Des experts israéliens haut-placés livrent leur analyse de l’accord pour un magazine militaire en ligne israélien.
L’accord entre Israël et la Turquie, ne va probablement pas déclencher de reprise dans le court terme des échanges en matière de défense et de coopération militaire bilatérale.
Annoncé lundi, il a été approuvé mercredi par le Cabinet israélien à 7 voix pour contre 3.
Selon le magazine en ligne israélien anglophone Defense News, (traduit par Jforum), des responsables et des experts en Israël alertent du fait que la coopération stratégique, si et quand elle reprendra, sera focalisée sur la stabilité régionale et des mesures de sécurisation qui seront menées, prioritairement dans le contexte de l’alliance Américano-israélienne ou des relations entre Israël et l’OTAN (et pas directement avec la Turquie).
« Cet accord ne confère aucune ligne verte visant à restaurer l’intimité que nous avons connue entre nos deux industries de défense et nos cadres de l’armée, même s’il existait un tel désir en Turquie, ce qui est plus que douteux», a déclaré un responsable israélien à Defense News, en s’exprimant sous couvert de l’anonymat.
Un accord très froid
« Les bonnes relations ne redeviendront pas ce qu’elles étaient, à tout le moins dans un avenir prévisible, pour la simple raison que l’appareil sécuritaire turc, qui se percevait autrefois comme opérant en harmonie avec Israël, n’existe plus », déclare pour sa part Giora Eiland, un Général-Major israélien à la retraite et ancien conseiller à la Sécurité Nationale.
Selon Eiland , le Président turc « a réussi à purger et à réprimer les vestiges d’Atatürk », le premier Président de la république turque.
« Nous ne disposons plus d’amis naturels qui pensent à peu près comme nous dans l’armée », signale t-il.
Dans une interview lundi, Eiland a affirmé que la politique suivie par Erdogan, qui soutient les Frères Musulmans et le groupe Etat Islamique est tout-à-fait antagoniste avec Israël et qu’il serait irresponsable de poursuivre des relations significatives de transfert de renseignements, de moyens opérationnels et technologiques, sous l’actuel régime dominant à Ankara.
« Par nature, il s’agira d’un accord très froid ; un accord de commodité, mais qui n’a rien à voir avec le dialogue profond et le partenariat stratégique que nous avions auparavant », a t-il précisé.
Ne pas rebâtir trop vite
Même prudence chez Shaul Mofaz, ancien ministre de la défense israélienne et ancien chef d’État-major d’Israël.
Interrogé par Defense News, il a dit qu’il était important pour les deux pays de normaliser les relations, mais que toute relance d’une éventuelle coopération sécuritaire devrait évoluer et être sérieusement testée avec le temps.
« Il y a bien trop d’instabilité dans la région pour que deux puissances régionales centrales restent en état de dysfonctionnement », a déclaré Mofaz à Defense News. « Une fois qu’on a dit cela, nous ne pouvons pas trop rebâtir trop vite. Nous devons d’abord prendre en compte ce qui pourrait bien se produire la prochaine fois qu’une crise éclate ».
Lors de son interview, Mofaz rappelle qu’en tant que Ministre de la Défense entre 2002 et 2006, il a réussi à développer des relations d’échanges florissantes entre les deux armées et ministères de la défense, qui comprenaient les améliorations apportées par Israël aux principaux tanks M60 turcs utilisés sur le camp de bataille. « J’espère que le niveau de coopération puisse un jour revenir, mais nous devons être pleinement conscients de tous les changements intervenus dans la politique turque au cours de ces toutes dernières années ».
Un partenariat lancé dans les années 90
Selon Defense News, traduit par le site pro israélien JForum, c’est au milieu des années 1990 qu’Israël et la Turquie ont lancé leur partenariat stratégique, qui comprenait entre autre des ventes de moyens de défense israéliens d’avant-garde et des exercices aériens et navals devenus routiniers, à la fois dans un cadre bilatéral et en conjonction avec les forces armées américaines.
Toujours selon le magazine militaire en ligne , la Turquie est devenu vers 2005 l’un des marchés d’exportation de défense les plus importants d’Israël. « Des programmes majeurs, dont l’amélioration pour une valeur de 700 millions de $ des avions de combat F-4E Phantom, de la flotte aérienne turque; une amélioration à une hauteur de 668 millions de $ du tank M60A1 pour l’armée turque ; et des ventes de radars, de capteurs électro-optiques et de systèmes de commandement et de contrôle ».
En novembre 2005, les partenaires israéliens et turcs ont consacré une ligne de production homologuée aux tanks turcs M60A1 et, au début de cette année-là, Israël a commencé à partager de l’imagerie satellite avec Ankara, grâce à ses satellites-espions de la série Ofek tout dernier cri. Au cours de cette période, les deux pays ont aussi été lourdement impliqués dans des discussions sur la vente éventuelle du système de missiles tactique Arrow américano-israélien (Hetz en version israélienne) – une initiative qui n’a jamais marché comme prévu, du fait de l’opposition (avisée) de Washington.
Le soutien israélien à l'effort militaire turc
Yosi Ben-Hanan, ancien directeur des exportations de défense et de la coopération internationale au Ministère de la Défense israélienne, estime que durant les années de pic, approvisionnement en moyens de défense, pour la Turquie, en provenance d’Israël se chiffrait à plusieurs centaines de millions de dollars par an.
« Au cours de ces années culminantes, de 1998 à 2005, nous étions clairement dans une situation où la Turquie connaissait des besoins sérieux de modernisation de son armée. Elle trouvait un soutien important au sein des industries de défense israéliennes, alors qu’en même temps, nous avions un intérêt cardinal à cultiver ce type d’alliances avec un Etat islamique important dans notre région », rappelle Ben-Hanan.
Mais, aujourd’hui, étant données les politiques pro-islamistes de la Turquie et des tensions qui perdurent avec l’Egypte, la Jordanie et beaucoup d’Etat Arabes du Golfe, Ben-Hanan dit qu’il reste à voir si Israël et la Turquie pourraient encore se rapprocher du type de relations dont ils bénéficiaient autrefois, il y a plus d’une décennie.
« Il est trop tôt pour dire ce que la Turquie veut réaliser dans cette région et si ses intérêts sont compatibles avec les nôtres », dit-il.