Une guerre d’usure qui s’apparente à un coup d’état.
Face à la fronde de ses députés, Jeremy Corbyn s'accroche bec et ongles à la direction du parti travailliste et veut croire que le rapport Chilcot, qui a violemment critiqué la guerre en Irak, lui offre un second souffle.
Pacifiste convaincu, Corbyn, désavoué par 75% des députés travaillistes, a vu dans la publication mercredi de ce rapport l'occasion de prendre une revanche sur ses détracteurs, alors que le Labour menace d'imploser.
"Notre parti ne doit plus jamais être dirigé par quelqu'un qui n'exprime aucun regret d'avoir défendu la guerre", a déclaré mercredi le député Jon Trickett, membre de son cabinet fantôme, devant des milliers de supporters de Jeremy Corbyn rassemblés à Londres.
Le rapport Chilcot a dressé un bilan accablant de l'intervention britannique en Irak décidée sous le Premier ministre travailliste Tony Blair, dénonçant une offensive non nécessaire et non préparée.
A l'époque, Corbyn avait milité contre l'intervention. Parmi ses ennemis chez les travaillistes, beaucoup ont soutenu la guerre en Irak et la réforme du parti menée par Tony Blair.
A la gauche du Labour, "le mot blairiste est synonyme du mal", souligne Charlie Beckett, professeur à la London School of Economics (LSE). "Ca a toujours été une appellation péjorative mais désormais (le rapport Chilcot) lui donne davantage de force".
"Corbyn peut dire : +Regardez, je ne suis peut-être qu'un pauvre pacifiste, mais j'avais raison+", analyse-t-il.
'Ca va se tasser'
Depuis la victoire du Brexit, les députés travaillistes sont en guerre ouverte contre Corbyn, critiqué pour la mollesse de ses interventions en faveur du maintien dans l'UE lors de la campagne du référendum.
Mais la fronde, incarnée par Angela Eagle et Owen Smith, se heurte aux militants, pour beaucoup acquis à Corbyn, élu très largement à la tête du Labour en septembre.
"Si vous faites revoter les membres du parti, il l'emportera à nouveau", estime Charlie Beckett.
"Si le parti n'appartient pas à ses membres, qui ira voter ou faire le travail de base?", s'emportait mercredi Eilen Short, 60 ans, interrogée par l'AFP lors d'un rassemblement travailliste dans le sud de Londres.
Vendredi, Corbyn a appelé une nouvelle fois les députés à respecter la volonté de ces militants. "Les députés doivent respecter la démocratie de notre parti et les positions de ses membres, qui sont désormais plus de 500.000", a-t-il écrit dans le quotidien The Guardian.
"Il est le leader du parti. Un point c'est tout... Tout ça va se tasser", a assuré à la BBC John McDonnell, son bras droit.
Pour autant, après le vote de défiance la semaine dernière de 172 des 230 députés travaillistes, aucun signe d'apaisement ne semble se profiler. Et, face à l'impossibilité d'une destitution, la révolte anti-Corbyn pourrait tourner à la guerre d'usure.
"C'est un idéologue et son idée fixe est de s'emparer complétement du parti. A cet égard, le rapport Chilcot apporte de l'eau à son moulin", souligne John McTernan, ancien conseiller de Tony Blair à l'AFP.
"Il veut tenir jusqu'à ce que le Labour devienne un parti d'extrême gauche, le plus grand parti d'extrême gauche de l'histoire de la Grande-Bretagne, quitte à ce que le Labour soit plus petit que jamais".
Et au risque d'une scission du parti, juge le commentateur politique Janan Ganesh dans le Financial Times: "Les députés travaillistes doivent essayer d'obtenir le départ de Corbyn. Mais s'ils échouent, la logique politique et l'intérêt national plaident pour une rupture".
John McTernan doute cependant du fait que "95% des députés" s'en aillent et laissent à Corbyn "le nom, l'histoire et l'héritage" du parti.
Il prédit plutôt de nouvelles attaques contre Corbyn, "vague après vague", alors qu'au même moment le Labour devra aussi faire entendre sa voix dans les négociations de sortie de l'Union européenne.
"Le parti conservateur est peut-être divisé (...) mais eux seront capables de s'unir et ils regarderont le Labour se déchirer en petits morceaux", conclut-il.