L’Égypte a vécu dimanche une de ses journées les plus meurtrières dans des affrontements contre des Coptes. L’éventualité d’un complot est prise au sérieux.
En Égypte, au lendemain de la journée la plus meurtrière depuis le renversement de Hosni Moubarak, au cours de laquelle pas moins de 24 personnes ont été tuées, les institutions politique et religieuse du pays se mobilisent pour contenir la crise.
Dans l’après-midi de ce lundi devrait se tenir une réunion d'urgence du gouvernement, à l’appel du Premier ministre Issam Charaf.
Dimanche soir, et dans une allocution retransmise par la télévision publique, Charaf a affirmé que l'Egypte était "en danger", appelant chrétiens et musulmans de son pays à ne pas céder aux "appels à la sédition".
Un complot contre l’Égypte
Le Premier ministre soupçonne "un complot pour éloigner l'Egypte des élections".
"Ce qui se passe, ce ne sont pas des affrontements entre musulmans et chrétiens, ce sont des tentatives de provoquer le chaos et la sédition", affirme-t-il.
Charaf a accusé des parties intérieures et extérieures de vouloir semer le chaos en Égypte.
Dans des déclarations rapportées par l'agence Mena, le Premier ministre avait en outre estimé qu'il s'agissait d'un "complot pour éloigner l'Egypte des élections".
"Je m'adresse à tous les enfants de la patrie qui veillent à son avenir, pour qu'ils ne cèdent pas aux appels à la sédition car c'est un feu qui brûle tout le monde et ne fait pas de différence entre nous", a-t-il ajouté.
M. Charaf s'était entretenu dimanche avec des dirigeants de la police, de l'armée et de l'Eglise copte pour tenter de contenir la situation au plus vite, a indiqué l'agence officielle Mena.
AlAzhar : le dialogue inter religieux au plus vite
Du côté d’AlAzhar, plus haute institution islamique du pays, son imam cheikh Ahmad Tayyeb est sans tarder monté au créneau, en appelant à un dialogue interreligieux en urgence.
Suggérant d’entamer des discussions entre les membres de la Famille égyptienne, une organisation réunissant des religieux musulmans et chrétiens, "afin de tenter de contenir la crise", le dignitaire a déjà pris contact avec le patriarche copte Chenouda III.
24 tués dont 3 soldats, et 200 blessés
Sur le terrain, « La situation dans les rues est stable et calme maintenant » a affirmé le chef de la police militaire, le général Hamdi Badeen.
Selon un dernier bilan de l’AFP, ce sont 24 personnes qui ont été tuées dimanche et 200 autres ont été blessés. Pas moins de trois membres des forces de l’ordre figurent parmi les tués.
Les affrontements avaient opposé dans le centre du Caire des manifestants coptes (chrétiens d'Egypte) aux forces de l'ordre. Ces violences, les plus meurtrières depuis la révolte qui a renversé le président Moubarak en février, ont eu lieu en marge d'une manifestation de coptes protestant contre l'incendie d'une église dans le gouvernorat d'Assouan (sud).
Un journaliste de l'AFP a vu les dépouilles de 16 manifestants tués à l'Hôpital copte du Caire, tandis que la télévision d'Etat a indiqué que trois soldats avaient été tués.
L'un des manifestants décédés vus par le journaliste de l'AFP avait le visage écrasé au point d'être méconnaissable. Le chaos régnait dans l'hôpital copte où les familles hurlaient leur colère.
"Un véhicule de l'armée a roulé sur cinq manifestants", a dit à l'AFP le père Daoud, un prêtre copte. "Voici son cerveau", a-t-il ajouté en parlant du manifestant au visage défoncé, en montrant de la matière blanche dans un sac en plastique.
Des blessures par balles étaient visibles sur certaines des dépouilles.
Les raisons de la dégénérescence encore confuses
Les raisons qui ont fait dégénérer en fin de journée ce qui avait commencé comme une marche pacifique de milliers de Coptes du quartier de Chobra vers Maspero, où se trouve la télévision publique dans le centre du Caire, restent confuses.
La télévision d'Etat a indiqué que les protestataires avaient lancé des pierres sur les forces de l'ordre et, citant des témoins, que les manifestants coptes étaient armés.
Les polices anti-émeutes et militaire ont tiré des coups de feu en l'air et des lacrymogènes pour les disperser. La chaîne publique a cité des soldats blessés assurant ne pas disposer de balles réelles.
Mais sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, beaucoup parlent de l'intervention de "voyous" venus perturber le rassemblement.
Selon des médias égyptiens, des manifestants égyptiens musulmans se sont joints dans la soirée aux forces de l’ordre sur le pont d’Octobre. Alors qu’ils scandaient « Allahou Akbar » (Dieu est grand), les Coptes ponctuaient quant à eux « Nous sacrifierons notre âme et notre sang pour toi, Crucifix ».
Nombreux sont aussi ceux qui accusent les médias officiels, en premier lieu la télévision publique, de tenir un discours anti-chrétien.
"Mon collègue est mort à mes côtés. Ils nous ont tirés dessus (...). Chrétiens fils de chiens", a dit l'un des membres des forces de l'ordre blessés, filmé par la télévision publique.
De Chobra à Maspero, les manifestants, dont certains brandissaient des croix, avaient scandé "A bas le maréchal" Hussein Tantaoui, qui dirige le pays depuis la démission sous la pression de la rue du président Hosni Moubarak en février. Ils ont brièvement essuyé des jets de pierres sur le chemin, selon un correspondant de l'AFP.
Des centaines de Coptes avaient déjà manifesté mardi pour protester contre l'incendie d'une église, dans le gouvernorat d'Assouan, et réclamer le limogeage du gouverneur.
Les Coptes qui représentent de 6 à 10% des Egyptiens, s'estiment discriminés dans une société en grande majorité musulmane. Ils ont été visés par plusieurs attentats, en particulier celui du Nouvel an contre une église à Alexandrie (23 morts).
Le 7 mai, 15 personnes avaient été tuées et plus de 200 blessées au Caire lorsque des musulmans avaient attaqué deux églises, affirmant qu'une chrétienne convertie à l'islam était détenue dans l'un des lieux de culte.
L'Egypte connaît depuis plusieurs mois une montée des tensions confessionnelles, alimentées notamment par des querelles de voisinage et des différends sur la construction d'églises.