Le reportage est fait par l’AFP.
A Antakya, petite ville turque cosmopolite aux confins de la Syrie, les prises de position d'Ankara contre le régime de Damas ne font pas l'unanimité. Au sein de la forte communauté alaouite de la ville, on défend l'action du président Assad, un alaouite, et on redoute sa chute.
"Nous savons très bien qu'il n'y a pas d'oppression en Syrie. Bien sûr qu'il y a quelques petits problèmes (...) Mais il faut laisser du temps au régime du président Bachar al-Assad pour mettre en place les réformes démocratiques", affirme Ali Yeral, président de l'association Ehli Beyt des alaouites d'Antakya.
"Des millions de gens sortent dans la rue pour soutenir ses réformes. Mais certaines télévisions, en particulier Al-Jazeera, font tout pour passer ça sous silence et vont au contraire montrer 200 ou 300 membres d'une organisation terroriste sanguinaire en train de manifester", poursuit le responsable associatif.
Les alaouites, une confession musulmane hétérodoxe proche du chiisme, sont près de deux millions en Syrie, où ils sont fortement représentés dans les rangs de l'armée et du parti Baas au pouvoir.
En Turquie, la communauté, arabophone --à ne pas confondre avec les alévis anatoliens, turcophones et kurdophones--, est forte de plusieurs centaines de milliers de représentants vivant principalement dans la province d'Antakya et entretenant des liens étroits avec l'autre côté de la frontière.
"Tout est calme dans les villes (syriennes). A Lattaquié (nord-ouest) il n'y a rien, les gens qui passent chez nous disent qu'ils vivent normalement", assure Süheyla Koçak, comédienne au théatre municipal d'Antakya, dont la troupe, la première à monter une pièce en arabe en Turquie, a joué plusieurs fois en Syrie.
"Où est-ce que les incidents se produisent ? Dans des zones reculées, à l'écart, là où les gens sont ignares et où ils peuvent facilement perdre la tête. C'est dans ce genre d'endroits qu'ils se battent et s'entretuent", commente l'artiste alaouite.
Pour Yusuf Mutlu, restaurateur, les fauteurs de troubles, ce sont les Frères musulmans, un mouvement interdit en Syrie, où il a été violemment réprimé par l'armée en 1980 à Jisr al-Choughour (nord-ouest), près de la frontière turque, puis en 1982 à Hama (centre).
"Est-ce qu'il s'agit d'une armée ou bien d'un parti des Frères musulmans ? En tout cas, tout ceux qui créent des incidents sont des Frères musulmans", déclare M. Mutlu, lui aussi alaouite, qui regarde avec peu de sympathie les quelque 7.500 Syriens réfugiés dans la province d'Antakya et leurs récits sur des dévastations commises par l'armée syrienne.
L'homme n'est pas convaincu non plus par les appels d'Ankara à une démission d'Assad et la mise en place de sanctions économiques pour contraindre le régime de Damas à mettre fin à la répression des mouvements d'opposition, qui a fait plus de 4.000 morts en neuf mois, alors que les relations entre les deux pays étaient au beau fixe il y a encore un an.
Mais surtout, il craint une assimilation de la communauté alaouite avec le régime.
"En tant qu'alaouite, ça m'a profondément blessé (...) qu'un responsable de la République turque fasse de la discrimination confessionnelle", déclare-t-il, dénonçant des propos du vice-président du parti AKP (islamo-conservateur) au pouvoir, Hüseyin Celik, qui début septembre avait souligné le rôle des alaouites dans les organes du pouvoir syrien.
Car derrière cette assimilation se cache la menace de représailles contre la communauté, en Syrie et ailleurs, prévient Ali Yeral.
"En cas de renversement d'Assad, c'est évident qu'il va y avoir un massacre des alaouites. Après ça, le Hezbollah libanais sera dans la ligne de mire, puis l'Irak, puis l'Iran, et ça s'étendra à la Turquie et à l'Arabie saoudite...", annonce-t-il.