"On parlera pendant des siècles" de la création de l’euro "comme une sorte de monument historique à la folie collective", raille le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague.
Tiraillée par des forces centrifuges, l'Union européenne se retrouve du fait de la crise de l'euro à la croisée des chemins, avec au choix une lente désintégration en cas d'échec ou l'opportunité de relancer vers plus de fédéralisme un projet aujourd'hui très fatigué.
"Laisser détruire l'euro, c'est prendre le risque de détruire l'Europe", a récemment mis en garde le chef de l'Etat français Nicolas Sarkozy.
Pour les eurosceptiques, le chaos de l'euro depuis deux ans est la confirmation de l'inanité d'un projet à leurs yeux vicié. "On parlera pendant des siècles" de la création de l'euro "comme une sorte de monument historique à la folie collective", raille le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague.
Partout en Europe, l'hostilité au projet européen gagne du terrain, tout autant que la tentation du repli national. Elle s'illustre au travers de la poussée de mouvements populistes aux Pays-Bas, en Finlande ou ailleurs.
Elle redonne des ailes aux élus les plus anti-européens du parti conservateur britannique qui osent défier leur Premier ministre en réclamant un référendum sur la sortie du Royaume-Uni du bloc des Vingt-Sept.
Plus d'un demi-siècle après sa création en 1957, le projet européen reste avant tout une affaire économique. Les efforts pour transformer l'essai politique ne sont pour l'heure guère concluants avec une diplomatie européenne aux abonnés absents et une défense commune qui a fait la preuve de son inexistence en Libye. Un échec du projet économique phare qu'est l'euro augurerait mal de la suite.
"L'Union européenne a l'air fragile et fatiguée et certains dirigeants ne semblent pas se rendre compte que l'intégration pourrait encore échouer par faute de négligence ou de défiance", avertit dans une récente étude Janis Emmanouilidis, du think-tank bruxellois European Policy Center.
"L'impensable peut être aujourd'hui concevable, une sortie d'un pays de la zone euro, la fin de l'euro et même la désintégration de l'UE ne sont plus tabous", estime-t-il.
A contrario la crise de la dette peut agir comme accélérateur de l'intégration européenne. Elle a déjà commencé à le faire en faisant revenir sur le devant de la scène le débat sur l'Union politique, escamoté il y a une décennie lors du lancement de l'Union monétaire.
Là aussi, les tabous tombent les uns après les autres. L'Allemagne, qui détient les cordons de la bourse, accepte aujourd'hui la solidarité financière entre les Etats alors qu'elle professait jadis le chacun pour soi en matière budgétaire. Elle s'est aussi ralliée à l'idée française du gouvernement économique commun de la zone euro.
Mais pour prix de son soutien elle entend imposer ses recettes au reste de la zone euro, où elle doit composer face à un ensemble de grands pays latins dont elle se méfie, Italie, Espagne et France: discipline de fer en matière de déficits et contrôle centralisé pouvant aller jusqu'à la tutelle des projets de budgets nationaux.
La Banque centrale européenne installée à Francfort prône même la création d'un ministre européen des Finances, qui pourrait dans un premier temps prendre la forme d'un "super commissaire" à l'euro à Bruxelles. Avec une question: les opinions nationales sont-elles prêtes à accepter des pertes de souveraineté?
Menacée à son tour par la crise de la dette, la France suit le mouvement après avoir été longtemps rétive à l'idée d'Europe fédérale. Le chef de la diplomatie française Alain Juppé, pourtant héritier du courant gaulliste, vient de prôner une "fédération européenne".
"Une fois qu'on sera sorti de la crise et qu'on regardera le chemin parcouru, on sera rétrospectivement très impressionnés par la capacité des pays de la zone euro, à marche forcée, à progresser vers une très grande intégration", souligne un diplomate européen de haut rang.