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« Enchaîné à son lit, mourant de faim pour être libre »

« Enchaîné à son lit, mourant de faim pour être libre »

Mahmoud Darwish - nommé ainsi d’après le grand poète palestinien - avait l’espoir de célébrer son neuvième anniversaire avec son père, Sami Janazreh. Au lieu de cela, il a dû marquer la journée dans une tente de protestation.

    
La tente a été mise en place dans le camp de réfugiés de Fawwar, près d’Hébron, pour soutenir Janazreh, l’un de ses habitants dont la famille est originaire d’Irak al-Manshiyeh, un village ethniquement nettoyé. Emprisonné sans inculpation ni jugement - en vertu de ce qu’Israël appelle la détention administrative - il est en grève de la faim depuis le 3 mars.

« Malgré son jeune âge, Mahmoud Darwish parle comme s’il était un expert juridique en raison de la façon dont il a suivi de près le cas de son père, » dit Rima Janazreh, la femme de Sami, à The Electronic Intifada. « Les enfants de son âge sont censés parler de sport ou d’école, mais mon fils ne parle que de la détention administrative et des procès militaires. »

Les proches de Sami Janazreh sont malheureusement habitués à être loin de lui. Ses séjours en prison ont totalisé neuf ans.

Pendant une partie de ce temps, il a été détenu sur des accusations relatives à son implication dans les Brigades des Martyrs al-Aqsa, l’aile militaire du Fatah. À d’autres moments - comme maintenant - les autorités israéliennes ont refusé de publier la moindre accusation contre lui.

Au cours des derniers jours, nous avons appris que Janazreh avait suspendu sa grève de la faim pour une durée d’une semaine.

Cependant, son frère Kayed a dit que Sami avait seulement accepté de prendre des vitamines et des aliments liquides. Cette décision a été prise après que la Haute Cour israélienne ait reporté son examen d’une requête déposée par Janazreh contre sa détention administrative.

« Selon la définition internationale, la grève de la faim se poursuit du moment qu’il refuse toujours de prendre des aliments solides », a ajouté Kayed.

Janazreh avait cessé de boire de l’eau plus tôt ce mois-ci pour protester contre le fait d’avoir été battu alors qu’il était transféré de la prison de Soroka vers Naqab, un hôpital dans le Néguev.

La situation de Janazreh n’est pas du tout exceptionnelle. Environ 700 Palestiniens étaient détenus en détention administrative au mois de mars, selon Addameer, un groupe de défense des droits des prisonniers. C’est plus de deux fois le chiffre qui existait au moment où une vague de soulèvement contre l’occupation israélienne a éclaté en octobre dernier.

Défiance au milieu des doutes

De nombreux prisonniers palestiniens ont suivi de longues grèves de la faim au cours des dernières années. Parmi eux se trouvent Khader Adnan, Hana al-Shalabi, Mahmoud al-Sarsak, Samer Issawi, Muhammad Allan et, plus récemment le journaliste Muhammad al-Qiq.

Toutes ces grèves de la faim ont finalement réussi à faire pression sur Israël en le contraignant à libérer les prisonniers en question.

Cependant, des doutes ont également été exprimés quant à l’efficacité de cette tactique. Une grève de la faim collective suivie par des dizaines de « détenus administratifs » en 2014 n’avait pas réussi à imposer des concessions à Israël.

En entreprenant sa deuxième grève de la faim, Khader Adnan avait prouvé encore une fois l’année dernière que la tactique peut permettre d’obtenir des résultats. En 2012, Adnan avait été le premier d’une série de Palestiniens à se lancer dans une grève de la faim.

Il a suggéré que les grèves de la faim individuelles peuvent avoir un impact plus grand que celle collective de tout un groupe de prisonniers.

« Dans le passé, les grèves de la faim collective ont été utilisées par les prisonniers palestiniens pour exiger des améliorations tangibles dans leurs conditions d’incarcération, et l’unité des prisonniers politiques palestiniens avait rendu ces grèves possible », a déclaré Adnan à The Electronic Intifada.

« Les grèves de la faim en solitaire, quant à elles, s’appuient sur des exigences plus radicales comme la libération de la prison ou la cessation de l’isolement, et en tant que telles, elles constituent une menace énorme pour le système pénitentiaire israélien. »

Adnan fait valoir aussi que les grèves de la faim donnent de meilleurs résultats que simplement tenter de négocier avec les autorités israéliennes. Elles aident à attirer l’attention sur les injustices inhérentes à la détention administrative et à la nature arbitraire de la politique d’Israël.

Alors qu’Israël a capitulé à plusieurs reprises face à la pression exercée par les grévistes de la faim, il a également utilisé des méthodes cruelles pour essayer de réprimer cette forme de résistance. Ces méthodes comprennent l’adoption d’une loi permettant l’alimentation forcée des prisonniers.

Divisions

Un obstacle majeur que les prisonniers doivent surmonter, c’est les divisions politiques qui affectent les Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur des prisons israéliennes.

« Le problème est non seulement le manque de couverture médiatique [pour les grèves de la faim] », a déclaré Adnan. « Le plus gros problème, c’est que même les prisonniers de la même organisation sont partagés. Les divisions que nous voyons sur le terrain sont reproduites derrière les barreaux et se manifestent dans le manque d’actions collectives des prisonniers. Cela laisse les détenus administratifs sans autre choix que de décider d’aller en grève de la faim pour leur propre compte. »

Le cas de Janazreh se distingue des autres sur un point important. La plupart des grèves de la faim au cours des dernières années ont été entreprises par des prisonniers affiliés au Jihad islamique, au Hamas ou à des groupes de gauche. Janazreh est l’un des très rares prisonniers liés au Fatah - le parti en charge de l’Autorité palestinienne [AP] - à employer cette tactique.

« Nous avons reçu un appel téléphonique du président [Mahmoud Abbas] et plusieurs hauts fonctionnaires ont visité la tente dans le camp pour montrer leur solidarité, » a déclaré à The Electronic Intifada Kayed Janazreh, le frère de Sami. « Mais nous savons qu’une déclaration ici et là ou quelques visites ne sont pas suffisantes. »

Kayed Janazreh était réticent à critiquer l’Autorité palestinienne, même si celle-ci a généralement refusé de soutenir les prisonniers en grève de la faim avec une réelle volonté.

Les forces de renseignement de l’Autorité palestinienne collaborent avec leurs homologues israéliens dans l’interrogatoire des prisonniers, et Israël a félicité l’AP pour son aide à empêcher une confrontation accrue entre les Palestiniens et les forces d’occupation au cours des derniers mois.

Alors que Khader Adnan a fait valoir que l’Autorité palestinienne voyait les dernières grèves de la faim comme une menace pour sa légitimité, Kayed Janazreh a souligné que le soutien à l’égard de son frère s’est renforcé au cours des dernières semaines. Les hommes politiques représentant les Palestiniens ont été utiles, a-t-il ajouté.

« Il est évident que nous ne devrions pas attendre deux mois avant que les gens descendent dans la rue pour montrer leur solidarité avec un gréviste de la faim », explique-t-il. « Mais le défi et l’insistance de Sami finiront, nous l’espérons, par payer. »

Pendant ce temps, les mains et les pieds de Sami sont enchaînés à un lit d’hôpital. Il a exigé que les chaînes soient enlevées dès qu’il a su qu’une visite du Comité international de la Croix-Rouge était prévue.

Il a ensuite refusé d’accepter la visite parce qu’Israël ne supprimait pas ses entraves, selon Rima, sa femme.

Aucun des membres de la famille de Janazreh n’a été autorisé à lui rendre visite en prison ou à l’hôpital depuis le début de sa grève de la faim. Rima a demandé un permis de visite par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, mais sa demande a été rejetée par les autorités israéliennes.

Bataille contre le système

Israël a été extrêmement obstiné dans son refus du droit de visite aux familles des grévistes de la faim. Fayha Shalash, l’épouse de Muhammad al-Qiq, n’a obtenu aucun permis de visite à son mari jusqu’à ce qu’un accord pour mettre fin à sa grève n’ait fini par être négocié.

Les membres de la famille, en particulier les mères et les épouses, ont joué un rôle essentiel dans la campagne pour leurs proches, mettant en lumière leurs grèves de la faim, et mobilisant le soutien du public.

La grève de la faim de Muhammad Allan n’aurait pas reçu autant d’attention sans l’immense volonté de sa mère, Mazouza. Elle a organisé des manifestations de sit-in dans les hôpitaux où son fils était détenu. En réponse, des dizaines de militants se sont rendus dans ces hôpitaux pour soutenir Muhammad.

« Même soutenir nos époux et leur rendre visite pendant qu’ils sont au bord de la mort semble être considéré comme dangereux par Israël », a déclaré Rima Janazreh.

Sami Janazreh fait partie de plusieurs prisonniers palestiniens en grève de la faim. Fuad Assi, Adib Mafarjeh, Muhannad al-Azzeh et Muhammad Qawasmeh sont en grève de la faim pour protester contre la détention administrative, l’isolement, ou la négligence médicale.

Mansour Moqtada, un prisonnier gravement malade, ne prend que des subsituts alimentaires liquides. Condamné à la prison à perpétuité, Moqtada avait été grièvement blessé lors de son arrestation par les forces israéliennes en 2002.

Un autre prisonnier palestinien, Majdi Yassin, a annoncé tout récemment qu’il mettait fin à sa grève de la faim. Yassin, qui détient la nationalité suédoise, a été kidnappé en avril au passage contrôlé par Israël entre la Cisjordanie occupée et la Jordanie. Il était sur le chemin du retour vers la Suède.

Yassin devrait être traduit devant un tribunal militaire israélien la semaine prochaine.

« Cela ne se veut pas la bataille d’un seul prisonnier. C’est une bataille contre un système entier », a déclaré Khader Adnan. « Et cette forme de protestation se poursuivra jusqu’à ce que la détention administrative soit supprimée. »
 
 
Source: Info-Palestine