Sur les volumes prévus, on est bien loin des 63 milliards de m3 par an évoqués il y a deux ans
Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, à la recherche d'un symbole fort pour marquer leur réconciliation, ont ressorti mardi des cartons le gazoduc russo-turc TurkStream, mais avec des ambitions nettement plus modestes qu'à l'origine face aux réticences des Européens.
A son annonce fin 2014, ce projet venait sceller l'amitié entre les deux chefs d'Etat : M. Erdogan offrait alors à M. Poutine une issue après le blocage par l'Union européenne, en pleine crise ukrainienne, du projet South Stream vers l'UE par la mer Noire.
Près de deux ans plus tard, il marque leur rabibochage après neuf mois d'une crise due à la destruction d'un bombardier russe par l'armée turque. Et il permet à la Russie de continuer à avancer ses pions sur le marché très géopolitique du gaz, en particulier dans le sud de l'Europe où d'autres pays, du Caucase à l'Asie centrale, voudraient constituer une nouvelle concurrence.
"Le gazoduc TurkStream sera réalisé le plus vite possible", a assuré M. Erdogan pendant la conférence de presse ayant suivi leur première rencontre depuis le coup de froid dans leurs relations dû à la destruction en novembre par la chasse turque d'un bombardier russe.
Vladimir Poutine a cependant précisé que le projet resterait dans un premier temps confiné à l'approvisionnement du marché turc. Il s'agit certes du deuxième client du gaz russe après l'Allemagne, mais l'objectif de voir la Turquie remplacer l'Ukraine en tant que principal pays de transit pour les exportations vers l'Europe reste bien éloigné.
En ce qui concerne la branche du gazoduc destinée à répondre à "la croissance économique de la République turque, (...) cette partie ne fait aucun doute, sa réalisation pourra commencer très prochainement", a expliqué l'homme fort du Kremlin.
Quant à un prolongement vers l'Europe, "nous devons travailler sur ces questions avec les pays européens et avec la Commission européenne", a-t-il poursuivi.
Objectif 2019
Son ministre de l'Energie Alexandre Novak a confirmé la volonté russe d'avancer vite.
Selon lui, le tracé, via la mer Noire, a déjà été adressé à Ankara ainsi qu'un projet d'accord intergouvernemental nécessaire au commencement des travaux, qui pourrait être signé dès octobre. Il a jugé que la construction du gazoduc pourrait être finie en décembre 2019.
"Nous avons reçu l'assurance de la part la Turquie qu'elle est intéressée et que tous les ordres ont été donnés par les autorités pour accélérer le processus", a-t-il dit.
En revanche, sur les volumes prévus, on est bien loin des 63 milliards de m3 par an évoqués il y a deux ans : il est question d'une conduite de gaz pouvant transporter 15,75 milliards de m3 par an, avec une option pour une deuxième.
"Il faut au minimum deux branches pour que le projet soit équilibré financièrement et ne soit pas intéressant que pour la Turquie", a estimé Valéri Nesterov, analyste de la banque Sberbank CIB. "Si le but est simplement de réduire le transit via l'Ukraine, alors le prix est élevé", a ajouté l'expert, interrogé par l'AFP.
'Garanties en béton' de l'UE
Or, depuis l'échec de South Stream et le gel de TurkStream, Vladimir Poutine a plusieurs fois affirmé que la construction de gazoducs sur le sol européen ne se ferait que si Bruxelles donnait par écrit à ces projets un statut prioritaire.
"Nous savons que la Bulgarie voudrait bien que l'on revienne (à South Stream) mais nous avons subi des pertes importantes à cause du refus de nos partenaires européens", a prévenu mardi le président russe. "De seules intentions ne sont pas suffisantes, il nous faut des garanties en béton sur le plan juridique, et nous les avons pas".
A l'inverse, l'UE cherche à diversifier ses approvisionnements pour réduire sa dépendance au gaz russe, qui couvre le tiers de sa consommation.
Le géant russe Gazprom assure au contraire que l'Europe aura de plus en plus besoin de son gaz. Il a d'ailleurs reçu l'appui de grands groupes énergétiques européens pour son autre grand projet du moment, Nord Stream 2. Ce dernier doit aller par la mer Baltique directement vers l'Allemagne, ce qui devrait éviter selon Moscou des problèmes liés à la réglementation européenne en termes de concurrence.
Certains pays en froid avec Moscou, Pologne en tête, ont demandé à Bruxelles de bloquer ce projet.