C’est l’armée qui est la plus visée...
Le Premier ministre pakistanais Yousuf Raza Gilani a haussé le ton vis-à-vis de l'armée jeudi en dénonçant les "complots" visant à faire chuter son gouvernement, une charge inhabituelle révélatrice des fortes tensions entre le fragile pouvoir civil et les militaires.
D'ordinaire mesuré, M. Gilani a martelé que l'armée devait être subordonnée au gouvernement, révélant pour la première fois ses craintes d'être renversé par les militaires, qui ont toujours cornaqué le gouvernement civil, quand ils ne gouvernaient pas eux-mêmes, depuis la création du pays.
La tension entre l'armée et le gouvernement est montée d'un cran ces dernières semaines à la suite du scandale du "mémogate". Dans cette affaire, le pouvoir civil est accusé d'avoir, en mai dernier, fait passer aux Etats-Unis un mémo secret leur demandant de l'aide pour empêcher un possible coup d'état de l'armée, une grave accusation dans un pays arc-bouté sur sa souveraineté et très anti-américain.
"Des complots sont ourdis ici pour faire chuter le gouvernement", a déclaré jeudi Yousuf Raza Gilani à la presse à Islamabad.
"Mais nous allons continuer à nous battre pour les droits des Pakistanais, que nous restions ou non au gouvernement", a ajouté M. Gilani, déjà le Premier ministre le plus longtemps resté en fonction (45 mois) dans l'histoire du pays.
Il a ensuite précisé sa pensée devant le Parlement. D'ordinaire très mesuré, il s'en est vivement pris aux militaires, que des rumeurs récurrentes disent déterminés à faire chuter le président Asif Ali Zardari et son gouvernement.
"S'ils disent qu'ils ne sont pas sous l'autorité du ministère de la Défense, alors nous devons nous libérer de cet esclavage, alors le parlement n'a plus d'importance, le système n'a plus d'importance, et vous n'êtes pas souverains", a-t-il déclaré. "Personne n'est au-dessus de la loi, toutes les institutions sont subordonnées au parlement", a ajouté M. Gilani.
Semblant perdre patience vis-à-vis de l'armée, accusée par les partenaires occidentaux d'Islamabad d'entretenir des liens avec des groupes islamistes anti-occidentaux, il a souligné que son gouvernement était resté à ses côtés au plus fort des turbulences diplomatiques avec les Etats-Unis, notamment après le raid américain qui a tué le chef d'Al-Qaïda Oussama Ben Laden à Abbottabad (nord du Pakistan) en mai dernier, ou avec l'Inde, après les attentats islamistes de Bombay en novembre 2008.
M. Gilani s'est ainsi demandé "comment Oussama Ben Laden avait pu vivre pendant six ans à Abbottabad", une ville où sont implantées de nombreuses unités de l'armée, avant d'être débusqué et tué par les Américains. "Pourquoi les services de sécurité ne se sont pas occupés de lui?", a-t-il ajouté.
C'est à la suite de ce raid clandestin, à la fois humiliant et discréditant pour l'armée pakistanaise, que des responsables gouvernementaux auraient fait passer le fameux mémo à Washington, premier bailleurs de fonds du Pakistan.
La fébrilité au sommet de l'Etat et les rumeurs de renversement ou de démissions ont été renforcées par l'hospitalisation récente à Dubaï du président Zardari, accusé par certains d'être l'auteur du mémo.
Victime selon son entourage d'un problème de santé mineur, M. Zardari, 56 ans, est rentré lundi au Pakistan, sans pour autant faire taire les rumeurs.
Arrivé au pouvoir après les élections en 2008, le gouvernement mené par le Parti du Peuple du Pakistan (PPP) de M. Zardari, veuf de l'emblématique ancien Premier ministre Benazir Bhutto, a su se maintenir au pouvoir malgré son impopularité et l'instabilité récurrente d'un pays en grande difficultés économiques et ensanglanté par les rébellions islamistes.
Les prochaines élections législatives ne sont pas prévues avant février 2013, mais l'opposition réclame un scrutin anticipé, et la pression sur le gouvernement pourrait s'accroître si la Cour suprême décidait d'enquêter sur le "mémogate", comme l'armée le lui a demandé. La prochaine audience de la Cour suprême sur cette affaire est prévue ce vendredi.
Depuis la création du Pakistan en 1947, aucun gouvernement civil n'a jamais réussi à se maintenir jusqu'au terme des cinq ans de législature prévus.