Un responsable turc accuse le réseau de Gülen d’avoir "empoisonné le processus judiciaire".
La condamnation en 2013 de centaines de personnes, dont des dizaines d'officiers de haut rang, à de lourdes peines de prison pour tentative de coup d'Etat a été annulée jeudi par la plus haute cour d'appel turque.
La cour a justifié sa décision de casser le jugement par "manque de preuves" attestant de l'existence d'une "organisation terroriste" voulant renverser le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, aujourd'hui président.
En 2013, 275 personnes avait été condamnées dans cette affaire d'une grande complexité.
La cour d'appel a dénoncé de nombreuses irrégularités dans l'enquête, comme des mises sur écoute illégales, des témoignages de personnes dont les identités n'ont pas été révélées, mais aussi dans la formation du tribunal ayant jugé les 275 accusés, dont le général Ilker Basbug, ancien chef d'état-major, condamné à perpétuité dans ce dossier.
Dans cette affaire judiciaire, la plus retentissante de l'histoire récente du pays, les procureurs ont affirmé qu'ils avaient découvert un "Etat profond" fantôme, dont l'objectif était de fomenter des troubles et un coup d'Etat.
En 2014, un tribunal turc est allé jusqu'à qualifier le réseau dit "Ergenekon" d'"organisation terroriste armée".
De nombreux accusés ont par la suite été relâchés dans les mois suivant leur jugement, après avoir fait valoir que leurs droits avaient été bafoués, mais nombre d'entre eux ont été interdits de séjour hors du pays.
Les partisans d'Erdogan avaient accusé le prédicateur en exil aux Etats-Unis, Fethullah Gülen, un ancien allié devenu aujourd'hui ennemi numéro un du président Erdogan, de vouloir affaiblir l'armée en fabriquant de fausses preuves contre les officiers pour le procès.
Processus empoisonné
Réagissant à la décision de la plus haute cour d'appel, le vice-Premier ministre turc Yalçin Akdogan a accusé sur Twitter le réseau de Gülen d'avoir "empoisonné le processus judiciaire".
M. Erdogan avait pourtant à l'origine été considéré comme l'instigateur de ces enquêtes, dans son combat contre les hauts gradés de l'armée.
Tout avait commencé en 2007 par la découverte d'un stock d'explosifs chez un ancien officier de l'armée. Après investigations, des procureurs affirment que cette trouvaille les a conduits à mettre au jour les ramifications d'un réseau d'officiers, de policiers et de journalistes baptisé "Ergenekon" voulant commettre un coup d'Etat.
Les 275 personnes jugées dans cette affaire ont toujours démenti toute tentative de coup d'Etat, faisant valoir que les preuves utilisées par le tribunal avaient été manipulées.
L'armée turque, la deuxième plus grande en nombre après les Etats-Unis dans l'Otan, est responsable de trois coups en 1960, 1971 et 1980 et a chassé du pouvoir un gouvernement pro-islamique en 1997, dirigé par Necmettin Erbakan, le mentor politique de M. Erdogan.
M. Erdogan, qui a dans un premier temps multiplié les purges et les procès contre l'armée considérée hostile à son régime, a par la suite opéré un retournement spectaculaire en accusant la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen d'avoir piloté l'enquête et le procès Ergenekon.
Ce revirement est intervenu quelque temps après des accusations de corruption visant fin 2013 l'entourage de M. Erdogan, qui y a vu l'empreinte de son ancien allié.
Le gouvernement turc a engagé depuis de vastes purges dans la police et la justice, soupçonnées d'avoir été massivement infiltrées par des partisans de M. Gülen.
Pour le chef du principal parti d'opposition (CHP, social-démocrate), Kemal Kiliçdaroglu, la décision de la cour d'appel montre qu'"il y a toujours des juges dans ce pays".
Ilkay Sezer, avocat de l'ex-chef d'état-major Ilker Basbug, a déclaré à l'AFP qu'il pourrait y avoir un nouveau procès. "C'est au Premier ministre de décider de rouvrir un procès comme le prévoit la Constitution", a-t-il affirmé.
Avec AFP