Nouvel épisode de cette guerre interminable, aux objectifs aussi douteux que sournois.
La psychose anti-burkini a au moins un mérite : démontrer par l’absurde la stratégie du pouvoir visant à attiser les communautarismes. Diviser les classes populaires en désignant un bouc émissaire est toujours une recette utile à l’heure où la France comme le reste de la zone euro est plus que menacée par la récession économique.
Parallèlement au front géopolitique (guerre militarisée contre la Syrie) et au front national (lois discriminatoires antimusulmans), un troisième front s’est même ouvert : celui des municipalités qui légifèrent contre le burkini présentée comme une menace pour la sécurité (!), l’arrêté pris en Corse semblant faire boule de neige.
Et les deux derniers fronts ont fusionné, Manuel Valls ayant apporté son soutien aux maires qui veulent chasser des plages de France le burkini (et les musulmanes qui le portent par la même occasion), en affirmant que le burkini était la traduction vestimentaire d’un projet politique dangereux. Emboîtant ainsi le pas à la ministre du droit des femmes, Laurence Rossignol, en guerre contre la mode pudique qui permet aux femmes musulmanes de se vêtir conformément à leurs valeurs.
Les mêmes arguments faisant toujours recette, Manuel Valls a enfoncé le clou en assimilant burkini et asservissement de la femme.
Pourquoi autant de haine ?
Réactiver la fiction d’une communauté nationale par la discrimination d’un groupe mis au ban de la société rejoint évidemment le discours de la droite dure qui fantasme sur les racines chrétiennes de la France. Il valide aussi la thèse du choc des civilisations chère à l’extrême-droite sioniste.
Mais attiser la haine des Français dits de souche contre les musulmans répond peut-être à un projet moins avouable : voir se multiplier les agressions insensées et imprévisibles visant les quidams, à l’image de ce qui s’est passé à Nice.
Avec un bénéfice de taille pour le pouvoir : justifier une guerre militarisée contre la Syrie et pourquoi pas demain contre l’Iran, serrer encore le verrou sécuritaire avec de nouvelles lois liberticides et en prime faire grimper le Front National pour tenter de faire barrage à la droite en 2017.
En 1972, le sociologue Stanley Cohen théorisait ainsi le concept de «panique morale » : la « panique morale » est une réaction à un danger imaginaire ou amplifié. Elle surgit quand « une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est montré (par les élites, la presse ou le peuple) comme une menace pour les valeurs et les intérêts d’une société ». Elle met en présence deux acteurs majeurs : les « chefs moraux » (moral entrepreneurs) initiateurs de la dénonciation et les « démons populaires » ou «boucs émissaires » (folk devils), personnes ou groupes de personnes désignés à la vindicte collective.
Souvent liée à des controverses, elle est alimentée par une couverture médiatique intense qui en donne souvent une image stéréotypée ou grossie et qui contribue à la faire exister en tant que problème digne d’attention… et de préoccupation.
L’origine immédiate est souvent un « fait divers » qui suscite l’effroi, provoque l’indignation collective au nom de la norme dominante et pointe un bouc émissaire individuel ou collectif. L’événement est non seulement amplifié par les médias mais encore présenté comme annonciateur de répliques ou symptôme d’une tendance générale.
Cette campagne donne le champ libre aux entrepreneurs de morale qui se saisissent de cette opportunité et contribuent ainsi à produire un nouvel agencement politique. Partant d’un événement parfois exceptionnel qui sert de « fenêtre d’opportunité », ce que Stanley Cohen appelle la « déviance initiale » (initial deviance), « la panique morale peut produire des changements dans les lois, les politiques publiques ou même dans la manière dont la société se conçoit ».
Dans les années 1960, les bandes de jeunes effrayaient le bourgeois, aujourd’hui c’est la femme en burkini qui effraie la nudiste mais la mécanique est évidemment la même. Avec une différence de taille, lié à l’enjeu même de la discrimination.
Il s’agit ici de chasser progressivement les musulmans des espaces publics sous couvert de défense de la laïcité (à géométrie variable) en leur donnant un statut discriminé.
Depuis le début des années 2000 et le tournant initié par la « nouvelle laïcité » sur fond de guerre contre le terrorisme, les lois anti-musulmanes s’enchaînent à un rythme qui ne faiblit pas. Jusqu’à quand?
Par Nicolas Bourgoin