La mort de 24 soldats pakistanais tués dans un raid de l’Otan et présentée comme étant une bavure est perçue comme une agression délibérée et attise les sentiments antiaméricains.
Vécue comme une humiliation au Pakistan, la mort de 24 soldats dans une bavure de l'Otan risque de pousser Islamabad à relâcher son alliance avec les Américains dans la lutte contre Al-Qaïda et de leur compliquer la tâche face aux talibans dans le bourbier afghan.
Mercredi, la toute puissante armée pakistanaise avait convoqué quelques grandes signatures de la presse locale pour dénoncer une fois de plus "l'agression délibérée" de l'Otan samedi près de la frontière afghane, quand la coalition dirigée par les Etats-Unis a bombardé deux de ses postes militaires.
"On pouvait lire la colère comme rarement sur les visages des officiers. Ils sont plus que jamais sous la pression de leurs troupes et des familles de victimes qui leur demandent: +Pourquoi restez-vous aux côtés des Américains qui tuent nos soldats ?+", a raconté à l'AFP l'un des participants.
En mai dernier, le raid américain clandestin qui avait tué Oussama Ben Laden dans le nord du Pakistan avait déjà choqué un pays obsédé par sa souveraineté territoriale et déjà profondément antiaméricain, et humilié l'armée.
Chaque nouvelle crise apparaît comme la goutte d'eau qui va faire déborder le vase au Pakistan, qui estime avoir déjà payé au prix fort son alliance avec les Américains: après son ralliement fin 2001, a émergé sur son territoire une rébellion talibane dont les attentats ont tué des milliers de civils dans tout le pays, alors que 3.000 soldats perdaient leur vie à les combattre.
Dans le même temps, les Etats-Unis, qui dirigent la force de l'Otan dans l'Afghanistan voisin, lui demandaient, en plus des cadres d'Al-Qaïda, de traquer les insurgés afghans réfugiés sur son territoire.
Parrain historique des talibans afghans, qu'il est accusé d'instrumentaliser pour défendre ses intérêts stratégiques en Afghanistan, Islamabad a résisté.
Fragilisée après le raid contre Ben Laden, l'armée a durci le ton vis-à-vis de Washington. Tous les partis politiques ont suivi et se sont joints à elle fin septembre pour réclamer une "nouvelle direction" dans les relations avec Washington, en privilégiant la négociation avec les talibans.
Le moment était bien choisi: affaiblis par des années d'offensives pakistanaises et de tirs de drones américains dans leurs repaires du nord-ouest, certains insurgés y ont été réceptifs et ont évoqué de possibles négociations de paix. Ces six derniers mois, le nombre d'attentats a baissé.
"Plus les relations avec les Américains se tendent, et moins il y a d'attaques au Pakistan", note le journaliste pakistanais Rahimullah Yousufzaï.
Autre facteur de cette accalmie au Pakistan, le récent passage de talibans pakistanais en Afghanistan. L'armée en a dénombré plus de 1.000 depuis un an, une estimation basse selon d'autres sources.
Ils profitent côté afghan du vide laissé par l'Otan, qui prévoit de retirer ses troupes de combats d'ici la fin 2014 et abandonne peu à peu ses bases avancées. "Il se passe aujourd'hui du côté afghan de la frontière ce qu'il s'était passé côté pakistanais à la fin 2001" lorsque les talibans afghans chassés du pouvoir à Kaboul par les Occidentaux avaient trouvé refuge au Pakistan, confirme un diplomate occidental.
Selon plusieurs sources à Peshawar, grande ville du nord-ouest, la Jamiat Ulema-e-Islam (JUI), le premier parti religieux du pays, proche des islamistes, a redoublé d'efforts pour inciter les talibans pakistanais à ne plus attaquer leur pays et à se consacrer au jihad afghan contre les Américains.
De même, "Al-Qaïda, qui finançait autrefois le jihad dans les deux pays, se concentre désormais plus sur l'Afghanistan", poussant les talibans pakistanais à aller y combattre les Américains, explique une source proche des insurgés.
Quant à l'armée pakistanaise, qui empêchait auparavant tant bien que mal les talibans de passer en Afghanistan à la demande de Washington, "elle ne le fait plus aujourd'hui", assure cette source.
Un front taliban plus unifié et concentré sur l'Afghanistan ? Cette perspective peut inquiéter les Occidentaux, qui admettent de plus en plus qu'il faudra le concours du Pakistan pour amener les talibans à négocier et éviter une future guerre civile après 2014.
Or cela suppose, aux yeux des Pakistanais, une autre attitude des Etats-Unis qui ne se sont toujours pas excusés pour la mort des 24 soldats pakistanais. "Vous ne pouvez pas accuser et abuser de quelqu'un et lui demander en même temps une pleine et entière coopération", souligne en écho le journaliste et écrivain pakistanais Imtiaz Gul.