Même en France, rares sont les sociétés de capitaux qui émettent des actions nominatives.
La bombe informationnelle du Monde, coordonnée avec celles actionnées dans d’autres pays, lançait dès son premier article du 3 avril des assimilations abusives grossières à l’intention du grand public, tant par son langage général que par son pseudo “lexique de l’offshore”, que l’on peut commenter article par article.
“Actionnaire(s) sont les propriétaires déclarés des sociétés offshore [...] d’autres ne sont que des prête-noms.”
En réalité un actionnaire est un propriétaire d’actions dans toute société de capitaux (SA ou SARL en France), même non offshore, que ce soit à titre majoritaire parfois ou très minoritaire comme le petit épargnant qui possède dix actions parmi les millions d’actions émises par une grande entreprise comme Total ou Peugeot. L’existence éventuelle illégale de prête-noms n’est ni caractéristique ni exclusive des sociétés offshore.
“Actions au porteur [...] anonymes permettent aux propriétaires réels des sociétés offshore de dissimuler leur identité [...] opacité totale sur l’actionnariat [...] le Panama est l’un des derniers pays à les proposer.”
En réalité, même en France, rares sont les sociétés de capitaux qui émettent des actions nominatives, même si les associés initiaux (fondateurs) d’une Société à Responsabilité Limitée sont nommés dans les statuts. Les grandes entreprises (généralement Sociétés… Anonymes) cotées en bourse ignorent l’identité de leurs milliers ou millions d’actionnaires, et dans tous les pays capitalistes des spéculateurs sont capables d’acheter des milliers d’actions d’une entreprise pour les revendre une minute plus tard (voire les ayant revendues à l’avance ce qui devrait certes être interdit mais ne l’est pas) sans avoir déclaré leur identité. Il y a quelques jours un spéculateur anonyme a fait chuter le cours de Turkish Airlines en revendant des milliers d’actions à la moitié du prix à laquelle il venait de les acheter, et il n’est même pas certain que son courtier (agent de bourse) connaisse son identité.
“Actions nominatives [...] l’identité des personnes [...] qui les détiennent est révélée. C’est ce type d’actions qu’émettent les entreprises des pays transparents.”
On mettrait volontiers l’auteur de cette assertion au défi de présenter à ses lecteurs une action acquise à la Bourse de Paris et mentionnant l’identité de son détenteur
“Administrateurs [...] les personnes qui dirigent les sociétés et peuvent être indifféremment directeurs ou membres du conseil d’administration. Dans les sociétés offshore, cela n’implique pas de gérer une activité, mais d’assumer la responsabilité légale.”
En réalité, à Panama comme en France un administrateur est un membre du conseil d’administration, organe élu par les actionnaires (propriétaires) et légalement réuni au minimum une fois par an pour prendre les grandes décisions d’orientation, dont la nomination et la révocation des mandataires sociaux. Un directeur a lui des responsabilités opérationnelles, soit comme gérant (ou président-directeur-général) nommé par ledit conseil comme mandataire social assumant la responsabilité légale de l’entreprise devant les tiers, soit comme simple cadre (de direction) recruté pour une mission générale ou spécifique (administration et finances, ressources humaines, production, commerce…) en vertu d’un contrat de travail.
“Ayant-droit ou bénéficiaire économique [...] tire les véritables bénéfices d’une société, même si elle n’apparaît pas officiellement comme actionnaire ou administratrice.”
En réalité ayant-droit est une notion juridique qui implique une visibilité devant la loi, opposable à des tiers et défendable devant la justice, au contraire justement d’une personne qui apporte sans apparaître officiellement et ne peut donc défendre ses droits, comme les politiciens véreux qui font des affaires clandestinement et se font légalement spolier par leur prête-nom Topaze.
“Blanchiment d’argent [...] consiste à dissimuler des fonds de provenance illicite (trafic de drogue, vente d’armes, fraude fiscale…) pour les réinvestir dans des activités légales et donc les recycler”.
En réalité c’est justement pour recycler des fonds de provenance occulte (car illégale) que le blanchiment ne consiste pas à les dissimuler mais au contraire à leur donner une visibilité, accompagnée d’une fausse origine licite. C’est une activité exercée préférentiellement dans des pays dits respectables et autant que possible en évitant les juridictions offshore. Plus de la moitié du blanchissement mondial s’effectue à travers la place financière de New-York, et une partie du reste passe par d’autres places états-uniennes. Quant à l’induction selon laquelle une vente d’armes serait par nature illicite comme un trafic de drogue ou une fraude fiscale, elle relève de l’idéologie.
“Compliance [...] vérification de conformité”, cet anglicisme dicté par les rédacteurs et sans usage au Panama, signifie respect des lois. Si la loi impose à toute banque de vérifier les antécédents judiciaires d’une personne physique souhaitant ouvrir un compte ou d’un mandataire social devant en ouvrir un pour une personne morale, sauf erreur aucun code de déontologie n’impose à un cabinet-conseil ou même à un organisme consulaire de vérifier qu’une personne désirant enregistrer une entreprise ne figure pas sur une “liste de sanctions internationales” sans condamnation pénale, que ce soit à Panama ou en France.
“Echange automatique de données [...] les pays du G20 ont appelé à la généralisation de l’échange automatique [...] les paradis fiscaux sont invités à mettre en place ce standard pour sortir des listes noires des pays non-coopératifs.”
En réalité cette recommandation émanant de l’OCDE est peut-être soutenue par certains pays du G20 (et refusée par la moitié des pays du monde), mais les Etats-Unis d’Amérique, deuxième puissance économique mondiale, ne l’appliqueront pas, bien que tous les pays y soient invités (pas seulement ceux que Le Monde qualifie de paradis fiscaux). Et Panama ne figure pas parmi les quatre pays restant sur la liste grise, la liste noire des pays non-coopératifs étant, comme Le Monde semble l’ignorer, vide depuis 2009.
“Évasion/optimisation fiscale [...] moyens légaux pour baisser le montant de son imposition, voire y échapper [...].
L’évasion fiscale est le délit consistant à échapper à une imposition dûe, l’optimisation fiscale est au contraire l’application optimale des lois pour éviter des impôts légalement évitables. Le contraire de l’optimisation fiscale, consistant à faire encourir à l’entreprise des impôts non nécessaires (par exemple des pénalités de retard) est une faute de gestion légalement punissable en cas de saisine de la justice, par exemple pour redressement judiciaire.
“Exilé fiscal [...] déménage dans un pays à la fiscalité plus légère.”
Cette réalité n’a rien à faire dans un lexique de l’offshore, puisqu’une personne physique ne peut pas être offshore et est nécessairement résidente légale dans un pays ou un autre.
“Fondation [...] entité légale qui agit comme une société offshore mais garantit plus d’opacité [...]. Les fondations ne sont soumises à aucune forme d’imposition au Panama. Les noms des bénéficiaires ne sont pas divulgués. Les fondations n’ont pas à produire de rapports financiers.”
En réalité fondation est le terme du droit anglo-saxon (adopté au Panama) pour association à but non lucratif, statut qui l’exempte, comme ses équivalents en France ou ailleurs, d’obligation de déclaration de résultats. Ce statut ne garantit pas plus d’opacité et n’est pas exclusif des sociétés offshore.
“Fraude fiscale [...] déplacer des capitaux dans des juridictions étrangères sans en avertir le fisc constitue une forme de fraude fiscale.”
En réalité la plupart des pays n’exigent de déclaration que pour les transferts unitaires supérieurs à 10000 dollars. Le fisc permet légalement aux Français d’emporter à l’étranger 9999 dollars (et même 1 de plus) sans aucune formalité, que ce soit pour leurs achats de nourriture et de souvenirs en vacances, pour distribuer à leurs maîtresses et aux passants ou pour fonder des entreprises (apporter du capital à une holding au Panama ou fournir le stock de départ d’un cousin vendeur ambulant au Vietnam).
“Holding”.
Encore un terme générique au capitalisme et absolument pas caractéristique de l’environnement offshore.
“Paradis fiscal [...] où certains impôts sont très bas voire inexistants, et qui cultive une certaine opacité.”
C’est évidemment encore une assimilation abusive. De nombreux pays ont un taux de prélèvements obligatoires sur la société productive bien inférieur aux 57% de la république collectiviste française tout en cultivant une transparence totale. Des micro-états n’imposent aucun impôt à certaines catégories de résidents, et le pays le plus étendu au monde arrive à maintenir des services publics modernes et complets en ne ponctionnant pas plus de 15% des revenus de ses citoyens et entreprises (certes 30% sur les revenus de non-résidents), sans cesser d’être en tout point respectable.
“Port franc/zone franche [...] sans [...] taxes douanières [...] le port franc de Genève.”
Sauf erreur, si la Suisse n’enregistre pas de sociétés offshore, ce sont des personnes physiques ou morales résidentes qui bénéficient de cette fiscalité volontairement attractive pour le commerce.
“Prête-nom(s) [...] permet de dissimuler l’identité du bénéficiaire réel.”
Superbement illustré par le personnage de Topaze, le prête-nom ou homme de paille existe dans toutes les sociétés corrompues et n’a rien de spécifique aux juridictions offshore.
“Procuration. Autorisation donnée à une personne, physique ou morale, pour représenter une société offshore [...] gestion sans restriction [...] chaque autorisation spécifie quels pouvoirs sont donnés.”
Au-delà de la contradiction manifeste dans la définition du Monde (gestion sans restriction et pouvoirs spécifiques), ce terme juridique, que l’on pourrait étudier comparativement au pouvoir, à la délégation, à l’ordre et à l’interim, est un terme juridique qui n’est propre ni à l’offshore ni même au droit du commerce et des sociétés.
Et l’on pourrait continuer.
Le Figaro, lui, a préféré demander le 4 avril à une spécialiste du droit civil et pénal (avocate) “qu’est-ce qu’une société offshore ?” et a obtenu pour surprenante première réponse qu’il n’y a “pas vraiment de définition juridique”, mais que c’est “une forme de société écran [...] dont l’apparence ne correspond pas à la réalité”.
La spécialiste de la plaidoirie continue en faisant état de “suspicions concernant la légalité de ces sociétés, notamment sur leur rôle en matière de blanchiment d’argent”, montrant ainsi sans complexe sa confusion entre le statut légal d’une personne juridique et le caractère légal de ses activités. Elle ajoute que tout bénéficiaire d’une société offshore “doit déclarer les profits tirés des activités de cette société [...] dans son pays de résidence”, ce qui est certes vrai pour un Etats-Unien imposable dans son pays sur ses revenus mondiaux mais est faux pour un Français qui n’est imposable (et n’a obligation légale de déclaration) que sur ses revenus français, sans distinction d’ailleurs selon que ses revenus de source étrangère soient ou non imposés dans leur pays d’origine.
Après avoir asséné à l’emporte-pièce que “ces sociétés sont utilisées, dans la grande majorité des cas, à des fins frauduleuses : pour faire de l’évasion fiscale par exemple ou pour dissimuler l’identité du bénéficiaire économique réel voire des opérations frauduleuses”, la spécialiste du Figaro conclut magistralement que “créer une société offshore est possible dans tous les pays du monde où le bénéficiaire économique n’est pas résident”, et prétend que par exemple “un Français peut créer une société offshore en Italie”, montrant ainsi que sa profonde connaissance du droit des sociétés italien l’a dispensée de se renseigner sur l’existence d’un statut de société non résidente dans le pays juridiquement le plus proche de la France.
Les professionnels du renseignement ont coutume d’affecter à toute information une pondération selon deux critères évalués séparément, d’une part la plausibilité intrinsèque de l’information et d’autre part la crédibilité de la source. En l’occurrence, l’affaire Panamalgame, dont on a par ailleurs déjà amplement exposé l’origine et les objectifs, n’aura pas contribué à renforcer la crédibilité future du Monde et du Figaro (entre autres).
Source: Mondialisation