Une cinquantaine de documents que la CIA a été obligée de publier en vertu de la loi américaine sur l’accès à l’information du public (FOIA).
"On court à la catastrophe": certains agents de la CIA avaient tiré la sonnette d'alarme en interne sur la torture pratiquée par l'agence de renseignement américaine après le 11-Septembre, selon des documents publiés mardi par l'agence.
"Ce matin j'ai informé" le centre anti-terroriste de la CIA (CTC) "que je ne serai plus associé en aucune manière avec le programme d'interrogatoires, en raison de mes sérieuses réserves" sur celui-ci, écrivait dans un message interne, le 22 janvier 2003, un agent de la CIA.
"On court à la catastrophe, et j'ai l'intention de fuir avant", ajoutait cet agent.
Un autre message, abondamment caviardé avant publication, et signé par le chef du service médical de l'agence (OMS), met en doute la valeur des informations fournies par les séances de simulation de noyade sur Abou Zoubaydah, le premier membre influent présumé d'Al Qaïda capturé par les Américains après le 11 septembre.
"Un psychologue interrogateur a estimé que la simulation de noyade avait permis d'établir que Abou Zoubaydah n'avait plus d'informations sur des menaces d'attentats imminents - une justification créative mais redondante", ironise le haut responsable.
Ces messages font partie d'un lot d'une cinquantaine de documents que la CIA a été obligée de publier en vertu de la loi américaine sur l'accès à l'information du public (FOIA).
L'Association américaine de défense des libertés civiles (ACLU) et le site d'information Vice ont déposé le recours qui a contraint la CIA a publier ces documents, mentionnés par le rapport sur la torture du Sénat américain de décembre 2014.
Ce rapport avait provoqué une onde de choc dans le monde entier.
Le directeur de la CIA John Brennan avait reconnu dans une conférence de presse historique que certains agents avaient employé des méthodes "répugnantes" pour faire parler les prisonniers.
Le président Obama, qui avait mis fin aux "interrogations poussées" dès son arrivée à la Maison Blanche en 2009, avait qualifié ces pratiques contraires aux valeurs des Etats-Unis
Parmi les documents publié jeudi, un rapport de juin 2004 de l'inspection générale de la CIA se fait l'écho des inquiétudes au sein de l'agence.
"Un certain nombre d'agents de différents grades (...) s'inquiètent de faire l'objet un jour de poursuites judiciaires aux USA ou à l'étranger", note le rapport, écrit quatre ans avant que l'administration américaine n'admette publiquement utiliser la torture.
Le même rapport relève que des interrogateurs se plaignent de pressions des analystes du quartier général pour continuer, sans raison "objective", les séances de torture sur tel ou tel prisonnier.
"Des couches pour humilier"
Les documents publiés montrent également que des agents de terrain ont protesté contre le fait que des psychologues sont intervenus pour poser des questions dans les séances d'interrogatoires.
"C'est un mélange des responsabilités", souligne un agent dans l'un des documents, en rappelant que le psychologue est là pour éviter que l'interrogateur aille trop loin, pas pour obtenir des informations.
"Ces documents bruts rendent apparente l'inhumanité des tortures conçues et menées par (les psychologues) James Mitchell et John Bruce Jessen et la CIA", a souligné mardi Dror Ladin, un avocat de l'ACLU.
L'ACLU assiste deux anciens détenus torturés par la CIA et la famille de Gul Rahman, un prisonnier mort de froid dans sa cellule, qui ont porté plainte aux Etats-Unis contre les deux psychologues. Selon l'ACLU, John Bruce Jessen faisait partie de l'équipe qui a torturé Gul Rahman.
L'ACLU pointe notamment l'un des documents publiés mardi, qui explique que les détenus de la prison où était détenu Gul Rahman "n'étaient vêtus que de couches" pour leurs interrogatoires, dans la seule intention "de les humilier".
Les prisonniers concernés étaient "changés par les gardes", et s'il n'y avait plus de couches, "les prisonniers étaient replacés nus dans leur cellule".
Rahman avait été retrouvé mort enchainé dans sa cellule, avec un sweat-shirt mais nu sous la ceinture, selon le rapport.
"Il y a une incertitude sur le moment où la couche de Rahman a été enlevée", indique froidement le document.