Le Liban et la Syrie sont les portes orientales de la Méditerranée, la principale artère commerciale qui relie depuis les siècles l’Europe à la Chine.
La guerre civile qui divise la Syrie a depuis longtemps débordé des frontières nationales: elle affecte aujourd'hui la stabilité du Liban, de la Turquie, de l'Irak, de la Libye et du Yémen, renforce les contradictions entre l'Arabie saoudite et l'Iran, et ses répercussions atteignent de plus en plus souvent l'Europe.
La Belgique, jusqu'ici considérée comme sûre, s'est transformée en arène de la guerre terroriste. Il semblerait même parfois qu'une "main invisible" pousse l'Union européenne — d'abord Paris et maintenant Bruxelles, deux capitales de la bureaucratie européenne — à participer au partage des sphères d'influence au Moyen-Orient. Et la liste des pays subissant les conséquences directes ou indirectes du conflit continuera de s'allonger tant que l'incendie de la guerre mondiale ne se répandra pas sur le reste du continent.
Il suffit de prendre l'exemple du Liban, confronté aujourd'hui à un choix injuste mais fatidique — entre le Hezbollah et l'Arabie saoudite — qui aspire Beyrouth dans les sables mouvants de la lutte interconfessionnelle. Étant donné que les sunnites et les chiites représentent près de 60% de la population du pays (et ce, à part égale), miser sur l'une des communautés risquerait de provoquer une guerre civile comme en 1975-1990. La rupture avec le Hezbollah, qui serait en soi une démarche positive dans les relations avec les chiites libanais et les catholiques, reviendrait à un suicide étatique: il serait alors impossible de régler la crise gouvernementale dans un avenir prévisible. Riyad joue aujourd'hui le rôle de détonateur politique: en février, les Saoudiens ont suspendu leur assistance militaire à l'armée et à la police libanaises (soit 3 milliards de dollars), et en mars, à leur initiative, la Ligue arabe a proclamé le parti au pouvoir Hezbollah "organisation terroriste", rompant immédiatement les liens économiques et politiques qui reliaient Beyrouth aux capitales des monarchies arabiques.
Sans oublier l'histoire difficile des relations libano-syriennes: le conflit libanais pourrait être relancé par la moindre petite étincelle comme en avril 1975, après l'assassinat des gardes du corps du leader du parti chrétien Kataëb Pierre Gemayel qui avait provoqué l'attaque d'un bus transportant des Palestiniens. Résultat: une guerre civile de 15 ans. Ironie du sort, la Syrie faisait entrer et sortir ses troupes au Liban avec l'accord des USA — l'armée syrienne y a ainsi stationné d'avril 1976 à avril 2005. C'est seulement avec l'assassinat du premier ministre Rafiq Hariri (février 2005) et les grandes manifestations qui s'en sont suivies que Washington a pu enterrer le projet de Grande Syrie, préparé pendant de longues années par Damas. Néanmoins, les Américains ont préservé une influence indirecte sur le Liban, à laquelle a contribué la guerre de juillet 2006 contre Israël. Cinq ans plus tard, la Syrie se transformait en principal théâtre des opérations, remplaçant l'Irak de Saddam Hussein mis en pièces.
Pourquoi les USA ont-ils ainsi saboté le Moyen-Orient? Question de géographie. Le Liban et la Syrie sont les portes orientales de la Méditerranée, la principale artère commerciale qui relie depuis les siècles l'Europe à la Chine. Au XXIe siècle, les Américains s'y battront pour une nouvelle histoire en détruisant les vestiges du pouvoir colonial européen. La Grande émeute prendra la place de la Grande Syrie.