"La corruption est profondément enracinée en Jordanie et jouit de la protection des hautes sphères, y compris les services de Renseignements".
Le roi Abdallah II de Jordanie a déclaré avoir lancé une campagne de lutte contre la corruption visant d'anciens responsables et d'influents hommes d'affaires jadis considérés comme "intouchables", mais l'opposition qui réclame une enquête sur les raisons de l'endettement l'a accueillie avec scepticisme .
L'arrestation mardi de l'ancien maire d'Amman Omar Maani (2006-2011) accusé de "fraude et de corruption" et le refus du procureur de trois demandes consécutives de ses avocats pour une libération sous caution, est venue illustrer cette campagne car il est un proche du couple royal.
Cette détention a été précédée par une rencontre d’Abdallah II avec les chefs des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ainsi que la Commission anti-corruption, pour leur dire d'agir rapidement sur les dossiers de corruption.
"Le citoyen n'en peut plus (...) il veut que les (responsables) corrompus qui ont gaspillé les deniers de l'Etat soient punis", a dit le roi, selon le palais, qui a souligné que "personne ne bénéficie d'une immunité".
Abdallah II, qui n'a pas été épargné par les slogans des manifestants, avait auparavant rendu publics, dans un communiqué début décembre, des détails sur son appropriation, entre 2000 et 2003, de 4.827 dounoums (environ 480 ha) de terres qui appartenaient à l'Etat, affirmant que rien n'avait été revendu.
Le Parlement a formé, dans la foulée, une commission d'enquête début décembre sur "l'enregistrement de terrains publics, aux noms de personnalités influentes".
"L'engagement du roi prouve une volonté politique et les Jordaniens seront éberlués par le niveau et la manière dont les dossiers de corruption seront traités", a déclaré à l'AFP le président du Sénat Taher Masri.
"Le mouvement populaire a appelé pendant des mois à éradiquer la corruption, sans résultats et il en était au point de croire que l'Etat n'était pas sérieux sur ce dossier, mais les choses vont changer de manière spectaculaire", a ajouté M. Masri.
Le procureur général a convoqué en tant que "témoins" un certain nombre d'anciens hauts responsables, dont trois Premiers ministres et un chef de cabinet royal, pour être entendus dans une affaire de corruption, selon la presse dont le journal gouvernemental al-Raï.
Par ailleurs "des dizaines d'éminents hommes d'affaires ont été frappés d'interdiction de voyager", a annoncé le chef de la Commission anti-corruption Samih Bino. Selon des sources concordantes, ils sont soupçonnés de détournement de centaines de millions de dollars de deniers publics.
Le Front de l'action islamique (FAI), émanation politique des Frères musulmans et principal parti d'opposition, s'est déclaré "sceptique" face à ces mesures.
"Combattre la corruption requiert une volonté politique réelle et sérieuse, qui n'existe pas pour le moment (...) La corruption est profondément enracinée en Jordanie et jouit de la protection des hautes sphères, y compris les services de Renseignements", a déclaré à l'AFP le chef du bureau politique du FAI, Zaki Bani Rsheid.
"Le mouvement islamiste met en garde contre ces tentatives qui visent à contrecarrer les demandes populaires de réformes réelles", a-t-il ajouté.
Selon lui, bien que "des premières mesures contre la corruption aient été prises, celles-ci ne sont pas suffisantes car aucune enquête n'a été menée sur les dossiers (de corruption, ndlr) qui ont mené la Jordanie à sa crise économique".
La dette publique de la Jordanie s'élève à 18 milliards de dollars américains, dépassant 65% du PIB. Elle était de 7 milliards en 1999 lors de l'accession du roi Abdallah II au trône.
Le chercheur au Centre d'études stratégiques Mohamad el-Masri a pour sa part critiqué le "manque de stratégie" dans la lutte contre la corruption.
"Il s'agit de mesures isolées et non d'une véritable stratégie. Il aurait fallu que cette campagne soit précédée par une loi anti-corruption claire pour donner confiance dans les décisions de la Cour et empêcher qu'elles ne soient perçues comme une chasse aux sorcières", a-t-il déclaré à l'AFP.