Le conflit afghan est alimenté par de multiples forces extérieures. Quels sont aujourd’hui les protagonistes sur ce théâtre militaire et meurtrier, et est-ce que l’implantation de Daech change désormais la donne?
L'Afghanistan s'avère être coincé dans un cercle vicieux: les Etats-Unis aident, mais restent à la fois une force irritante. René Cagnat, spécialiste des questions centre-asiatiques, propose une solution au conflit sévissant dans un entretien à Sputnik.
Le 7 avril dernier, au moins 17 civils ont trouvé la mort dans des attaques aériennes américaines au Paktîkâ, province du sud-est de l'Afghanistan, alors que les sources officielles américaines et afghanes insistent sur des pertes exclusivement parmi les terroristes.
Deux jours plus tard, des explosions ont secoué Kaboul après une visite surprise du secrétaire d'Etat américain John Kerry. L'objectif de sa visite? Appeler les talibans à se joindre au processus de paix, et le gouvernement afghan à résoudre ses divergences au plus vite.
Les talibans, ont-ils apprécié cet élan de cœur? Ils ont plutôt apprécié la visite même car John Kerry, comme ils l'ont avoué, était juste une cible pour eux.
Mardi, les talibans afghans ont annoncé le début de leur "offensive de printemps", un signe plus qu'éloquent qu'ils n'ont aucune intention de négocier avec le gouvernement de Kaboul dont les troupes vont subir leur deuxième saison de combats sans le soutien de l'Otan sur le terrain.
Oui, la plupart des troupes étrangères ont quitté le terrain, mais la guerre en Afghanistan est encore loin d'être terminée. Cette guerre existe maintenant sous différentes formes et fait toujours des victimes collatérales, comme par exemple les 17 civils abattus lors d'attaques aériennes américaines au Paktîkâ, province du sud-est de l'Afghanistan.
Il n'y a pas de vision commune sur le conflit afghan, il suffit de dire que l'Afghanistan est tout sauf un pays en paix. Dont attestent les flux d'Afghans fuyant le pays.
D'après René Cagnat, chercheur associé à l'IRIS, spécialiste des questions centre-asiatiques, le lancement de l'offensive de printemps des talibans ne va ni faciliter la vie des Afghans, ni changer grand-chose pour le pays. Mais ça va pourtant changer quelque chose chez les talibans.
"Ils sont extrêmement divisés, ils ont le Mollah Mansour comme dirigeant… Il a fallu d'ailleurs qu'il s'impose, qu'il en élimine deux ou trois autres pour assurer l'unité dont il a besoin pour le succès. Le succès c'est la meilleure façon de les rassembler et d'éviter les factions qui les divisent. C'est le premier but de l'offensive", estime M. Cagnat dans l'entretien accordé à Sputnik.
Ensuite, les talibans en sont arrivés à un point où ils peuvent envisager, après la prise de Kunduz, de prendre une autre capitale de province… ou deux, ce qui sera bien sûr très bon pour leur prestige.
"Ils vont essayer de garder ces capitales, en ce moment le mouvement taliban aurait acquis l'emprise sur le pays, puisqu'il serait uni. Actuellement, il a de grosses difficultés de division, surtout avec des éléments étrangers qui de plus en plus se tournent vers Daech. Ces éléments lui donnent la présence dans le nord que lui-même n'a pas. Et ces unités sont fournis par les étrangers qui ont étés ralliées", signale l'interlocuteur de Sputnik.
Le conflit afghan est alimenté par de multiples forces extérieures. Quels sont aujourd'hui les protagonistes sur ce théâtre militaire et meurtrier, et est-ce que l'implantation de Daech change désormais la donne? René Cagnat essaye de le décrypter.
"Voilà comment se présente la situation: d'un côté les talibans, de l'autre Daech, renforcé par les éléments internationaux. Les talibans sont pour le califat national, tandis que Daech et ses alliés sont pour l'action internationale à partir de l'Afghanistan en tant que tremplin vers les autres pays environnants, en particulier, vers l'Asie centrale", explique-t-il.
Cette action sera menée cette année principalement dans le nord de l'Afghanistan pour asseoir la présence des talibans et, épisodiquement, en direction de l'Asie centrale par les petits éléments qui y rejoignent là-bas les gens qui les attendent, les cellules dormantes du mouvement islamiste, poursuit-il.
Lundi, 12 recrues de l'armée ont péri dans un attentat-suicide revendiqué par les talibans dans l'est du pays. Mais les islamistes, qui mènent une sanglante insurrection depuis la chute de leur régime en 2001, comptent aussi s'attaquer aux 13.000 soldats de l'Otan afin de les démoraliser et de les forcer à quitter leur pays.
Ce qui veut dire que la présence américaine provoque et prolonge le conflit sévissant.
Au contraire, si les Américains avaient retiré tous leurs éléments, les négociations seraient possibles, même s'il y a encore 9.000 soldats américains, ce qui n'est pas rien. Si tous les soldats étrangers étaient partis, les talibans auraient accepté les négociations avec le gouvernement.
"Mais, est-ce que les Américains étant partis, le gouvernement aurait-il pu tenir? A Kaboul, par exemple", s'interroge M. Cagnat. "J'en doute. L'armée afghane n'est pas encore au point, et n'a pas de force de résister aux talibans".
Cela ressemble donc à un cercle vicieux: les Américains aident, mais restent à la fois une force irritante. Ce qui suggère une seule conclusion qui ne plaira pourtant pas à Washington: la solution consiste à retirer les troupes américaines et à renforcer l'armée nationale afghane.