22-11-2024 08:32 PM Jerusalem Timing

L’utopie des BRICS doit résister

L’utopie des BRICS doit résister

Ce groupe de pays, qui compte pour 18% du PIB de la planète, s’affirme de plus en plus comme le moteur de la croissance mondiale.

 «La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort.»

 François Mitterrand, confidences à Georges Marc Benhamou

 Cette boutade est là pour nous rappeler que le monde actuel est une jungle, les pays occidentaux donnent l’impression d’une unité de façade contre les adversaires de l’Empire. Mais entre eux c’est une lutte à mort. Il n’est que de voir comment les Etats-Unis tentent d’imposer le traité transatlantique Tafta. On comprend dans ces conditions comment ces pays occidentaux feront tout pour casser la dynamique de la Chine, de l’Inde, de la Russie surtout depuis qu’ils se sont organisés (BRICS).

En effet, «avec un PIB de 14 milliards de dollars, ils comptent pour 18% du PIB mondial. Avec un produit intérieur brut (PIB) de près de 14 milliards de dollars, ce groupe de pays, qui compte pour 18% du PIB de la planète, s’affirme de plus en plus comme le moteur de la croissance mondiale. L’an dernier, le seul commerce interne aux BRICS a atteint 230 milliards de dollars, soit 8% du commerce de la planète tout entière. «D’ici à 2016, ils compteront pour 37% de la croissance» du globe, prédit le dernier rapport économique de Grant Thornton.» C’était il y a quatre ans…

Les BRICS dit-on, font figure de colosses aux pieds d’argile. Devenus les poids lourds de l’économie internationale à hauteur du quart du PIB mondial et de 17% des échanges de biens et services, les cinq grands émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. Depuis, des problèmes ont surgi. Ceci n’est pas naturellement pour déplaire aux pays occidentaux industrialisés. Tensions sociales ou géopolitiques, consommation ou investissements en berne… Bien que les racines de leurs difficultés soient diverses, les économies du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud montrent toutes des signes d’essoufflement. Nous allons dans ce qui suit tenter de voir clair entre ce qui est structurel et ce qui est fomenté, voire provoqué d’une façon exogène – sans recourir à la théorie du complot pour cacher des indigences et pour faire diversion- sur un terreau de tensions sociales. On annonce régulièrement un affaissement de la Russie, du fait que les ventes de pétrole représentent la moitié des exportations russes. Très logiquement, le rouble chute. Du fait dit-on, que les épargnants russes, (les richissimes oligarques) sont inquiets. Car une petite baisse du taux de change entraîne une petite sortie de capitaux, qui affaiblit la monnaie et encourage de nouvelles fuites, et le cycle continue en s’amplifiant.

Le cas de la Chine

Dans le même ordre, en mars 2015, Patrick Saint Paul écrivait à propos du début du ralentissement de l’économie chinoise:

    «La seconde économie mondiale continue de s’installer dans la nouvelle norme” d’une croissance plus modérée, après trois décennies de développement fulgurant. L’activité dans le secteur des services en Chine s’est accrue en mars. Cependant, la croissance de l’emploi et des nouveaux contrats a nettement ralenti, ce qui pourrait inciter la Banque populaire de Chine et le gouvernement à prendre de nouvelles mesures pour relancer une économie en perte de vitesse. (…) Ce ralentissement tient à plusieurs facteurs, dont les difficultés du marché intérieur de l’immobilier, le poids de l’endettement et la consommation extérieure et intérieure à l’arrêt. Exportations, investissement, productions manufacturières sont en recul. La Chine s’achemine cette année vers une croissance autour de 7%, soit la plus faible depuis 25 ans.»  

La déstabilisation du Brésil

En ciblant le Brésil, la City et Wall Street veulent casser les BRICS. Karel Vereycken écrit à ce propos: «Dans son article du 7 mars, Ambrose Evans-Pritchard, le chroniqueur ultraconservateur du quotidien anglais Daily Telegraph, affirme que la déstabilisation de la présidente brésilienne entre dans sa phase finale, et que l’objectif n’est pas la lutte contre la corruption, mais la guerre anglo-américaine pour briser le groupe des BRICS. Sous le titre La chute de Lula marque la fin du fantasme des Brics, Evans-Pritchard claironne que le Brésil est le premier pays du quintette des BRICS à s’effondrer sur autant de fronts en même temps, bien que la Russie et l’Afrique du Sud sont plongés dans une grave crise et que la Chine dépense 100 milliards de dollars par mois de ses réserves de devises. Seul l’Inde a le vent en poupe. Le concept de BRICS est désormais dépourvu de tout sens”.»

Avec l’arrestation-spectacle de l’ancien président Lula da Silva, un proche de la présidente Dilma Rousseff, pour le Britannique :

    «l’élan pour destituer Mme Rousseff semble soudainement inarrêtable». Il précise immédiatement que «les marchés» (c’est-à-dire les grandes banques internationales) espèrent que le vice-président, Michel Temer, pourra prendre rapidement le relais et «saisir l’austérité et les réformes à la tête d’un gouvernement pro-business». (…) «En même temps, la Couronne britannique sort du placard sa mascotte, Marina Silva, la candidate verte qui dispose du soutien non dissimulé de la famille royale britannique. En 2008, elle a été récompensée pour son agitation écologiste par le Duke of Edinburgh Conservation Award, un prix offert par le prince Philippe d’Edinbourg, le très malthusien fondateur de World Wildlife Fund (WWF).»  

    «Dans son article, Lula et lesBRICS pris dans une lutte à mort, Pepe Escobar rappelle que: Déjà en 2009, WikiLeaks exposait comment les majors pétrolières étaient actives au Brésil, en essayant de modifier – par tous les moyens d’extorsion nécessaires – une loi proposée par l’ancien président Lula da Silva, positionnant la lucrative compagnie nationale Petrobras comme opératrice en chef de tous les blocs offshore de la plus grande découverte de pétrole de ce début de XXIe siècle, les gisements pré-salifères. Lula n’a pas seulement maintenu hors du tableau les majors pétrolières – en particulier ExxonMobil et Chevron – mais il a également ouvert l’exploration pétrolière au Brésil à la chinoise Sinopec, dans le cadre du partenariat stratégique sino-brésilien (BRICKS entre BRICS) »  

    «Le scandale de la corruption contre Petrobras, poursuit Escobar: A démarré avec les révélations de Snowden sur la façon dont la NSA espionnait la Présidente brésilienne Dilma Rousseff et les dirigeants de Petrobras. Elle s’est poursuivie avec le fait que la police fédérale brésilienne coopère aussi bien avec le FBI que la CIA, qui lui prodiguent entraînement et formation et/ou qui la nourrissent, étroitement (surtout dans la sphère de l’antiterrorisme).

    Et cela a continué à travers l’enquête «Car Wash», qui dure depuis deux ans (…) Mais pour les procureurs de l’opération «Car Wash», le véritable objectif, depuis le début, est de prendre Lula au piège” (…)» Une partie de l’oligarchie brésilienne, est terrifiée à l’idée que Lula se représente en 2018, et remporte l’élection. (…) Le 26 février, le Parti des travailleurs brésiliens (PT) a adopté un plan d’urgence national” (NEP) demandant à Rousseff de couper les ailes du secteur financier prédateur. (…)»

Daniel D ; nous décrit la marche suivie pour la destitution  de Dilma Rousseff :

    « Le président de la Chambre basse du Congrès brésilien, Eduardo Cunha, impliqué dans un réseau de crime organisé, selon les déclarations Mardi à la Cour suprême de Rodrigo Janot, procureur général du Brésil, est précisément le moteur de toute l’opération qui voudrait destituer Dilma Rousseff au Brésil. (…) Le 17 avril 2016 les deux tiers de la chambre des députés brésilienne ont voté pour le lancement d’une procédure de destitution contre la présidente actuelle Dilma Rousseff. Si à la mi-mai le sénat s’y joint également, Rousseff sera destituée de ses fonctions officielles pour 180 jours au maximum. Après ce délai, le sénat devrait voter pour une destitution définitive de Dilma Rousseff. Sinon elle réintégrera ses fonctions. (…) La première réaction de Dilma Rousseff face au vote a été de se montrer combative et elle a désigné la procédure de ses adversaires comme étant un nouveau « coup d’Etat ». Le vote serait une « Violence contre la vérité, contre la démocratie et contre la prédominance démocratique du droit. » Pourrait-il vraiment s’agir d’un « coup d’Etat » et qu’est-ce qui se cache derrière la procédure de destitution ? »  

    « Pour rappel poursuit Daniel D. cinq des plus grands Etats BRICS totalisent 40% de la population et presque 25% de la puissance économique. La présidente du Brésil Dilma Rousseff a annoncé une coopération renforcée avec Moscou lors du 7e sommet des Etats BRICS en juillet 2015.  (…) Cette stratégie de guerre économique manifeste des Etats-Unis, qui consiste à mettre sous pression la Russie par le biais des marchés financiers dominés par l’Occident, serait alors plus difficile à appliquer. La présidente brésilienne Dilma Rousseff n’est pas le seul chef d’Etat qui a tout à coup dû faire face à un combat pour le pouvoir en politique intérieure et qui doit être destitué par tous les moyens. Cela a aussi été le sort de nombreux autres chefs d’Etat dont le gouvernement a une attitude amicale envers la Russie ou bien s’est engagé dans une coopération politique et économique plus étroite avec la Russie. (…)  sous cet angle, des événements de politique intérieure tels que la procédure de destitution contre Dilma Rousseff deviennent alors plus clairs »  

Les autres manoeuvres de déstabilisation

Naturellement toutes les techniques pour couler ces économies sont mises en oeuvre. C’est comme nous l’avons vu au Brésil la tentative d’empêchement de Dilma Rousseff. C’est aussi la déstabilisation de la Russie du fait de ses positions en Ukraine et en Syrie, notamment par l’arme du pétrole et des sanctions économiques. La manipulation de l’or et du dollar est une autre spécialité américaine qui a fait dire un jour à De Gaulle en 1983, énervé par la flambée du dollar et la hausse des taux d’intérêts américains:

«Les États-Unis nous font payer leur chômage et leur déficit. C’est nous qui permettons à Reagan de continuer une politique qui nous écrase.» De fait, quelles seraient les réserves américaines? Il semble que les Américains ont été les premiers à manipuler les cours de l’or du fait que la monnaie de référence, le dollar, est en principe garantie par son équivalent en or au cours du jour, or qui devrait être disponible à la requête des pays qui en font la demande. Y a-t-il une évaluation objective des réserves? On comprend que dans ces conditions de sauve-qui-peut, ceux qui peuvent acheter de l’or par tous les moyens:

    «En 1975 écrit F. William Engdahl, quand l’Allemagne, le Japon et d’autres pays essayèrent de payer le pétrole de l’Opep avec leurs propres monnaies nationales, Washington fit aussi en sorte que les pays de l’Opep et l’Arabie saoudite n’acceptent que du dollar en échange de leur or noir. Le prix du pétrole en dollar s’est effondré depuis septembre 2014 dans le monde. Passant de 103 dollars le baril à près de 30 dollars aujourd’hui. Dans ce contexte politique et financier, les banques centrales russe et chinoise achètent de l’or pour leurs réserves à un rythme enfiévré. En plus de cela, la Banque populaire de Chine a annoncé dernièrement qu’elle abandonnait l’arrimage (peg) au dollar US, et se diversifiait dans un panier de devises portées par l’euro. Or, les mesures prises à l’égard de l’or par les banques centrales de Russie et de Chine, sont bien plus stratégiques.»  

Dans le droit fil de la non-dépendance du dollar et des places financières occidentales, la Chine a mis en place sa propre Bourse. Christophe Burgeau écrit: «Le 19 avril a commencé à Shanghai une nouvelle cotation du cours de l’or souhaitée par les autorités chinoises. Ces dernières n’ont semble-t-il qu’une confiance limitée dans les cotations de Londres et de New York qui font jusqu’ici référence. Il est vrai que la Chine est le premier producteur d’or au monde et le premier importateur.»  

Le bonheur des pays riches fait le malheur des BRICS

Un article partial où on sent comme un goût de revanche, à savoir la nécessité d’ une remise au pas par l’Empire qui «refait plus que jamais surface». Charles Wyplosz professeur d’économie à Genève, écrit:

    «Il n’y a pas si longtemps les pays dits BRICS étaient encensés comme le succès économique du siècle. (…) Exit les États-Unis en déclin, exit la vieille Europe, l’avenir du monde avait enfin changé de camp. Le grand rattrapage était en route et on pouvait entrevoir le moment où il n’y aurait plus de pays pauvre. Et voilà que tout a changé. La locomotive économique du monde, c’est de nouveau les États-Unis. En Europe, la reprise arrive, certes un peu trop doucement et trop modeste. Mais le Brésil est en crise, la Russie est à genoux, la Chine fait face à la déflation et l’Afrique du Sud a replongé. Il reste l’Inde, qui n’a jamais été un foudre de guerre et qui suit son petit bonhomme de chemin, trop limité pour sortir des dizaines de millions de personnes de la pauvreté profonde.»  

Constant dans son réquisitoire il parle de tentative pour un autre monde plus juste comme d’une mode:

    «Que s’est-il passé? D’abord, que les modes ne sont pas destinées à durer. Trop de paillettes illusoires entouraient les promesses de ceux qui annonçaient un monde nouveau. (…) Ce sont des centaines de milliards de dollars qui sont partis vers les pays de la nouvelle frontière de la croissance économique, Il est encore un peu tôt pour savoir à quoi tout cet argent a servi, mais il n’est pas difficile d’imaginer beaucoup de gaspillages, des investissements justifiés par l’illusion de la croissance forte éternelle.»  

    «Ensuite, les pays riches ne concentrent certes plus 85% du revenu mondial comme il y a vingt ans, mais tout de même encore les deux tiers. (…) La Chine avait voulu échapper à ce problème en engageant la grande politique de rééquilibrage: elle allait dépendre moins de la croissance étrangère -essentiellement les États-Unis et l’Europe- et plus de sa propre demande interne. Les autorités ont encouragé un accroissement rapide du crédit et il s’est passé ce qui était prévisible: une bulle immobilière. Le soufflé est retombé. Les prix des matières premières aussi, et la belle croissance des pays producteurs de tout ce qui sort de terre s’est arrêtée net. La Russie, qui n’exporte pas grand-chose d’autre que ses ressources naturelles, n’avait pas besoin de sanctions pour plonger, tout comme le Brésil allait aussi connaître les affres de la récession même sans scandales politiques.»  

Utilisant la méthode Coué il annonce:

    «La reprise économique des pays riches va maintenant progressivement requinquer le reste du monde, mais de très gros nuages se sont accumulés et l’orage menace. (…) Ceux qui ont emprunté des dollars, parce que le taux d’intérêt était très bas, vont maintenant devoir rembourser des dollars. Or la période de taux nuls arrive à sa fin aux États-Unis. Du coup, l’argent commence à y revenir et le dollar s’apprécie. Or, pour un Chinois ou un Brésilien qui a des revenus en yuans ou en reals, un dollar plus cher signifie une dette plus lourde. (…) C’est pour ça que les mêmes financiers qui chantaient les louanges des pays émergents sont maintenant en train, non seulement de cesser de prêter à ces pays, mais aussi de rapatrier l’argent qu’ils y ont mis. Le reflux est pour l’instant modéré, mais on a trop souvent assisté à la manoeuvre pour ne pas redouter une brutale accélération.»  

C’est à se demander si ces pays auront la paix un jour! La Chine avec 7% de croissance est déclarée cliniquement morte! Elle qui a sorti de la pauvreté 500 millions de Chinois autant que la population de l’Europe! En Occident on essaie de détecter le moindre frémissement de la croissance: «La croissance est là…disait Hollande, sans qu’on la voit», une croissance de 0,2% est fêtée en France comme une prouesse. Sachant qu’elle est due en grande partie à la chute des prix du pétrole et comme l’écrit:

    «(…) Parmi les hirondelles qui pourraient faire le printemps de l’économie française, figure la baisse du prix du pétrole, et avec elle celle de l’ensemble des hydrocarbures. Par rapport au prix de 100 dollars du baril que nous connaissions depuis 5 années, une telle baisse de l’ordre de 50% représente pour la France un chèque annuel d’environ 20 milliards d’euros, soit une bouffée d’air du même ordre de grandeur que l’ensemble du pacte de compétitivité et de responsabilité, péniblement mis en place par le gouvernement depuis plus de deux ans. On pourrait se contenter de recevoir ce cadeau tombé du ciel, en espérant qu’il se perpétue au cours des prochaines années.»  

Il n’y a ni morale ni amitiés en l’occurrence. Le monde nouveau, nécessairement multipolaire, tarde à accoucher. Ce qu’il y a de sûr est que le barycentre s’est déplacé vers l’Asie. Ces combats d’arrière-garde ne doivent pas nous empêcher d’être vigilants! Un proverbe bien connu nous apprend que les adversaires d’hier sont les amis de demain et inversement…

Source: Mondialisation