Salah Abdeslam a été pris en flagrant délit de mensonge en assurant ne pas connaître Abdelhamid Abaaoud, l’instigateur présumé des attaques terroristes de novembre.
Dans sa cellule de Fleury-Mérogis qu'il occupe depuis le 27 avril dernier sous l'œil de caméras braquées sur lui en permanence, il a eu le temps de méditer sur cette journée clé. Pour la première fois, Salah Abdeslam, le seul rescapé des commandos kamikazes qui ont endeuillé la capitale et Saint-Denis en novembre dernier, était entendu sur le fond par les juges d'instruction parisiens.
L'interrogatoire, qui a démarré tôt ce vendredi au Palais de justice parisien (Abdeslam est arrivé peu avant 7h15), était capital. Ce Français de 26 ans né en Belgique est considéré comme l'un des rouages essentiels de ces opérations meurtrières menées à Paris. Mais devant les juges, Salah Abdeslam a de nouveau choisi le silence. «Il n'a pas souhaité s'exprimer aujourd'hui» et a indiqué «qu'il le ferait plus tard», a déclaré à l'Agence France-Presse l'un de ses avocats, Frank Berton. «Il a souhaité faire usage de son droit au silence, il faut lui laisser du temps», a-t-il ajouté.
Le parquet de Paris a confirmé que Salah Abdeslam a refusé «de répondre aux questions du juge d'instruction», avant de préciser qu'il n'avait en revanche fait aucune promesse de s'exprimer par la suite, contrairement aux déclarations de son avocat. «Il a également refusé de préciser les raisons le conduisant à faire un tel usage de son droit au silence. Il a refusé de la même façon de confirmer les déclarations qu'il avait précédemment faites devant les policiers et devant le juge d'instruction belges», a ajouté le parquet.
Actif dès les premiers préparatifs et sur place au moment des tueries du 13 novembre, Salah Abdeslam en est même le fil rouge. Cette omniprésence fera dire au procureur, François Molins, qu'il a eu «un rôle central dans la constitution des commandos, dans la préparation logistique des attentats et enfin en étant lui-même présent à Paris le 13 novembre». Ainsi, dans les mois précédant ces actions meurtrières, il aurait multiplié les voyages pour convoyer des membres du réseau à travers l'Europe. Puis, il aurait loué des véhicules et des planques en région parisienne pour les équipes terroristes. C'est lui encore qui, lors des raids sanglants, au volant d'une Clio, a déposé les trois kamikazes devant le Stade de France.
Un «simple exécutant», selon lui
Pourtant, plusieurs questions restent toujours sans réponse. Après avoir dit qu'il voulait se faire exploser au Stade de France avant de rétracter, aurait-il eu, en réalité, un problème technique touchant sa ceinture d'explosifs, l'empêchant d'aller au bout d'une action kamikaze? Devait-il aussi commettre un autre carnage dans le XVIIIe arrondissement, lieu où il s'était rendu et qui, selon la revendication de Daech, devait être le théâtre d'un autre attentat? Plus largement et s'il est disposé à parler, Salah Abdeslam pourrait aussi fournir des informations utiles sur la nébuleuse terroriste à laquelle il appartient et dont les fils sont loin d'avoir tous été tirés.
Déjà en Belgique, le terroriste ne s'était que peu exprimé. Après s'y être caché dès le lendemain des attentats parisiens, arrêté dans la banlieue bruxelloise le 18 mars dernier, à Molenbeek dont il est natif, Salah Abdeslam avait été entendu par les policiers belges. Lors de ces interrogatoires et avant d'être remis aux autorités françaises le 27 avril dernier, il s'était plus d'une fois défaussé sur son frère Brahim, l'un des kamikazes parisiens. Il n'aurait donc été, selon lui, qu'un simple exécutant, un second couteau auquel son avocat belge a ajouté une touche peu amène mais contribuant à parachever ce rôle de «suiveur» plutôt que de «meneur».
Me Sven Mary l'a traité de «petit con» à «l'intelligence d'un cendrier vide»… Mais lors de ces auditions, Salah Abdeslam a été pris en flagrant délit de mensonge en assurant ne pas connaître Abdelhamid Abaaoud, l'instigateur présumé des attaques terroristes de novembre. Il ne l'aurait vu, avait-il dit, que la veille des attentats. Or ils se connaissent depuis l'enfance.
L'ensemble des victimes reçues
Ces premières déclarations font d'ailleurs craindre aux familles des victimes de ne jamais connaître toute la vérité. «J'attends bien peu. Qu'on ne me dise pas qu'il n'était pas au courant des attentats qui se préparaient à Bruxelles le 22 mars dernier. Or quand il est entendu en Belgique quelques jours avant, il ne dit rien», souligne Me Jean Reinhart, conseil de plusieurs victimes. Représentant d'autres familles, Me Samia Maktouf attend aussi si peu de ces interrogatoires qu'elle envisage de se constituer partie civile en Belgique, où l'enquête en cours concerne les attentats de Bruxelles. «Car tout est lié. C'est la même cellule qui a agi dans les deux capitales. D'ailleurs, les Belges ont toujours Mohamed Abrini qui serait autant impliqué dans les attentats de Bruxelles que de Paris», explique-t-elle.
Me Maktouf prendra sa décision au lendemain des 24 et 26 mai prochain. Au cours de ces deux journées, les juges d'instruction parisiens recevront pour la première fois l'ensemble des victimes. Pour recevoir 500 personnes environ, ces rencontres destinées à rendre compte des avancées de l'enquête seront organisées à l'École militaire. C'est en fonction de ce qu'elle y apprendra que l'avocate décidera d'agir ou non devant la justice belge. Par ailleurs, la justice française a demandé jeudi la remise de quatre suspects inculpés en Belgique dans l'enquête sur les attentats parisiens, dont trois sont soupçonnés d'avoir aidé Abdeslam à fuir les 13 et 14 novembre.