L’accusation de "monafiqine" colle à la peau des Moudjahidine depuis qu’elle a été portée contre eux par l’imam Khomeiny.
Voilà que l’on reparle de Massoud Radjavi, chef des Moudjahidine du Peuple (OMPI), un groupe armé d’opposants iraniens cherchant à prendre le pouvoir à Téhéran depuis plus de 30 ans.
Disparu de la scène politique et médiatique depuis la chute de Bagdad, on avait un peu oublié Radjavi. Une rumeur le donnait pour mort sous les bombardements américains. Mais, ses partisans, s’ils assurent qu’il est en vie, sont évasifs quand on leur demande où il se trouve. Il serait, disent-ils, « à son poste de combat, dans la clandestinité » ou, selon la page Wikipédia rédigée visiblement par un rédacteur de l’OMPI : « avec ses troupes, au cœur du danger ».
Des transfuges croient que sa femme Maryam – qu’il a placée à la tête de son organisation – l’a évincé, voire fait assassiner. Qui croire ?
Le rusé prince Turki
Le 7 octobre 2015, auditionné par le sénateur américain Joseph Manchin (D) lors d’une réunion du Comité des forces armées intitulée « L’influence iranienne en Irak et le cas du Camp Liberty », le colonel Wesley Martin – ancien commandant militaire du Camp Achraf, base irakienne où près de 3.000 membres de l’OMPI ont été sous protection de l’armée US jusqu’en 2012 – a déclaré que Massoud Radjavi a été blessé lors d’une attaque en Irak, et que selon ses informations, « il est en France ». Son témoignage est à prendre avec des pincettes quand on sait que ce haut responsable de l’anti-terrorisme en Irak est aujourd’hui un des lobbyistes attitrés de l’OMPI…
Alors, faut-il croire le prince Turki al-Fayçal, ancien chef des services secrets saoudiens, qui a déclaré le 9 juillet dernier – au Bourget, près de Paris – à la stupeur des arabophones invités à la réunion annuelle de l’OMPI, que Massoud Radjavi était mort.
Cette annonce malicieuse, prononcée à deux reprises, n’a pas été traduite par l’interprète de l’organisation visiblement embarrassé, mais reçue « 5 sur 5 » par sa femme Maryam qui venait de rendre un vibrant hommage à son mari comme s’il était toujours en vie. Son visage, jusque-là radieux, s’est brusquement fermé.
Occultation mineure !
Le mystère de la disparition de Massoud Radjavi était-il éclairci pour autant ? Eh bien non.
Al Alam, la chaîne satellitaire iranienne en langue arabe, a révélé, le 25 août dernier, qu’un avion américain devait évacuer le secrétariat personnel de Radjavi et son médecin personnel vers l’Albanie, laissant entendre que Radjavi pourrait se trouver à bord ou être exfiltré de la même façon. Ce transfert serait motivé par la menace d’une attaque sur le Camp Liberty par l’Intifada de Chaaban, une organisation du nom de l’insurrection chiite de 2001 en Irak.
C’est dans ce camp militaire situé près de l’aéroport de Bagdad, où ont été emprisonnés plusieurs hauts dirigeants baasistes, que les Moudjahidine ont été regroupés sous la protection du HCR (Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés),
Si Radjavi n’était pas parmi les passagers de l’avion US ou dans un prochain vol charter, il faudrait que Maryam justifie son absence prolongée autrement que ne l’ont présentée – selon des repentis – des dirigeants de l’OMPI à certains membres de l’organisation : Dieu a «occulté » leur « chef vénéré » pour le protéger de ses ennemis – en référence à l’occultation mineure dont ont bénéficié plusieurs imams chiites – et qu’il réapparaitra quand l’heure sera venue de renverser la République islamique !
Pas étonnant qu’avec ce genre de confidence fumeuse, –sous le sceau du secret – l’OMPI passe pour une secte politico-religieuse avec Massoud pour gourou.
Virages idéologiques à 180°
Le feuilleton Radjavi n’est pas terminé. Il est intéressant à suivre dans la mesure où cette disparition, ou non, conditionne l’avenir de l’OMPI. Cela dit, le plus étonnant est ailleurs : dans la faculté qu’a cette organisation d’effectuer des virages idéologiques à 180° et de s’allier sans état d’âme à n’importe qui, pouvant servir ses intérêts.
J’ai rencontré Massoud Radjavi à deux reprises à Auvers-sur-Oise au début des années 80. Il y résidait avec Abolhassan Bani Sadr, premier président de la République islamique, dont il avait épousé la fille. On le disait islamo-marxiste, anti-impérialiste et antisioniste.
Pendant la guerre Iran-Irak et les 13 ans d’embargo qui suivirent la Première guerre du Golfe, je me suis entretenu à plusieurs reprises, à Paris et à Bagdad, avec des membres de l’OMPI. J’ai même eu l’occasion de visiter la base Achraf. Outre leur haine viscérale de la République islamique d’Iran, ils collaient à la ligne anti-américaine et anti-israélienne du parti Baas et de toux ceux qui s’opposaient à une nouvelle agression de l’Irak. Quel ne fut pas mon étonnement d’apprendre, après le renversement de Saddam Hussein, que l’OMPI avait viré de bord, s’était alliée aux néoconservateurs et à l’AIPAC, le lobby pro-israélien américain.
Manipulations en tous genres
Que s’est-il passé lorsque les troupes américaines ont encerclé le Camp Achraf ?
Certes, les Moudjahidine – alors considérés comme terroristes aux Etats-Unis – ont dû remettre leurs armes. Des agents du Pentagone et du Mossad, arrivés avec les GI’s, auraient donné le choix au noyau dirigeant de l’OMPI entre la collaboration avec leurs services secrets sur le dossier iranien, ou l’arrestation et des procès pour terrorisme à n’en plus finir.
Des journalistes américains d’investigation ont ensuite soulevé le voile cachant leurs nouvelles activités :
Seymour Hersh a révélé dans le Newyorker, en avril 2012, que le JSOC (Joint Special Operations Command) entraînait depuis 2005 des volontaires de l’OMPI sur une base militaire du Nevada.
Gareth Porter d’Inter Press Service (IPS) a démontré que le rapport contenant les « preuves » que l’Iran cherchait à se doter de la bombe atomique a été «fabriqué» par le Mossad et les Moudjahidine du Peuple. Il a ajouté que l’OMPI et le CNRI (Conseil National de la Résistance en Iran) collaborent étroitement avec le Pentagone et la CIA et qu’ils utilisent « une multitude d’organisations paravent pour mener des opérations de propagande et de manipulation, en vue de préparer l’opinion à une action militaire américano-israélienne contre l’Iran ».
En janvier 2012, cette manipulation a abouti à l’assassinat de deux savants iraniens impliqués dans le programme nucléaire de leur pays. Selon le quotidien israélien Haaretz les meurtres auraient été commis par des terroristes de l’OMPI avec l’aide du Mossad.
Bien qu’inscrite sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis en 1997 et par l’Union Européenne en 2002, l’OMPI a toujours poursuivi ses activités en Occident, sans trop de tracasseries. On comprend pourquoi son nom a finalement été retiré de la liste noire.
Profession : hypocrites…
L’intervention du prince Turki à la conférence annuelle des Moudjahidine signifie qu’ils sont passés de la coupe de l’Irak du temps de Saddam Hussein sous celle, cette fois, de l’Arabie Saoudite et cela ne présage rien de bon. Cette nouvelle alliance – ou subordination – les met au service d’un royaume féodal wahhabite, corrompu, qui considère les chiites comme des mécréants à annihiler. Elle explique ainsi les nombreuses défections qui se sont produites dans les rangs des membres de l’OMPI libérés de 13 ans d’enfermement au Camp Achraf, puis Liberty.
Il faut être musulman pour bien comprendre la signification du mot Monafiqin – hypocrites – c’est-à-dire gens se disant croyants, mais faisant l’inverse de ce que dicte le Coran. Cette accusation colle à la peau des Moudjahidine depuis qu’elle a été portée contre eux par l’imam Khomeiny.
Pour ce qui nous concerne, force est de constater que le comportement des Moudjahidine du Peuple, au moins depuis les guerres du Golfe, est amoral. La définition de l’hypocrisie dans le dictionnaire Larousse est la suivante: « Attitude consistant à dissimuler son caractère ou ses intentions véritables, à affecter des sentiments, des opinions, des vertus qu’on n’a pas, pour se présenter sous un jour favorable et inspirer confiance ».
Elle leur convient à merveille.
Par Gilles Munier (en collaboration avec Hamed Ghashghavi à Téhéran)
Source: France-Irak-Actualité.