes ne devraient pas en effet protester contre une telle agression puisqu'elle s'inscrirait dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. De plus, la division interne libanaise au sujet de la décision de la Ligue arabe, en dépit de la position officielle du gouvernement, devrait faciliter l'opération israélienne.
Pour toutes ces raisons, les Israéliens pouvaient croire que c'était le moment ou jamais de porter un coup fatal au Hezbollah qui, en plus, est embourbé dans la guerre en Syrie.
La réponse de Nasrallah est donc venue dissiper toutes ces rumeurs. Avec une grande clarté, le secrétaire général du Hezbollah a déclaré que comme les Israéliens menacent le Liban de le ramener 50 ans en arrière, il considère qu'il a le droit de se défendre.
Il pourrait donc lancer des missiles contre les installations nucléaires israéliennes qui sont d'ailleurs placées tout près des villes. Nasrallah a donné beaucoup de précisions sur les lieux qui pourraient être visés, d'abord pour rendre plus crédibles ses propos, et ensuite pour montrer qu'il possède des informations très pointues que nombre d'Israéliens ne possèdent pas.
Enfin, il a affirmé que si les dirigeants israéliens ont placé ces installations dangereuses près des villes, c'est parce qu'ils avaient des garanties que les Arabes ne les bombarderaient pas en dépit de leur possession de missiles sophistiqués dits intelligents. Mais le Hezbollah ne se sent pas lié par les engagements pris par les régimes arabes, notamment ceux du Golfe, et il n'hésiterait donc pas à frapper ces installations si le Liban devait faire l'objet d'une attaque.
De plus, Nasrallah a incité les Israéliens à demander à leurs dirigeants de déplacer ces installations pour ne pas être atteints en cas de bombardements du Hezbollah, semant ainsi le doute dans les esprits des Israéliens sur la bonne gouvernance de leurs dirigeants et sur leur souci réel de la population civile.
Nasrallah a ainsi révélé aux Israéliens que leurs dirigeants ont dissimulé des missiles à ogive nucléaire dans des bâtiments académiques et il a poussé le population à protester contre de telles décisions dont elle pourrait faire les frais car il a répété à plusieurs reprises que si le Liban était attaqué, la riposte du Hezbollah serait cette fois sans lignes rouges. Nasrallah a aussi insisté sur le fait que sa formation se tient prête à toutes les éventualités, conseillant à ses adversaires de ne pas miser sur le fait que le Hezbollah est trop occupé en Syrie pour maintenir la même vigilance à la frontière sud.
Le dossier israélien a occupé une partie importante de l'entretien télévisé, mais Nasrallah a aussi évoqué d'autres thèmes comme la décision russe de retirer la plus grande partie de ses troupes de Syrie. À ce sujet, le secrétaire général du Hezbollah a précisé que son parti avait été informé de l'intervention militaire russe quatre mois à l'avance, tout comme il a été informé au préalable de la décision du retrait. Il ainsi estimé que l'intervention militaire russe en Syrie a commencé depuis bien longtemps. Mais elle s'est intensifiée à partir du 30 septembre 2015 pour empêcher toute intervention terrestre turque appuyée par l'Otan.
Ce risque a désormais disparu. C'est pourquoi la Russie a décidé de retirer le surplus de ses forces dont la présence n'est plus nécessaire, ne laissant sur place qu'une force suffisante pour préserver l'équilibre actuel des forces.
Nasrallah a aussi estimé que la position turque est en train de changer et que le véritable problème qui empêche une avancée dans le processus de solution politique en Syrie vient de l'Arabie saoudite.
Le secrétaire général du Hezbollah a ensuite parlé du dossier interne libanais, réitérant son appui à la candidature du général Michel Aoun, ajoutant que le Liban a besoin d'un président fort, qui ne peut pas être acheté ou intimidé.
Mais en même temps, il a pour la première fois cité le chef des Forces libanaises Samir Geagea, l'accusant de chercher à semer la discorde entre le Hezbollah et le CPL en insinuant que la formation chiite n'intervient pas auprès de ses alliés, Sleiman Frangié et Nabih Berry, pour faire élire Aoun à la présidence.
À ce sujet, il a longuement expliqué que, d'une part, le Hezbollah n'entretient pas des relations hiérarchiques avec ses alliés, et tout comme il n'a jamais fait pression sur le CPL, il ne peut pas non plus en faire sur les autres alliés. De plus, des tentatives d'exercer des pressions sur les alliés pourraient avoir des effets contraires à ceux requis. Enfin, Nasrallah a estimé que si le quorum des deux tiers est assuré, c'est Frangié qui serait élu dans le contexte actuel. Par conséquent, le fait de ne pas assurer ce quorum est en soi une façon d'appuyer la candidature du général Aoun. Toutefois, le fait que le chef du Hezbollah ait critiqué ce qu'il a appelé les manœuvres de Samir Geagea montre que celles-ci sont en train de semer le trouble dans les relations entre le Hezbollah et le CPL...
Enfin, toujours sur le plan interne, Nasrallah a ouvert la voie à une rencontre entre lui et le chef du Futur Saad Hariri, tout en jetant la balle dans le camp de ce dernier en lui demandant de faire un pas en sa direction. La porte n'est donc pas fermée, et s'il est clair dans ses propos que le dossier présidentiel est pour l'instant gelé, c'est du côté du dialogue entre le Hezbollah et le Futur qu'il faut regarder...
Par Scarlett Haddad
Source : L’Orient Le Jour