Abdeslam peut livrer des informations précieuses sur la fabrication du projet terroriste, ses commanditaires et d’éventuels complices.
Six mois après les attentats terroristes de Paris, Salah Abdeslam, dernier membre des commandos de la capitale française, doit être entendu vendredi par les juges d'instruction, un interrogatoire qui peut ouvrir des perspectives s'il confirme son intention de collaborer.
Le petit caïd radicalisé, devenu le fugitif le plus recherché d'Europe
jusqu'à son arrestation le 18 mars en Belgique, a été inculpé le 27 avril en
France, notamment pour assassinats terroristes, et placé à l'isolement à la
prison de Fleury-Mérogis, au sud-est de Paris.
Son avocat français Frank Berton avait alors annoncé la date de l'audition
devant les caméras. Contacté depuis par l'AFP, il a fait savoir par son cabinet
qu'il ne s'exprimerait "ni avant ni après l'interrogatoire".
Arrêté à Molenbeek, la commune bruxelloise où il a grandi, après plus de
quatre mois de cavale, Salah Abdeslam est le seul suspect entre les mains de
la justice française à être directement lié aux attentats de Paris. Deux autres
inculpés en France sont considérés comme des seconds couteaux.
Ami d'Abdelhamid Abaaoud, coordinateur présumé des attaques, Abdeslam a eu un rôle de premier plan dans les attentats meurtriers du 13 novembre, qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés.
Au coeur de la cellule, au soir des tueries mais aussi en amont, il en sait
sans doute beaucoup. Il est celui qui a déposé les trois kamikazes du Stade de
France avant d'être exfiltré vers la Belgique.
Avant les attentats, c'est lui qui a loué des véhicules et des planques en région parisienne. Dans les mois qui précèdent, il a multiplié les voyages pour convoyer des membres du réseau à travers l'Europe, notamment Najim Laachraoui, possible artificier du 13 novembre mort en kamikaze lors des attentats du 22 mars à Bruxelles.
En attendre mais pas trop
De par son rôle, crucial, Abdeslam, qui a "envie de s'expliquer" d'après Me
Berton, peut donc en théorie livrer des informations précieuses sur la
fabrication du projet terroriste, ses commanditaires et d'éventuels complices
encore dans la nature. Il peut aussi éclairer les enquêteurs sur les liens
entre les attentats de Paris et de Bruxelles, fomentés par la même cellule liée
au groupe Daech (EI).
Jusqu'à quel point? "Les enquêteurs n'ont que lui sous la main, il peut
aider s'il collabore, soit pour confirmer des éléments, soit pour donner de
nouvelles pistes", estime l'avocat Gérard Chemla, qui défend une cinquantaine
de victimes et leurs proches. "Après, il ne faut surtout pas être suspendu à
ses lèvres" et attendre des "révélations sensationnelles", relativise-t-il,
notamment parce qu'à ses yeux, "les investigations sont allées déjà très loin",
avec le démantèlement du réseau, "bien décimé".
Jean Reinhart, autre avocat qui assiste des dizaines de victimes et leurs
familles, n'attend pas vendredi un "quelconque repentir", ni "une grande
sincérité". "Les premières auditions sont souvent dans le déni. Il faut
peut-être laisser le processus s'installer dans le temps." D'autres auditions
suivront.
Les déclarations de Sven Mary, l'avocat d'Abdeslam en Belgique, le
décrivant comme un "petit con" à "l'intelligence d'un cendrier vide", "plutôt
un suiveur qu'un meneur", laissent présager qu'il cherchera peut-être à
minimiser son rôle, comme il semble l'avoir fait devant les enquêteurs belges,
en assurant avoir fait "machine arrière" alors qu'il aurait dû se faire sauter
au Stade de France.
Interrogé au moins à deux reprises en Belgique, Abdeslam s'était alors
présenté comme un pion aux commandes de son frère Brahim et d'Abaaoud,
"responsable" selon lui des tueries. Mais il avait menti en affirmant n'avoir
vu Abaaoud qu'une fois alors qu'ils ont été compagnons de délinquance à
Molenbeek.
Dans cette enquête qui mobilise plusieurs pays, plus d'une vingtaine de
personnes ont été mises en examen ou inculpées, principalement en Belgique.
Malgré d'importantes avancées, des questions restent en suspens.
Coordination, choix des cibles, financement, failles des renseignements: les centaines de parties civiles espèrent obtenir des réponses des magistrats qui les réuniront pour la première fois du 24 au 26 mai à Paris.
Avec AFP