L’intervention turque ne dévoile pas toutes ses visées, et n’en est qu’à ses débuts
Les deux objectifs initialement affichés ne suffisent pas à eux seuls pour expliquer l’intervention turque dans le nord-est de la Syrie, baptisée "Bouclier del'Euphrate".
Lors de son lancement à l’aube du mercredi, avec l’aide de la Coalition internationale dirigée par les USA, le président turc avait affirmé qu’elle visait à chasser la milice wahhabite Daesh de Jarablos et à empêcher les Kurdes de la prendre.
Ce que le ministre de la défense Fikri Isik a réitéré ce jeudi encore, en disant: "notre but principal est de nettoyer la ville (syrienne) de Jarablos du groupe terroriste Daech. Un autre objectif est de faire en sorte que les kurdes syriens ne succèdent pas à Daech. Jarablos est un point important à court et à long terme".
Selon lui, la "Turquie a tous les droits d'intervenir" si les forces kurdes ne se retirent pas rapidement à l'est de l'Euphrate, plus loin de la frontière turque.
Une précision qui explique où les milices kurdes devraient se rendre.
Une offensive ouverte, dans le temps et dans l'espace
Mais dans sa déclaration, le ministre truc a ajouté un troisième objectif, « une condition » pour le retrait de ses troupes.
"C'est notre droit d'y rester tant que l'Armée syrienne libre n’aura pas pris le contrôle de la situation dans la région", a-t-il martelé à la chaîne de télévision turque NTV.
Les informations venant de Jarablos font état que les miliciens de cette faction se sont emparés de la ville, après son évacuation éclair par les éléments de Daesh. Et qu'ils ont même pris des villages situés à l’ouest de la ville.
L'offensive semble ouverte dans le temps et dans l'espace .
Dans les médias turcs, les sources militaires s’emploient à expliquer qu’il ne s'agit pas d'une opération terrestre turque en Syrie, mais d'une opération des troupes turques et de la coalition anti-Daech visant à créer un couloir pour les forces de l'opposition modérée syrienne et à chasser les terroristes de Jarablos.
Une version qui se veut afficher des visées désintéressés devant l'opinion publique turque.
Mais il est clair que l’intervention turque ne dévoile pas toutes ses visées, et qu’elle n’en est qu’à ses débuts.
Ce jeudi, une unité supplémentaire de dix nouveaux chars a été envoyée dans le nord de la Syrie. Alors que « plus de 20 blindés s’y trouvent déjà », selon un responsable turc cité par Reuters.
Le chiffre pourrait être bien supérieur. Des sources syriennes ayant fait part mercredi d’une cinquantaine de blindés qui sont entrés. Une version plutôt soutenue par les photographies publiées par les agences.
Un atout d'Alep
Pour l’opposition kurde en Syrie, laquelle se sent principalement visée par l’offensive en question, cette dernière devrait servir à la Turquie d’utiliser cette région comme un atout dans ses futures négociations politiques.
C’est du moins l’avis de Reizan Hedu, homme politique kurde et membre du Parti de l'union démocratique (PYD), banni par Ankara.
Il a dit s’attendre à ce que la province d'Alep se retrouve dans l'étau turc et à ce qu’Ankara négocie ensuite de façon agressive en jouant l'"atout Alep".
"Les forces des alliés de la Turquie attaquent l'Alep depuis le sud et le sud-ouest", a-t-il estimé, en allusion à l’attaque lancée par Jaïsh al-Fatah contre Alep.
L’offensive turque devrait d’après lui se poursuivre jusqu'à ce qu’al-Bab, principal bastion de Daesh dans la province d'Alep, et qui fait l'objet d'une attaque de la milice kurde des Forces démocratiques nationales (soutenue par les USA) depuis le 14 août.
Hedu s’est arrêté sur la participation aux côtés des Turcs de la milice Noureddine al-Zenki qui s’est fait remarquer récemment en décapitant le petit palestinien de 12 ans Abdallah Issa.
Selon lui, si la Turquie voulait vraiment lutter contre le terrorisme, elle coordonnerait ses actions avec l'ensemble des forces qui font face aux terroristes en Syrie au lieu de chercher à atteindre ses propres buts géopolitiques. Et d'ajouter que "la Turquie aurait pu réaliser une coordination partielle par l’intermédiaire de la Russie".
Les Kurdes sont toujours à l’ouest
Sur le terrain, les kurdes son toujours dans leurs positions conquises de Daesh avec l’aide des Américains.
Malgré les affirmations du secrétaire d’Etat américain John Kerry selon lequel "les forces YPG/PYD sont en train de se replier vers l'est de l'Euphrate", il n’en est rien, affirment des témoins sur place.
Selon le correspondant de la chaine de télévision panarabe al-Mayadeen, les miliciens kurdes n’ont pas du tout quitté Manbej ni les villages aux alentours. « La déclaration des FDS d’avoir livré la ville au Conseil militaire ne veut rien dire. Ce conseil est à 80% kurde », a poursuivi ce correspondant. Des combats ont d’ailleurs eu lieu au sud de Jarablos entre l'ASL et les FDS, dont l'ossature est composée par les Unités de protection du peuple (YPG)
Le directeur de l’OSDH, instance médiatique de l’opposition pro occidentale a assuré lui aussi que seulement « une petite partie des FDS s'est retirée à l'est de l’Euphrate. Mais le gros de ces forces est encore à l'ouest",
"Les Kurdes n'abandonneront pas leur rêve (de relier leurs régions autonomes), malgré toutes les pressions internationales", a-t-il ajouté a-t-il déclaré à l'AFP.
Dès le début de l’offensive des Turcs, le coprésident des PYD, Salah Muslim, leur avait promis "un bourbier". La bataille ne fait que commencer.
Sources: AFP, Sputnik ; RT ; Al-Mayadeen