Il existe des dizaines de façons, pour Israël, de tuer des Palestiniens verser leur sang à l’aide d’armes sophistiquées n’est que l’une d’elles.
Voici l’histoire de mon cousin Awad Alareer, qui est mort parce qu’Israël impose de sévères restrictions aux patients palestiniens nécessitant un traitement médical à l’extérieur de la bande de Gaza, plus particulièrement en Cisjordanie occupée, dont fait partie Jérusalem.
Awad, un garçon de 18 ans de Gaza, est mort moins d’un an après qu’on lui avait diagnostiqué un cancer des os.
Il avait besoin d’une autorisation pour bénéficier d’un traitement en dehors de Gaza. Israël avait retardé l’octroi de ces autorisations à plusieurs reprises.
Awad venait d’une famille de fermiers. Ils avaient été chassés de leurs terres de la bande de Gaza – plus vaste à l’époque – en 1948, lors de la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine.
Awad portait le prénom de son grand-père, qui a 84 ans aujourd’hui et est aujourd’hui l’un des fermiers les plus âgés de la bande de Gaza.
Awad l’aîné avait perdu des dizaines d’arpents quand Israël s’était installé sur les terres palestiniennes en 1948. Après 2000, il avait perdu ce qui restait de ses terres en raison de la « zone tampon » qu’Israël avait imposée à Gaza.
En pratique, cette « zone tampon » couvre tout ce qui, à Gaza, est situé à moins de deux kilomètres de sa frontière avec Israël.
Selon le Centre palestinien pour les droits de l’homme, environ 30 pour 100 des terres agricoles de Gaza ne peuvent être utilisées sans graves risques personnels. La zone tampon a également provoqué d’énormes pertes en revenu.
« Awad voulait être fermier, tout comme son grand-père », avait expliqué son frère Basel, 25 ans. « Awad était un garçon liant, tout le monde l’aimait. C’était une personne serviable. Il aidait même sa mère dans ses travaux ménagers, ce que les jeunes garçons de son âge ne font pour ainsi dire jamais, à Gaza. »
En 2001, les forces israéliennes d’occupation avaient ouvert le feu sur des fermiers palestiniens de Shujaiya, une section de Gaza-Ville, tuant l’oncle d’Awad, Tayseer Alareer, alors qu’il travaillait sur ses terres. Tayseer avait été abattu par des soldats israéliens cantonnés à Nahal Oz, un kibboutz qui accueille également une tour de guet de l’armée.
C’étaient les mêmes soldats qui, à l’occasion, s’arrêtaient à la ferme de Tayseer pour lui demander des pois chiches ou un épi de maïs.
Le petit Awad avait grandi en sachant toutes ces choses à propos de sa famille et de l’histoire de la Palestine. Il savait que l’occupation israélienne leur apportait la pauvreté et la douleur.
Il savait aussi que la meilleure façon de résister à ces voleurs de l’occupation était de continuer à travailler la terre de Palestine.
Une condamnation à mort
L’an dernier, Awad s’était plaint de sévères douleurs à la cuisse. Les calmants n’avaient servi à rien.
On lui avait fait des rayons X à l’hôpital al-Shifa, à Gaza-Ville.
Après quoi il avait été transféré dans un hôpital de la région de Khan Younis pour y subir une IRM, suivie d’une biopsie.
Les résultats avaient révélé un cancer.
« Un cancer, à Gaza, c’est une condamnation à mort. Nous n’avons pas les équipements adéquats, ici », m’avait dit le père d’Awad, Amin Alareer, 47 ans.
L’Égypte ouvre rarement Rafah — le passage frontalier entre elle et Gaza, le seul point de sortie pour l’immense majorité des quelque 1,9 million de résidents de l’enclave. « Et Israël tire toujours les choses en longueur dans ses prétendues procédures de contrôle de la sécurité », avait ajouté Amin.
À l’issue d’un léger retard dû à la longue liste de patients cherchant désespérément un traitement médical à l’extérieur de Gaza, le cas d’Awad avait été approuvé par l’hôpital universitaire An-Najah, dans la ville cisjordanienne occupée de Naplouse, inaccessible aux Palestiniens de Gaza sans autorisation israélienne.
Tout ce dont il avait besoin, c’était une autorisation israélienne.
« Le dossier d’Awad a été envoyé du côté israélien », avait dit Amin. « J’étais censé l’accompagner. Au bout de trois semaines d’attente, aussi bien Awad que moi-même avons été refusés. Il nous a fallu réintroduire une demande via le Centre palestinien pour les droits de l’homme. »
« Awad a finalement été accepté », avait ajouté Amin. « Mais moi, j’étais refusé. Et il devait être accompagné par quelqu’un. Nous avons donc envoyé une demande pour sa mère. Pendant tout ce temps, la santé d’Awad se détériorait. »
Urgence
Toutefois, quand Awad avait été prêt à partir, il avait déjà manqué son rendez-vous à l’hôpital universitaire An-Najah.
C’est ainsi qu’il avait été redirigé sur l’hôpital Augusta Victoria de Jérusalem-Est. Finalement, il avait été autorisé à se rendre dans cet hôpital à la mi-octobre. Des tests avaient confirmé qu’il avait un cancer des os dans la cuisse et une opération avait été prévue pour décembre.
Awad était retourné à Gaza. Comme il attendait son opération et un autre permis qu’il lui fallait à nouveau obtenir, il avait essayé de mener une existence normale en retournant à l’école. Le mot « normal » nécessite des précisions, quand il s’agit de Gaza. Son école avait été bombardée au cours de l’offensive israélienne de 2014.
Awad avait donc subi son opération en décembre. Heureusement, elle avait réussi. Mais Israël avait mis une fois de plus des bâtons dans les roues en retardant l’entrée d’une prothèse pour remplacer l’os de la cuisse. La prothèse devait être importée de Turquie. Cela avait traîné deux semaines avant de pouvoir en disposer.
Les soins de suivi sont d’une importance vitale après une opération importante. Il semble que les autorités israéliennes le savent très bien. Et elles ne jouent pas le jeu.
Awad était resté à Jérusalem pendant trois semaines environ après son opération. Il était ensuite retourné à Gaza.
« Awad était censé retourner là-bas au bout de trois semaines, pour un suivi – le 19 janvier de cette année », avait dit son père. « Mais Israël une fois de plus a rejeté sa demande. Deux fois ! Et chaque fois, nous avons dû réintroduire le demande depuis le tout début, comme s’il n’avait jamais été contrôlé auparavant. »
Ce n’est que le 5 avril qu’Awad avait été autorisé à se rendre de nouveau à l’hôpital de Jérusalem. « Cela signifiait que le cancer s’était déjà propagé fortement dans ses poumons », avait ajouté son père.
Le cancer du poumons d’Awad était inopérable. Il avait été renvoyé à Gaza et placé en soins intensifs.
Trois semaines plus tard, Awad mourait.
Tuer les malades
Par une douloureuse ironie, Israël se vante partout d’être un leader mondial dans le traitement de divers types de cancer.
« Il est particulièrement pénible de savoir qu’à quelques kilomètres d’ici, les Israéliens qui ont volé notre terre reçoivent les soins médicaux les meilleurs et les plus rapides », m’avait dit Basel, le frère d’Awad. « Si nous avions encore eu notre terre, nous aurions pu en vendre une partie et envoyer Awad dans les meilleurs hôpitaux d’Amérique ou d’Europe. »
Bassam al-Badri est un médecin qui travaille pour une section de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et qui essaie d’arranger des traitements pour des patients de Gaza. Il dit que si on agit rapidement, les patients dans la situation d’Awad peuvent souvent être sauvés ou, du moins, voir leur existence prolongée.
« Le temps est un élément crucial pour les patients souffrant de maladies chroniques, et particulièrement ceux avec une tumeur », dit-il. « Pour contrôler un cas, Israël met parfois 20, voire 30 jours, alors que le patient ne peut pas attendre plus de quelques heures. »
« Du fait qu’Israël rejette habituellement les demandes, nous avons fini par introduire quatre ou cinq fois la même requête, triplant et quadruplant ainsi nos efforts », ajoute-t-il. « Chaque fois que la demande d’un malade est refusée, nous devons recommencer toute la procédure à zéro. »
« Nous savons qu’Israël sait tout de nous », dit-il. « Pourquoi faut-il jusqu’à un mois pour contrôler un cas ? C’est une tentative délibérée de tuer ces personnes malades. C’est un crime de guerre. »
« Les conventions internationales garantissent un traitement médical aux soldats », explique Maher Shamiya, un haut responsable du ministère de la Santé de Gaza. « Ici, nous parlons d’enfants, de femmes, de personnes âgées et d’autres malades qui ne représentent de menace pour personne. Et, pourtant, Israël met une éternité à les laisser voyager. »
Une source du Hamas, qui s’exprime sous le sceau de l’anonymat, dit qu’Israël recourt « à un bras de fer et à un chantage délibérés envers les patients et leurs familles ».
Les patients sont soumis à d’énormes pressions afin de donner des renseignements à Israël, « voire même de collaborer », ajoute la source. Les autorités israéliennes disent aux patients qu’ils doivent agir comme des informateurs s’ils veulent bénéficier d’un traitement hors de Gaza.
Cette pratique a été très fréquemment mentionnée par des associations des droits de l’homme et par des journalistes.
Des patients ont été convoqués par Israël au check-point, prétendument pour recevoir des nouvelles concernant leur demande de déplacement. Une fois arrivés au check-point, ils ont été arrêtés.
Par exemple, Mahmoud Abu Ful, du camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza, a été arrêté après avoir été convoqué à Erez en avril dernier. Il s’était fait tirer dessus lors d’une manifestation en octobre 2015 et il avait tenté d’obtenir la permission d’aller faire soigner ses blessures en Cisjordanie.
Le Centre Al Mezan pour les droits de l’homme, établi à Gaza, a prétendu qu’Israël se servait d’Erez comme d’un « piège pour arrêter des patients, sans la moindre considération pour leur état de santé ».
Awad, dans ce cas, fait partie des nombreux Palestiniens qui ont été traités avec cruauté alors qu’ils étaient malades. Secouant la tête, mon oncle pensait aux effets de cette cruauté.
« Israël est un pays développé », avait-il ajouté. « Mais quand il s’agit de soigner les Palestiniens, c’est un pays du tiers-monde. Cela prend beaucoup, beaucoup de temps. Et cela coûte des vies humaines ici. »
* Refaat Alareer est l’éditeur du recueil de récits Gaza Writes Back : Short Stories from Young Writers in Gaza.
Source: Pour la Palestine