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Accord entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite – Le prix d’une île déserte

Accord entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite – Le prix d’une île déserte

L’Egypte reconnaît la souveraineté de l’Arabie Saoudite sur deux îles : Tiran et Sanafir.

L’apparence immédiate

Au terme d’une longue visite officielle du roi d’Arabie Saoudite au Caire la population égyptienne vient de découvrir avec stupéfaction que l’Egypte reconnaissait la souveraineté de l’Arabie Saoudite sur deux îles : Tiran et  Sanafir qui ferment l’entrée du Golfe d’Akaba.

En échange de cette reconnaissance l’Arabie Saoudite accorde un prêt à long terme de 16 Milliards de dollars à l’Egypte.

Le golfe d’Akaba sépare le Sinaï, donc l’Egypte, qui en occupe la rive l’Ouest de l’Arabie Saoudite qui en occupe la rive Est et son extrémité méridionale est fermée par deux iles sur lesquelles l’Arabie va planter son drapeau. Demeure pour la navigation un passage navigable en eau profonde de 6 km de large entre l’ile de Tiran et la côte égyptienne.

Le contexte

Cet accord serait anodin puisque les deux signataires disposent  l’un et l’autre de milliers de kilomètres de côte et que leur activité sur leur rivage du golfe d’Akaba est très limitée. Côté égyptien le golfe et la région du détroit sont surtout voués à la plongée sous-marine dont ils constituent un des sites mondiaux les plus réputés de Taba jusqu’à Sharm El Sheikh.

Mais la question prend une dimension  politique et militaire d’importance mondiale car au fond du golfe deux autres états ont un accès à la mer, petit mais décisif : la Jordanie et Israël.

Pour la Jordanie Aqaba est l’unique et étroite porte sur la mer. La Jordanie n’y est pour rien. Sa frontière avec l’Arabie est le résultat du découpage SYKES-PICOT pour faire accepter par la dynastie hachémite son éviction d’Arabie et en particulier de La Mecque au profit de la tribu des Saoud. L’accès à la mer  était un peu de baume sur la plaie ! Encore faut-il noter que le tracé définitif de la frontière entre ces deux royaumes arabes n’a-t-il été arrêté après diverses escarmouches que par un accord de 1965.

Il en va bien différemment pour Israël. Dans la  brulante géopolitique moyen-orientale  Israël avec son accès au golfe d’Akaba et son port d’Eilat  est le seul pays à faire jeu égal avec l’Egypte en ayant un accès maritime à l’Occident par la Méditerranée et un accès à l’Orient par la Mer Rouge. Même si cette fenêtre sur l’Orient est minuscule (moins de 10 km de littoral), l’état sioniste y tient comme à la prunelle de ses yeux et son armée y déploie toutes ses capacités, y compris nucléaires. Depuis la création de l’Etat d’Israël, Eilat a vu sa population multipliée par 100 : le village de 500 habitants en 1955 est devenu aujourd’hui une ville moderne de 50000 habitants et son développement est une préoccupation prioritaire du gouvernement. Dés 1968, un pipeline Eilat Ashkelon est construit pour remplacer le canal de Suez fermé et pour alimenter les raffineries israéliennes sur la côte méditerranéenne.

Pour preuve la construction en cours par des entreprises chinoises d’un  TGV Eilat- Tel Aviv et un projet de canal Aqaba-Mer morte qui via la Jordanie alimenterait Israël (et en principe aussi les territoires palestiniens) en eau de la Mer rouge dûment dessalée au départ.

Possédant les deux îles qui ferment le détroit l’Egypte  détenait la capacité pratique de verrouiller le golfe d’Akaba. Elle en avait usé en Mai 1967 et quelques mois plus tard la guerre des six jours manifestait que pour Israël ce blocage était tout simplement inacceptable. L’Egypte battue paya très cher son geste, le canal de Suez fut fermé pendant huit ans  et elle perdit ainsi une partie notable de ses ressources.

Cette question était demeurée à ce point épineuse que le traité de paix entre Israël et l’Egypte y accordait une place particulière.


Etat du droit

La  vive réaction d’une partie de l’opinion publique égyptienne à l’annonce de l’accord avec l’Arabie mérite d’être confrontée à la réalité de la situation territoriale.

Les deux iles désertes et qui ne constituent en rien en elles-mêmes une gêne pour la navigation dans le détroit de Tiran  font partie intégrante du territoire saoudien dès l’origine mais n’ont fait l’objet d’aucune attention particulière de la part de la monarchie saoudienne car le pays dispose de 2000 km de côte sur la Mer Rouge et le détroit de Tiran n’a pour lui aucun intérêt stratégique.

Ceci explique que dès la création d’ "Israël", l’Arabie ait, dans le cadre de la solidarité arabe, laissé l’usage militaire des deux iles à l’Egypte pour lui permettre de verrouiller le golfe d’Akaba. Pour autant les deux iles ne sont pas devenues égyptiennes. La crise de Suez , si elle fut un échec pour l’opération franco anglaise , permit à l’allié israélien, interdit de navigation sur le canal de Suez, de  prendre la place de l’armée égyptienne sur l’ile de Tiran  et de protéger ainsi son accès maritime à Eilat.

En Mai 67 l’Egypte  reprend militairement possession des îles. Dés le 7 Juin Israel réplique puissamment , c’est la guerre des six jours . A son issue l’Egypte perd le Canal de Suez. Maigre consolation ,l’armée égyptienne reste sur les iles mais évitera de renouveler le blocus du détroit.

Cette situation nouvelle  d’ouverture de la navigation dans le golfe d’Akaba va conduire Israël à mettre en place le système de pipelines Eilat-Ashkelon qui permet:

- de faire transiter du pétrole brut entre la mer Rouge – port d’Eilat –  et la Méditerranée  - port d’Ashkelon – pour réexportation

- d’alimenter deux raffineries israéliennes de la côte méditerranéenne

- d’expédier depuis ces deux raffineries des produits raffinés vers le Néguev et Eilat

L’idée de remplacer le canal de Suez fermé prit également corps côté égyptien et un groupement de pays arabes  producteurs de brut décida en 1973 la construction du SUMED, pipeline joignant la mer Rouge à la méditerranéenne au voisinage d’Alexandrie. Sa mise en service n’intervint cependant qu’en 1977 après la réouverture du canal. Le SUMED a depuis trouvé sa place dans la logistique pétrolière internationale puisqu’il  voit passer deux fois plus de pétrole brut que le canal lui-même.

Le récent accord porte non pas sur la reconnaissance par l’Egypte de l’appartenance des deux iles au territoire saoudien ce qui n’a jamais été en question mais sur la reconnaissance des eaux territoriales saoudiennes autour de ces iles.

La différence n’est pas mince.

En effet la Convention des Nations Unies pour le droit de la mer a clarifié le régime juridique des eaux territoriales dans les détroits ouverts à la navigation internationale. L’accord entre l’Egypte et l’Arabie entre bien dans ce cadre. Le détroit de Tiran est trop étroit  4 miles marins pour que les deux pays riverains puissent étendre leurs eaux territoriales respectives dans les limites admises  de 12 miles marins. Une ligne de partage est donc nécessaire entre ces deux Etats. Chaque Etat reste souverain  sur ses eaux territoriales ainsi limitées mais garantit la liberté de navigation internationale affirmée dans les accords de Camp David.


L’opposition au président Al Sissi très organisée autour des Frères Musulmans et qui flatte en l’occurrence un nationalisme déplacé s’oppose donc en réalité à une normalisation juridique de la situation du détroit  et à la renonciation confirmée de l’Egypte (et subsidiairement de l’Arabie Saoudite qui n’en a jamais fait directement usage)  au recours à la fermeture du détroit dans le cadre du conflit israélo-arabe. Ce conflit, du fait des traités de paix de l’Egypte et de la Jordanie avec Israël et du fait  des bonnes relations présentes entre Ryad et Tel-Aviv n’a plus guère de points communs avec la période précédente. Par ailleurs le doublement du canal de Suez effectif depuis l’été 2015 rend l’Egypte moins sensible à la concurrence du pont terrestre Eilat-Ashkelon.

En rendant public cet accord et en réponse aux critiques immédiates qu’il a suscité, la présidence égyptienne a indiqué que sa négociation avait duré 5 ans  et que les autres pays riverains du golfe d’Aqaba à savoir Israël et la Jordanie y avaient été associés.

L’argent saoudien  sera certainement le  bienvenu dans les caisses égyptiennes pour peu qu’il contribue à l’indispensable amélioration de la situation économique d’une population  qui dépasse aujourd’hui 90 millions de personnes. Le  symbole de cet accord sera évidemment la construction du pont  de 50 kilomètres au dessus du détroit  de Tiran qui va bientôt relier l’Arabie à l’Egypte en prenant appui sur les iles saoudiennes, construction qui ne pouvait avoir lieu qu’après clarification du régime des eaux territoriales.

Les défenseurs de la cause palestinienne dans nos  pays qui pourraient être tentés de jeter la pierre à ces arrangements entre puissances régionales devraient  reconnaitre qu’attendre des seuls pays arabes divisés et dominés la décolonisation de la Palestine n’a pas produit de résultats probants,  que les seuls pays arabes belligérants  comme l’Egypte  et la Syrie y ont beaucoup perdu, que la Syrie en pâtit encore et dans les pires conditions  à l’inverse des monarchies arabes qui se sont contentées de gesticulations diplomatiques et d’envois de fonds humanitaires.

Il est patent que seule la permanence du puissant soutien  impérialiste occidental à la politique sioniste a rendu  impossible jusqu’à présent cette décolonisation.

Source: Mondialisation