La bataille d’Alep dans le nord syrien sera décisive tant sur le plan régional et international.
"Le président Bachar el-Assad ne fut jamais notre ennemi, mais il s'est jeté dans les bras de l'Iran. Tel est notre problème avec lui bien avant la guerre actuelle. S'il s'écarte de l'Iran et entreprend des changements pour intégrer l'opposition au pouvoir, nous n'aurons plus de problème avec lui". C'est ce qu'admet un responsable d'un pays du Golfe, cinq ans après le déclenchement de la guerre qui ravage la Syrie.
L'Iran est le problème majeur des pays du Golfe. Mais la situation de l'Arabie Saoudite, qui dirige la campagne contre la République Islamique, suscite elle aussi des interrogations auprès de ses voisins du Golfe, tant sur sa situation interne qu'externe.
Outre ces facteurs, l'opacité des élections américaines prévues et l'absence de toute volonté américaine de mettre un terme au conflit syrien, sont autant d'indices qui augmentent le niveau de pessimisme dans l'analyse des pays du Golfe de la situation régionale.
Les pays du Golfe se sentent en effet à l'apogée de leur défi contre l'Iran. A la récession économique et la hausse vertigineuse des prix chez eux s'ajoute le "sacrifice" fait par le président américain Barack Obama à l'Iran, aux dépens des pays du Golfe.
Quelle est la portée des relations irano-américaines? Se poursuivront-elles avec l'avènement du nouveau président US? Pourquoi "l'expansion" iranienne s'accroit-elle dans la région depuis l'accord nucléaire? L'Iran fait-il désormais partie du "système international pour la résolution des problèmes" après avoir été vu par l'Occident comme un problème en soi?
Celui qui se rend actuellement aux pays du Golfe est informé de cette lecture des faits de la part des gouvernements de cette région arabe:
- Concernant la Syrie, ce pays sera inéluctablement partagé en cas de poursuite du conflit sanguinaire. Le nord du pays ne peut être livré à l'alliance opposée à l'Otan, la Turquie et l'Arabie Saoudite. C'est ce qui explique la férocité de la bataille au nord de la Syrie. Alep est la bataille décisive et c'est sur cette base que s'inscrit l'accord américano-russe.
Moscou ne soutient pas actuellement les aventures. Elle cherche à conclure des accords avec Obama pour décrocher des bénéfices avant son départ.
Certaines informations du Golfe évoquent un conflit militaire qui a opposé les forces russes à celles iranienne et syrienne au nord de la Syrie à cause des développements à Khan Toumane et ailleurs.
- Les Américains ont rejeté dès le début tout débat sur une solution sérieuse en Syrie. Lorsque nous leur demandions: qu'allez-vous faire après la chute d'Assad? On nous répondait qu'ils ne craignent pas l'expansion du terrorisme ni la dislocation de l'Etat. Après un certain temps, ils sont venus nous dire que nous avions raison. Aujourd'hui, ils ne savent pas et ne veulent pas fixer de solution à la guerre en Syrie. Ils seraient plus enclins à diviser le pays.
- Des responsables du Golfe disent: L'expansion iranienne en Syrie augmente. Des cas de conversion au chiisme ont été enregistrés. La domination militaire iranienne est désormais grande. Lorsque le général syrien Ali Mamlouk est parti en Arabie Saoudite l'an dernier, nous avons beaucoup insisté sur notre rejet de cet enlisement syrien dans le bourbier iranien.
- Malgré le bain de sang, les portes n'ont pas été fermées devant Damas. Certains ambassadeurs syriens travaillent toujours dans le Golfe, les Emirats ont même limité l'activité de l'opposition syrienne. D'autres pays du Golfe communiquent directement ou indirectement avec le pouvoir en Syrie.
- Les pays du Golfe peuvent accepter le maintien du président Assad. Il existe quelques divergences à ce sujet. A titre d'exemple, le ministre saoudien des Affaires étrangères réitère qu'aucun solution ne sera conclue avec le maintien d'Assad et exige son éviction politiquement ou militairement. Le Qatar adopte une position similaire et est actuellement alignée à l'Arabie Saoudite. Moscou tente de faire changer sa position. Cependant, certains pays comme le Koweit, les Emirats, le Sultanat d'Oman n'ont aucun problème dans le maintien d'Assad. Pour eux, la reprise des contacts avec Assad sera efficace pour alléger "l'emprise iranienne".
Les partisans de cette position estiment que certains commandements syriens, militaires et politiques qu'ils soient, sont plus enclins à une relation d'égal à égal avec la Russie mais ont besoin du soutien iranien. Il est donc crucial de trouver un moyen pour dire que toute ouverture à la Syrie nécessite une position syrienne envers l'Iran. Ceci est actuellement difficile mais il pourrait être plus facile avec le temps.
Qu'en est-il de l'Arabie Saoudite et des Etats-Unis?
- Des dirigeants des pays du Golfe traitent avec le second prince héritier saoudien le prince Mohammad ben Salmane comme étant le roi. Cet homme est distingué pour eux. Il traite avec les Emirats comme en tant que partenaires et multiplie les concertations. Il donne l'impression qu'il veut opérer des changements majeurs dans l'intérieur saoudien et sur le plan de la confrontation avec l'Iran.
Il est en interaction avec son entourage dans le Golfe. Lorsque le royaume saoudien a établi la "vision saoudienne pour 2030" avec des conseillers locaux et occidentaux, il a beaucoup puisé des projets développementaux mis en vigueur par l'émirat de Dubaï, actuellement une ville moderne, élégante et qui rivalise avec les villes occidentales sur le plan organisationnel.
L'Arabie Saoudite veut dresser des plans pour la période de l'après-pétrole, auquel renonceront les Etats-Unis. Dubaï ne renferme pas de ressources pétrolières, pourtant elle dépasse de loin l'Arabie Saoudite au niveau des projets de développements, de constructions et de tourisme. Il est donc important de multiplier les concertations avec le gouverneur de Dubaï Mohammad ben Rached Al-Maktoum pour transposer l'exemple émirati à l'Arabie.
- L'avenir de l'Arabie Saoudite est vague pour certains voisins. Qui sera le futur roi? Le prince Mohammad ben Salmane ou le prince héritier Mohammad ben Nayef? Que veulent réellement les Américains de l'Arabie Saoudite?
- Certains experts dans les affaires socio-économiques avancent que plusieurs facteurs d'inquiétude existent en Arabie, et qui s'apparentent aux facteurs ayant frappé l'Egypte avant la révolution. L'administration a besoin de réformes radicales. L'infrastructure institutionnelle est floue. La pauvreté est répandue. La situation des chiites dans la région de l'Est laisse poser des interrogations. Le terrorisme y possède des cellules dormantes. Le facteur religieux est enraciné et alarmant, comme ce fut le cas avec les Frères musulmans en Egypte.
Le réseau des pages sociales est jonché de positions qui étaient jusque-là étranges à la société saoudienne. Les aspirations des princes sont contradictoires. Les pressions occidentales sur le royaume sont importantes et suspicieuses. Tout ceci suscite dans les pays voisins des interrogations inquiètes.
Et à propos des Etats-Unis?
Les dirigeants du Golfe sont de plus en plus convaincus de l'importance de ne plus compter sur le soutien américain pour diriger leurs affaires. Mais ils ne comptent pas rompre l'alliance avec Washington. Ils préfèrent attendre l'avènement du nouveau président. Obama n'était pas tolérant pour eux.
Le rapprochement de la Russie n'était pas utile. Plusieurs rencontres ont eu lieu en Russie sans aucun changement dans le dossier syrien ni dans la nature du défi avec l'Iran. Les Etats-Unis affichent une prudence envers tout rapprochement entre le Golfe et la Russie. Les Américains doivent toutefois déterminer ce qu'ils veulent du Golfe et de l'Iran.
Actuellement, Washington envoie des signaux sur son manque de volonté pour la règlement du conflit syrien, et limite sa politique extérieure à la lutte contre le terrorisme. Lorsqu'Obama a visité les pays du Golfe, il a tenté de persuader les responsables de s'ouvrir à l'Iran. Il est devenu le ministre iranien des Affaires étrangères et non plus le président américain allié.
La question du terrorisme ne tourmente pas beaucoup les responsables du Golfe, bien que le terrorisme ait frappé maintes fois l'Arabie. D'aucuns disent: "L'éradication de Daech est possible si une décision internationale et régionale est prise".
Face à cet état de fait, l'Iran est devenu partenaire dans la lutte contre le terrorisme, et le Golfe en paie le prix.
Qu'en est-il de la relation avec Israël?
- Des responsables du Golfe se rappellent de leur sympathie envers le Hezbollah et Sayed Hassan Nasrallah en 2006. De multiples contacts ont eu lieu, directs et indirects. Des aides ont été acheminées. "Mais malheureusement, la situation a changé ensuite. Le parti a pris part aux guerres arabes au service de l'Iran".
Ces responsables sont convaincus que l'Iran post-Sayed Ali Khamenei n'aura plus besoin de guerres, et le besoin au Hezbollah s'estompera. Certains disent que l'accord nucléaire comprend des dispositions implicites sur des règlements sécuritaires avec Israël. D'autres prétendent que des responsables iraniens et israéliens tissent actuellement des liens. Mais personne ne possède de preuve concrète.
- Tous les dirigeants du Golfe ne soutiennent pas l'expulsion massive de chiites qui travaillent dans leurs pays dans le cadre des pressions sur le Hezbollah. Ils préfèrent appliquer cette mesure contre ceux qui coopèrent, financent et promeuvent les actions du Hezbollah effectivement. Des contacts sont en cours entre des responsables du Golfe et le Hezbollah pour alléger le poids de ce problème. Ils avancent que les pressions accrues sur les ressortissants chiites jetteront ceux-ci dans les bras du Hezbollah.
- Par ailleurs, des dirigeants du Golfe estiment que la rencontre du prince Turki Fayçal avec un responsable israélien n'est pas passagère. C'est un indice sur une nouvelle orientation au royaume. Des changements palestiniens visant à contrecarrer "l'expansion iranienne sous le prétexte du combat contre Israël" pourront survenir.
Dans ce contexte, Mohammad Dahlane a tenté de convaincre le Hamas de renoncer à la présidence et à la présidence du gouvernement parce que l'Occident et des pays arabes ne permettront pas la réalisation de ce projet.
Certains responsables du Golfe préfèrent Dahlane pour succéder à Mahmoud Abbas, ce qui favorisera le retour aux pourparlers de paix. Ainsi, toute ouverture arabe à Israël sera justifiée. Il est temps d'en finir avec la résistance armée, pour ces responsables, et l'Iran perdra alors son rôle.
Face à ce qui précède, l'Iran semble la cible unique. On s'attend à une pression de la part des réformateurs et des modérés pour pousser Téhéran à s'engager dans des consensus et à accepter de faire des concessions. C'est ce que le pensent les dirigeants du Golfe ces jours-ci. Mais ils savent, comme tout le monde d'ailleurs, que la bataille d'Alep dans le nord syrien sera décisive tant sur le plan régional et international.
Par Sami Kouleib
Traduit par notre site à partir du journal Assafir