Le chef religieux du front al-Nosra est l’un des plus proches collaborateurs de Zawahiri
Alors que le Front al-Nosra affirme avoir rompu ses liens avec al-Qaïda pour protéger la révolution syrienne, des experts spécialistes de la sécurité soulignent des liens toujours existants
Des analystes spécialistes de la sécurité ont émis des doutes au sujet de la déclaration du Front al-Nosra selon laquelle le groupe militant syrien s’est séparé d’al-Qaïda, après que son chef a annoncé la manœuvre aux côtés d’un vétéran d’al-Qaïda.
Dans le but d’éviter que le groupe soit ciblé en tant que groupe terroriste par la coalition dirigée par les États-Unis et par les forces aériennes russes, le chef du Front al-Nosra, Abou Mohammed al-Joulani, a fait sa première apparition dans une vidéo ce jeudi, déclarant que le groupe s’était rebaptisé « Jabhat Fatah al-Cham » (« Front de la conquête du Levant ») et avait rompu ses liens avec al-Qaïda.
Pourtant, bien qu’il ait affirmé avoir dissous les liens officiels avec al-Qaïda, le chef du Front al-Nosra est apparu dans la vidéo aux côtés d’Ahmed Salameh Mabrouk, un militant égyptien qui a des liens de longue date avec al-Qaïda et son chef, Ayman al-Zawahiri.
Mabrouk est l’un des plus proches collaborateurs de Zawahiri depuis les années 1990 et a opéré pour al-Qaïda en Égypte, au Pakistan, en Afghanistan, au Yémen, au Soudan, en Russie et en Azerbaïdjan, selon des analystes de la Foundation for Defense of Democracies, un think tank américain connu pour sa position agressive vis-à-vis de l’Iran.
Son ordinateur portable, qui aurait été saisi par la CIA à Bakou, en Azerbaïdjan, a été décrit par l’agence de renseignement comme la «pierre de Rosette d’al-Qaïda ».
Certains analystes, dont Charles Lister, chercheur principal au Middle East Institute, et Hassan Hassan, chercheur à Chatham House, think tank spécialisé dans la sécurité, ont également été prompts à relever les vêtements portés par Joulani dans la vidéo, suggérant que ceux-ci ont été choisis délibérément dans le but de mettre en évidence un sentiment de continuité.
Lors de son discours, Joulani portait une veste militaire verte de camouflage et une coiffe blanche, un style vestimentaire semblable aux images bien connues de l’ancien chef d’al-Qaïda, Oussama ben Laden, dans le but apparent de rassurer les partisans du groupe.
Mabrouk a été arrêté une première fois en Égypte dans les années 1980, après l’assassinat du président Anouar el-Sadate. Plus tard, il a été signalé comme étant un membre du Jihad islamique égyptien et s’est rendu au Soudan et en Afghanistan.
En 1996, il a été arrêté avec Zawahiri en franchissant la frontière russe. Il a été détenu de nouveau deux ans plus tard en Azerbaïdjan, prétendument à l’issue d’une chasse à l’homme internationale dirigée par la CIA, selon un témoignage publié en 2006 dans un livre du journaliste Lawrence Wright, Looming Tower.
Aujourd’hui, Mabrouk serait un membre du conseil consultatif du Front al-Nosra et, dans une vidéo diffusée plus tôt cette année et intitulée «Les héritiers de la gloire », il a décrit la démocratie comme une «nouvelle forme de colonialisme ».
Dans la vidéo diffusée jeudi, Joulani a déclaré que la scission d’al-Qaïda visait à « combler le fossé entre les factions djihadistes dans le Levant » et « protéger la révolution syrienne », mais certains experts en sécurité ont considéré que cette manœuvre avait pour but d’éviter que le groupe soit une cible de la coalition dirigée par les États-Unis et les forces aériennes russes.
Robin Simcox, expert en lutte contre le terrorisme au think tank conservateur Heritage Foundation à Washington DC, a déclaré à Middle East Eye qu’il n’était pas « vendu à l’idée de la scission » et que le chef du Front al-Nosra n’avait pas rompu le « serment de loyauté » du groupe envers al-Qaïda au cours de la vidéo.
« Dans cette vidéo, Joulani couvre d’éloges le leadership d’al-Qaïda et ne dit pas qu’il rompt tous les liens avec al-Qaïda », argumente-t-il.
« Cela semble être une feinte, une manœuvre classique employée par al-Qaïda pour brouiller les pistes. Cela semble être une tentative visant à s’intégrer davantage dans l’opposition syrienne pour éviter les frappes aériennes des États-Unis et de la Russie.
« Je crois comprendre que d’autres groupes plus modérés [modérés pour les puissances qui les arment tout en sachant qu’ils sont tout aussi cruels et extrémistes et dont elles ne voudraient pas dans leurs pays, Ndlr]se méfient de cela, ce qui n’est pas surprenant dans la mesure où ça ressemble beaucoup à un exercice esthétique de renouvellement de l’image du groupe », a-t-il ajouté.
S’exprimant lors d’un événement organisé vendredi à Londres par l’International Centre for the Study of Radicalization and Political Violence, Aymann Jawad al-Tamimi, chercheur au Middle East Forum, a décrit la transition du Front al-Nosra vers un nouveau groupe comme un « projet guidé par al-Qaïda et conçu pour intégrer al-Qaïda dans l’insurrection syrienne ».
Des responsables américains et britanniques ont indiqué que le Front al-Nosra restait une cible légitime pour les frappes aériennes et que des préoccupations subsistaient quant au fait que le groupe se serve du chaos de la guerre en Syrie pour développer sa capacité à menacer des cibles aux États-Unis et en Europe.
James Clapper, directeur du renseignement national et conseiller clé du président américain Barack Obama, a qualifié cette opération de « coup de pub». Jeudi, lors du forum sur la sécurité d’Aspen, il a déclaré que cette opération de renouvellement était destinée à « créer une image plus modérée dans le but d’unifier, de mobiliser mais aussi d’attirer les autres groupes d’opposition en Syrie ».
Le gouvernement britannique ne fait aucune distinction entre le Front al-Nosra et al-Qaïda, selon des documents du Home Office publiés plus tôt ce mois-ci. Les documents détaillent la façon dont le Front al-Nosra partage l’objectif historique à long terme et plus large du groupe, à savoir « l’expulsion des forces occidentales d’Arabie saoudite, la destruction d’Israël et la fin de l’influence occidentale dans le monde musulman ».
Le groupe militant sunnite est connu pour être l’une des organisations rebelles les mieux armées de la guerre civile syrienne. Il compte environ 10 000 combattants et a gagné le respect d’un large éventail d’autres milices syriennes au début du conflit. Le Front al-Nosra a généralement évité des tactiques telles que des exécutions brutales et des attaques sectaires contre les autres groupes rebelles, mais a engendré dès le départ une opposition de la part de certains Syriens en imposant des lois religieuses strictes dans les zones sous son contrôle.
Amnesty International a également affirmé avoir reçu plusieurs témoignages concernant des exécutions sommaires effectuées par le groupe et ses alliés à Alep et Idlib, dont des massacres s’apparentant à des exécutions perpétrés devant des foules de protestataires. Selon d’autres rapports, le groupe a été impliqué dans des actes de torture contre des militants politiques à Alep en avril 2015.
Le groupe a en outre été impliqué dans une série de cas d’enlèvement très médiatisés, dont ceux d’un groupe de religieuses grecques orthodoxes et du journaliste américain Peter Theo Curtis, que le groupe a capturé en 2012 et détenu pendant deux ans.
Les États-Unis ont désigné le groupe comme une entité terroriste à la fin de l’année 2012, et des organismes de défense des droits de l’homme ont enregistré une série d’accusations à son encontre, comprenant des exécutions sommaires, des actes de torture et des enlèvements, comme celui plus tôt ce mois-ci du chef d’un groupe rebelle soutenu par les États-Unis.
Par Jamie Merrill
Source: MEE (Traduit de l’anglais)